Résistance et conscience bretonne

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Comme cet article sur le livre de l’historien autonomiste Jean-Jacques Monnier Résistance et conscience bretonne est long, j’en indique le plan pour commencer.


PLAN DE L’ARTICLE

Introduction

I. ABSENCE D’UN LIVRE OMNIPRÉSENT ou le poids de la propagande

 

II. ABSENCE DES FAITS RENDUS PRÉSENTS ou les militants bretons donnés pour résistants

1. Le poids du nul

2. Silences et travestissements

A. Une histoire rendue absente

B. La saga des ombres

•  Breiz Atao et Morvan Marchal

• Ar Falz et Sohier

• Les Seiz Breur et Creston

C. Le combat autonomiste changé en combat résistant

 

III. OMNIPRÉSENCE DE L’ABSENCE ou les résistants présentés comme militants bretons

1. L’étrange affaire du  « groupe Liberté »

A. Six petits scouts qui n’avaient rien compris

B. Six petits scouts qui disaient déjà tout

• L’ethnie contre la race

• L’à peu près tout et le n’importe quoi

• La fibre

2. L’hermine, la faucille et le marteau

A. Communisme et autonomiste, même combat ?

B. L’héritage de la Résistance détourné au profit du « combat breton »

C. Ceux qui n’en étaient pas en seront aussi

• Les égarés

• Les enrôlés

• Les convertis tardifs

• Les malgré eux

 

Conclusion

 

 

 

 

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Au début du mois de novembre 2007, le site du Conseil culturel de Bretagne diffusait une annonce de nature à inquiéter le lecteur quelque peu averti des problèmes que pose le nationalisme breton :

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Lundi 5 novembre 2007
Al levr edomp holl o c’hortoz abaoe pell / le livre que nous attendions tous depuis longtemps : <http://www.kuzul.info/article-13565234.html>

À vous tous qui avez été choqués, indignés, voire désemparés, ces dernières années, à la suite de la parution de nombreux articles et même de livres stigmatisant les défenseurs de l’identité et de la culture bretonnes en les présentant comme des nostalgiques de la période de l’Occupation, du régionalisme de Vichy, voire de l’idéologie nazie, il faut recommander la lecture d’un nouveau livre qui va sortir en librairie vers le 16 novembre : Résistance et conscience bretonne 1940-1945 (399 pages, 20 €). C’est un livre à lire absolument et à faire lire aux maximum de personnes autour de soi.
Cet ouvrage est préfacé par la grande historienne Mona Ozouf, directrice de recherche au C.N.R.S.
L’auteur, Jean-Jacques Monnier, est né à Londres en 1944 parce que ses parents avaient rejoint les Forces françaises libres. Docteur ès lettres, professeur d’histoire et chercheur, auteur de nombreux articles historiques et de plusieurs livres, il a notamment publié aux Presses Universitaires de Rennes un important ouvrage sur Le Comportement politique des Bretons (1945-1994).
Après huit années d’enquête et le recueil de centaines de témoignages de résistants, aujourd’hui très âgés ou disparus, Jean-Jacques Monnier révèle dans Résistance et conscience bretonne la rééalité d’une autre Bretagne militante, celle de l’antinazisme, incroyablement plurielle et attachante.

Résistance et conscience bretonne – Jean-Jacques Monnier
Editions YORAN EMBANNER

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Pour qui avait suivi les longs efforts accomplis au cours des dernières années en vue de s’opposer à la réécriture de l’histoire en Bretagne[1], il y avait là, de fait,  de quoi s’alarmer : pourquoi, sur le site d’un organisme subventionné sur fonds publics, cette publicité appuyée en faveur d’un livre, non encore publié, d’un historien autonomiste[2] ?

Surtout comment expliquer la publication d’un tel livre, revendiquant l’héritage de la Résistance, chez un éditeur nationaliste connu pour des publications pour le moins douteuses [3] ? Et avec préface de Mona Ozouf ?

