L’Institut de Locarn se rebaptise

En 1994, l’Institut de Locarn avait été béni par Dom Le Gall, père-abbé de l’abbaye de Kergonan, sous les yeux de l’archiduc Otto de Habsbourg, député européen d’extrême droite, surtout connu pour ses liens avec l’Opus Dei. « L’Europe ne pourra s’unifier face aux forces du mal qui essaient de la diviser si l’esprit n’est pas en nous », avait déclaré dom Le Gall, aussi « nous bénissons Dieu de nous avoir donné Locarn. Et si nous Le bénissons, soyons sûrs qu’Il nous bénira. »  Ainsi le pieux « collège de stratégie », grassement subventionné sur fonds publics, avait-il débuté sa mission pour la plus grande gloire de Dieu et de la nation bretonne symbolisée par ses drapeaux, le gwenn-ha-du et la croix noire. 

Le lendemain, une messe à la gloire du fondateur de la PanEurope (représentée par Otto de Habsbourg) avait sidéré le journaliste du Monde qui évoqua l’homélie du prêtre « un peu trop à la gloire des collaborateurs bretons pendant la Seconde Guerre mondiale… ». 

Les fondateurs de l’Institut de Locarn, lobby fondé pour faire de la Bretagne une région autonome, enfin libérée du poids de la France « jacobine », avaient pour but de « préparer l’Europe du troisième millénaire en la fondant sur les régions historiques — la Bretagne, la Flandre, la Bavière, la Catalogne, etc. — dont on aura préalablement renforcé l’intégration économique et spirituelle », comme le notèrent les courageux journalistes qui menèrent enquête sur ces « croisés d’un nouvel âge ». 

La réputation sulfureuse de cet institut « fédérant sous une même bannière nationalistes bretons, lobbies patronaux régionalistes et partisans de la nouvelle évangélisation » ne l’a pas empêché d’avoir le soutien de Jean-Yves Le Drian (alors socialiste) et de l’actuel conseil régional (qui semble encore se prétendre socialiste). L’association Produit en Bretagne, créée par l’Institut de Locarn, compte à présent près de 500 membres, dont les principaux médias régionaux. 

Un petit toilettage s’imposait, à commencer par le nom (vieille stratégie bien étudiée par les analystes des propagandes).

Exit l’Institut de Locarn, surgit Keréden : oui, en toute modestie, le village du paradis, Eden Village, où Dieu pourra continuer de bénir ceux qui Le béniront.

Les patrons de l’agroalimentaire et de la grande distribution remercient désormais le Seigneur sous les auspices de l’écologie. L’équipe qui a pris la direction de l’Institut entend poursuivre les actions du Centre de prospective économique en les appuyant sur un centre touristique permettant de valoriser la Vallée des saints (autre création liée à l’Institut de Locarn). C’est un Breizh Ecolodge Hôtel (ce savant alliage de breton surunifié et d’anglais globish sanctifiant le règne de la Breizh Touch) qui accueillera désormais les participants aux séminaires sur le campus – car, oui, ce pieux établissement a désormais statut de campus… aussi incroyable que cela puisse paraître, la Région a délégué à l’Institut de Locarn la formation de cadres en recherche d’emploi. En 2012, une nouvelle association a été déclarée, l’« Institut Jules-Verne de prospective et de projets innovants », ayant pour objet la formation d’étudiants « à fort potentiel ». Il s’agit bien, selon la stratégie de l’Opus Dei, de former les élites. Pour qu’à leur tour elles servent le projet de faire advenir une Bretagne enfin libérée.

Vous pouvez visiter le Keréden en utilisant le lien 

https://institut-locarn.bzh

L’extension internet .bzh créée sur le modèle du .cat inventé par les nationalistes catalans pour symboliser leur indépendance symbolise l’appartenance de Keréden au futur Eden de la nation à reconquérir.  

Et ce n’est pas tout : comme l’écrivent les « décideurs » du « Centre de formation Skol » installé sur le campus de Keréden, « saisissant les opportunités de la réforme de la formation continue et de l’apprentissage », un centre de formation à l’apprentissage va être créé…

D’ores et déjà, écrivant-ils, « 340 dirigeants et 250 jeunes ont été formés ». Et l’Institut délivre des diplômes… 

Pour avoir une petite idée de la formation, il suffit de parcourir le site du Campus de Keréden : disciplines capitales, l’hygiène de vie, et la connaissance de l’histoire du territoire… Pas n’importe quelle histoire car, entre le Club Erispoé et le Club d’histoire de Bretagne, l’Institut peut offrir une formation bien spécifique… 

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Il s’agit de promouvoir une « Bretagne de la civilisation et de la propreté », comme l’écrivait Joseph Le Bihan, lequel estimait qu’il fallait en finir avec l’Éducation nationale, « pas réformable ». 

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Tout cela se présente, comme de coutume, sous un jour avenant et la presse régionale rivalise de servilité journalistique. Ainsi Le Télégramme, membre de Produit en Bretagne, n’hésite-t-il pas à conclure un article apologétique intitulé « L’Institut toilette son image » en donnant la parole au nouveau président qui déclare : 

« L’histoire de Locarn a été plutôt mouvementée. On nous a tantôt associés à l’Opus Dei, tantôt au Grand Orient de France, tantôt au Grand capitalisme puis aux bonnets rouges ou même aux gilets jaunes. » 

Bel exemple du confusionnisme entretenu par Locarn, comme d’ailleurs par le mouvement breton, depuis ses origines : remplacez l’Opus Dei par les francs-maçons et les bonnets rouges par les gilets jaunes, tout se vaut, donc tout s’annule. L’Institut de Locarn a été fondé par Otto de Habsbourg ? Mais peut-être aussi après tout par les francs-maçons ? Ils sont partout ! Il a organisé la bataille contre l’écotaxe transformée en « révolte des Bonnets rouges » ? On peut le démontrer ?  Allons donc ! Le gilet jaune efface le bonnet rouge, et l’Institut de Locarn, blanc comme neige, n’a plus rien à voir avec le capitalisme. 

Tout baigne dans l’écologie et la propreté. C’est bien ce qu’écrivait Joseph Le Bihan dès le début : « Nous voulons une Europe de la civilisation et de la propreté ».  

Vaste programme… 

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