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Il était bien laid, le calvaire de Plorec-sur-Arguenon mais qui aurait cru que, telle la pissotière de Clochemerle, il allait déchaîner les fureurs et faire déferler sur ce petit bourg du pays gallo des indépendantistes bretons sous drapeaux ?
Planté en 1946 à un carrefour pour une raison qui semble oubliée, le calvaire de Plorec veillait, au milieu des champs remembrés, sur des panneaux routiers que nul militant nationaliste n’avait encore barbouillés.
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On ne contemple pas sans mélancolie ce petit paysage si banal, si modeste : en 2017, voilà qu’une Association pour la conservation du patrimoine de Plorec-sur-Arguenon décide, non de conserver le calvaire qui se conservait très bien, étant planté dans un socle de pierre, mais de procéder à son embellissement – embellissement très particulier, par multiplication des croix, qui se trouvent désormais au nombre de trois de styles différents et de provenance énigmatique, adjonction d’un christ de style sulpicien mis à pendre sur la croix, destruction du socle de pierre original remplacé par un bloc mastoc, le tout placé sur fond d’une moitié de mur dans un petit enclos grillagé genre jardin public. Le kitch banlieusard appliqué au calvaire. Telle est l’esthétique bretonne actuelle, pratiquée en toute impunité, au nom de la conservation du patrimoine, ainsi détruit un peu partout.
Cette création baptisée « réhabilitation » a reçu toutes les autorisations nécessaires – celle de la mairie, de l’agglomération et du département. Elle est en contradiction avec la loi de 1905 qui interdit de construire des édifices religieux sur le domaine public mais, dès lors que des militants, comme à Carnoët dans ce même département des Côtes d’Armor, se permettent de ravager une vallée entière en y plaçant de monstrueuses statues de saints bretons (et surtout pas français) avec la bénédiction des pouvoirs publics, il va de soi que la loi n’est plus que vestige d’une époque où la laïcité n’était pas un vain mot.
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Et pourtant, si nul ne s’est opposé à l’implantation de la Vallée des saints, il s’est trouvé à Plorec-sur-Arguenon un courageux citoyen pour demander le respect de la loi. Il a alerté la Libre Pensée qui a saisi le tribunal administratif, lequel lui a donné raison et a ordonné que le calvaire soit démonté. Le calvaire ? Lequel ? Il y en a trois !
Suite à cette décision, le conseil départemental, loin de se féliciter de la disparition de ce symbole d’une rare outrecuidance dans la bigoterie (puisque le monument original a été dénaturé), annonce qu’il compte, bien sûr, respecter la loi, « néanmoins, nous chercherons une solution pour préserver ce qui relève selon nous d’un patrimoine culturel qui date de très longtemps et qui est une mémoire à préserver ». Le mot essentiel dans cette déclaration est, on le comprend, « néanmoins » : la loi s’applique encore, néanmoins, il va quand même falloir la garder, cette croix. La garder pourquoi ? C’est du « patrimoine culturel » (pas politique) et qui « date de très longtemps » (1946). Il va donc falloir négocier… Négocier pourquoi ? Pour pouvoir malgré la loi garder la croix, pardi !
Sur ce, à l’instigation d’un militant nationaliste d’extrême droite, un certain Patrick (Padrig) Montauzier (surtout connu pour avoir, en action pour le FLB, fait sauter la galerie des glaces du château de Versailles, attentat d’une rare sottise qui lui avait valu un procès, lui aussi, retentissant), les militants d’Adsav, version bretonne du Bloc identitaire, déboulent à Plorec-sur-Arguenon (Ploareg-an-Argenon) sous la croix noire (Kroaz du), le drapeau inventé par Morvan Marchal (gwenn-ha-du) et autres bannières noires et blanches symbolisant la nation bretonne à reconquérir par le calvaire (kalvar).
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce combat ne se mène pas au nom de la religion catholique mais de la Bretagne (qui pourtant ne compte que 16% de catholiques pratiquants) et, plus surprenant encore, principalement contre l’islam, car c’est l’islam qui, sévissant à Plorec-sur-Arguenon sous le masque de la Libre Pensée, a surgi, le couteau troskiste entre les dents, pour priver la paroisse de Plorec-sur-Arguenon (Ploareg-an-Argenon) de sa croix si belle, si ancienne et si pleine de racines mystiques ethniquement pures.
Et si cette croix avait été placée par un cultivateur dans son champ pour commémorer la mort d’un vaillant FFI assassiné par l’un des SS que les nationalistes bretons assistaient avec tant de ferveur ? Oh, quelle déception ! Si les origines de la croix se révélaient impures, il faudrait, une fois de plus, refaire l’histoire et composer pour le pèlerinage à la croix le cantique « Kroaz Ploareg » qui prouverait que l’on a toujours chanté en breton à Plorec-sur-Arguenon.