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I. ABSENCE D’UN LIVRE OMNIPRÉSENT ou le poids de la propagande

 

Si le livre était introuvable en librairie, en revanche, dès le 1er novembre, le numéro de la revue ArMen annonçait en couverture « L’identité bretonne dans la Résistance », avant de s’ouvrir sur un article publicitaire : douze pages abondamment illustrées, précédées d’un éditorial du rédacteur en chef invitant d’entrée de jeu à effacer « l’équation “militant breton = collaborateur” forgé à l’époque de l’Occupation ».

La lecture de ce numéro, où l’article « L’hermine contre la croix gammée » précédait un article à la gloire du pâté Hénaff, le pâté qualifié d’« ethnique », donnait la mesure du confusionnisme dont les Bretons étaient supposés se faire la caution. L’article servile de Gérard Alle à la gloire de Jean-Jacques Hénaff, l’un des piliers de l’Institut de Locarn[4], n’était pas sans éclairer celui de Jean-Jacques Monnier : chacun à leur poste, les militants de service fournissaient, qui l’histoire revue, qui la louange d’un patronat forcément bon puisque breton, dont le projet politique prôné par Locarn avait plus que jamais besoin. L’autonomisme de gauche au service de l’ultralibéralisme : rien de plus banal, hélas, et rien de plus lamentable, hormis la démonstration historique dont l’article était l’expression.

Résumons-la puisqu’elle est vouée à être désormais serinée : les Bretons ont été résistants, les militants bretons, étant Bretons, étaient potentiellement d’excellents résistants, même lorsque, par inadvertance, ils ont fait cause commune avec les nazis ; le mouvement breton, injustement accusé d’avoir collaboré, est une extension un peu complexe de la résistance bretonne — avec, bien sûr, il faut le reconnaître, une petite poignée d’égarés dont les jacobins se sont servis pour noircir la cause bretonne, éradiquer la langue bretonne et précipiter l’« ethnocide culturel » dont le peuple breton est victime. D’où il résulte que le peuple breton ne s’en remettra que par l’autonomie, avec l’aide de ses bons patrons bretons, appuyés par ses bons élus bretons, et de son bon mouvement breton nettoyé de son passé. Le coup de torchon étant donné, aux Bretons d’être fiers d’être bretons.

Ouest-France, Le Télégramme, Presse-Océan, Armor magazine, la revue Bretons et autres publications de la même farine emboîtant le pas, toute la presse régionale se faisait l’écho de ce livre . Son message étant déjà connu, diffusé partout, fallait-il perdre son temps à le lire, dès lors qu’il était fait pour être cru avant d’être lu ?

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II. ABSENCE DES FAITS RENDUS PRÉSENTS  ou les militants bretons donnés pour résistants

Dans la mesure où cette opération de propagande nationaliste était vouée à devenir la vérité officielle, il était impossible de se dispenser de rappeler les faits les plus gravement altérés.

1. LE POIDS DU NUL

Mais, avant d’en venir à ce rappel nécessaire des faits, sans doute serait-ce une erreur d’occulter une donnée primordiale, à savoir le caractère illisible du volume.

De nombreux lecteurs ont considéré que, le livre leur tombant des mains, c’était perdre son temps que de l’analyser. Au contraire, l’accumulation de cas hétéroclites finit par laisser l’impression que, tout s’équivalant, résistants et autonomistes ont poursuivi, au fond, le même combat. Le volume n’est qu’une compilation d’exemples individuels accumulés où le résistant qui a une fois chanté le Bro goz, le FTP qui, à la retraite, a rallié l’UDB, le chef de maquis communiste qui parle breton, le fasciste qui, en juin 44, rallie la Résistance succèdent à trois pelés des Bagadou stourm devenus maquisards, deux tondus du Bezen Perrot partis en août 44 faire le coup de feu avec les alliés, un druide saboteur, un ovate gaulliste, le tout montrant que l’hermine, symbole de la Bretagne ducale revendiqué par le « mouvement breton » réactionnaire, s’est battue contre la croix gammée. Au total, à peu près deux cents cas donnés pêle-mêle — un nombre dérisoire pour toute la Bretagne, dira-t-on, et c’est vrai[5], mais ces cas sont souvent ceux de figures historiques de la Résistance, comme Jean Marin ou Rol-Tanguy, ici associées à celles de collaborateurs notoires.

L’union du n’importe quoi et du presque rien, loin d’être inoffensive, autorise ce tour de passe-passe : donner la Résistance bretonne pour celle du « mouvement breton », alors même que le « mouvement breton » était l’expression d’une idéologie massivement rejetée par la population. Qu’on se souvienne du cri « Breiz Atao, mat da lao » (« Breiz Atao, bon à tuer »). Oubliée, la révolte des Bretons contre les autonomistes : désormais, c’est l’hermine qui se bat contre la croix gammée ; le « mouvement breton » identifié à la Bretagne, englobe tout, FTP, FFI,  militants de Breiz Atao roulant tous pour la même cause, la libération de la Bretagne, ethniquement distincte, et toujours présentée comme victime de la France.

Lorsqu’un policier arrête un maquisard, le policier est un policier français ; lorsqu’un gendarme libère un maquisard, le gendarme est breton ; lorsqu’un résistant lit ou distribue L’Heure bretonne, jamais la teneur de ce journal nazi, raciste, antisémite, nourri de la haine de la France et tout acquis à l’Europe nouvelle, n’est  évoquée. Tout juste si, au détour d’une page, un instituteur nous déclare que L’Heure bretonne, journal intéressant, comportait quelques « idioties », non pas dues aux rédacteurs mais « sans doute commandées par le censeur allemand  » (p. 212). Qu’un octogénaire, dont les faits de résistance se limitent à avoir saboté le 18 juin 1944 une batterie de DCA évacuée, défende un journal fasciste qu’il n’a sans doute pas relu depuis plus de soixante ans et ne pourrait pas relire sans horreur aujourd’hui, est assurément consternant. Mais qu’un historien cite les propos de ce vieillard, sans la moindre réserve et, bien au contraire, en leur apportant sa caution, amène à tromper le lecteur sur la teneur d’une publication à laquelle ont collaboré tant de militants bretons ici présentés comme de purs résistants.

19 février 1943, L’Heure bretonne craint le retour des juifs.

Article en breton de Youenn Drezen (pseudonyme Tin Gariou)[6] 

et défense de la nation bretonne par Yves Jouanne, dit Alain Guel, dit Le Banner.

Or l’accumulation massive, sur près de 400 pages, de cas rabattus sur les mêmes lieux communs, produit un effet qui, lorsqu’on ignore le parcours des uns et des autres, peut finir par convaincre. Le livre est donc réellement dangereux, et d’autant plus que les faits ont été filtrés et que tout ce qui pouvait venir à l’encontre de la démonstration est passé sous silence.

2. SILENCES ET TRAVESTISSEMENTS

Soyons clairs d’entrée de jeu, si l’auteur ne l’est pas : Jean-Jacques Monnier ne nie pas que le « mouvement breton » ait collaboré avec les nazis. Les faits ont été établis de manière irréfutable par de nombreux travaux, qui ne faisaient d’ailleurs que confirmer l’aveu de l’historien autonomiste Michel Nicolas : « On doit à la vérité de dire que la quasi-totalité du Mouvement breton organisé politiquement a collaboré d’une manière ou d’une autre pendant la guerre[7].  »  Michel Nicolas ne faisait lui-même que confirmer ce que notait Georges Pinault, dit Goulven Pennaod, qui savait de quoi il parlait puisqu’il avait tenu à s’engager, encore lycéen, au Bezen Perrot. Notant, en 1972, dans la revue d’extrême droite La Bretagne réelle, que « la quasi-totalité du Mouvement breton a collaboré d’une façon ou d’une autre pendant la guerre », Pinault ne faisait que constater une évidence qui n’entraînait absolument aucun regret de sa part, bien au contraire. Ne pouvant nier les faits, l’historien les soustrait sur le mode « la chose est connue, n’y revenons plus ».

A. Une histoire rendue absente

C’est donc sur le fond d’une histoire absente, sans le repère et sans analyse idéologique, que se déroule sa démonstration : une minorité de militants nationalistes du PNB a collaboré, sans qu’on sache trop pourquoi, mais une minorité de cette minorité s’est détachée et il importe de s’en tenir à cette méritoire minorité puisqu’elle portait la vérité du mouvement breton tout ensemble ; il est vrai qu’une autre minorité s’est détachée de cette minorité pour s’enrôler sous uniforme de la Waffen SS mais, selon Monnier, on n’en a que trop parlé, l’abbé Perrot était un bon prêtre que la Résistance a eu tort d’abattre, et c’est abusivement qu’on a donné son nom au Bezen. Exit le Bezen Perrot, reste la « Milice Lainé » dont il ne sera plus question : place aux bons militants bretons qui furent résistants.

Une fois les faits décontextualisés, il suffit de les présenter de manière éparse, sans lien avec une histoire qui les rende compréhensibles ; ainsi peuvent-ils venir servir une démonstration double :

1. d’une part, un bon parti fédéraliste s’est séparé du Parti national breton ; en relation avec le parti communiste, il est entré dans la Résistance.

2. d’autre part, au sein du PNB fasciste, bien des militants bretons étaient de gauche et potentiellement ou effectivement résistants.

Cette démonstration repose sur des faits tronqués, mais pour en avoir la certitude, il faut les connaître, et les connaître en ayant aussi connaissance du dispositif d’ensemble du mouvement breton, de son idéologie et des textes qu’il a produits. Or,  la démonstration de Monnier s’appuie sans cesse sur des cas isolés, des exemples éparpillés, multipliés, parcellisés.

Lorsqu’il présente, par exemple, le groupe des bons fédéralistes antifascistes représentant le mouvement breton de gauche de l’entre-deux-guerres (qui comptait, au total, avoue-t-il, une centaine de personnes), il énumère huit noms de personnalités, d’après lui, importantes : Goulven Mazéas, Maurice (dit Morvan) Duhamel, Maurice (dit Morvan) Marchal, Arsène Gefflot, Hervé Le Menn, René Rickewaert, François (dit Fañch) Éliès (dit Abeozen) et Augustin Catteliot (p. 8).

Huit noms qui ne disent pas grand-chose. De ce Rickewaert, qualifié d’« adhérent de poids » que nous sera-t-il dit ? Rien. D’Hervé Le Menn, rien, d’Augustin Catteliot, rien. Tous les autres nous seront, au fil du volume, présentés comme de grands hommes de gauche, susceptibles d’avoir résisté. Cependant, Augustin Catteliot, du groupe terroriste Gwenn-ha-du, faisait bien partie de l’équipe de sabotage mise en place par les nazis avant leur écrasement final : on le trouve en Allemagne en mars 1945, aux côtés de son frère, membre du Bezen Perrot ; François Éliès, collaborateur de Roparz Hemon à la direction du poste de Rennes-Bretagne,  fut bien, comme on le verra, un partisan résolu du nazisme… et Morvan Marchal… Mais à quoi bon poursuivre ? « Pacifisme, fédéralisme, anti-impérialisme, antifascisme », tels sont les mots d’ordre de ces militants qualifiés de « lucides face au nazisme », comme si le pacifisme, le fédéralisme et l’anti-impérialisme n’étaient pas, dans ces années qui auraient dû être de mobilisation contre le nazisme, les mots d’ordre attendus de l’Allemagne et comme si le maître mot de leur action n’était pas l’ethnisme, pour ne pas dire le racisme pur. Mais le mieux est de nous en tenir à quelques cas donnés par Monnier pour exemplaires, ainsi celui de Morvan Marchal.

B. La saga des ombres

Pour que la démonstration de Monnier puisse tenir, il lui faut coûte que coûte, et au mépris des informations qui ont été données à ce sujet, légitimer le groupe Breiz Atao, qui rassemblait le chétif « mouvement breton » de l’entre-deux-guerres, en lui donnant label de gauche et en mettant en lumière les grands hommes de la cause, Morvan Marchal, le fédéraliste, Yann Sohier, le fondateur d’Ar Falz, René-Yves Creston, le résistant.

La légende dorée des grands hommes ne s’écrit qu’au mépris de faits que Monnier feint d’ignorer, alors même qu’ils ont été établis de manière irréfutable. Il est indispensable de les rappeler pour pouvoir replacer les exemples qu’il a choisis dans le contexte qu’il a effacé.

Breiz Atao et Morvan Marchal

Je pense l’avoir montré dans Le Monde comme si, paru en 2002 aux éditions Actes sud et reparu en collection de poche en 2005 — en tout cas, nul historien n’a pu mettre en doute les informations que j’ai données, et j’ai pu constater que Joël Cornette, auteur d’une Histoire de Bretagne parue depuis aux éditions du Seuil, reprenait, et parfois mot pour mot, mes pages à ce sujet[8] — le mouvement Breiz Atao qui a rassemblé les militants bretons de l’entre-deux guerres, est un mouvement maurrassien à l’origine, voué à la défense et à l’illustration d’une « race bretonne » celte et non française.

Sur ces bases idéologiques, le fait qu’il ait, par la suite, fait alliance avec les nazis n’a rien d’étonnant et j’ai donné assez d’extraits du journal Breiz Atao pour que l’on n’ait aucun doute à ce sujet. Je me bornerai ici à une seule citation de Morvan Marchal, le fondateur de Breiz Atao : « Un homme est venu qui a dit à ses frères : « Vous avez le droit de vivre selon votre race ». […] La même préoccupation tient au cœur les nationalismes de tous les petits pays en réveil : arracher l’intelligence de leur peuple à la culture étrangère imposée et reconstituer une civilisation nationale sur le vieux fonds racial et traditionnel. […] Un organisme commun doit nous permettre une fréquentation plus serrée, une aide morale plus efficace.  »

C’est écrit en mars 1925, au moment où l’institution du Congrès des nationalités rassemblant Alsaciens, Flamands, Basques, Corses et Bretons parmi d’autres « minorités ethniques » est fondée à Genève. Que cette organisation où l’influence de l’Allemagne est prépondérante ait encouragé l’irrédentisme est indéniable ; que ce soit à ce moment que le journal Breiz Atao qui comptait 250 abonnés, dont 200 qui n’étaient pas à jour de leur abonnement, se soit doublé d’un supplément littéraire, Gwalarn, dirigé par Roparz Hemon, alors étudiant, puis luxueux supplément artistique, Kornog, dirigé par René-Yves Creston, lui-même alors dénué de ressources personnelles, n’est assurément pas un hasard.

Ce n’est pas un hasard non plus si, en 1927, les responsables de Breiz Atao fondent le Parti autonomiste breton juste après avoir fondé le Comité central des minorités nationales de France. À la tête du Parti autonomiste breton, Maurice, dit Morvan, Marchal, Olivier Mordrelle dit Olier Mordrel, son cousin Bricler, François Debauvais. Autour d’eux, au Comité national des minorités, Paul Schall et Hermann Bickler, pour l’Alsace, Petru Rocca pour la Corse, Franz Wielders et Hans-Otto Wagner, l’un des responsables de l’Abwehr, les services secrets de l’armée allemande. Le fait que tous aient par la suite connu un engagement dans le nazisme ne peut être nié. On trouvera dans Le Monde comme si  la photo d’une poignée de main historique : Morvan Marchal serrant la main de Paul Schall sous l’œil de Yann Sohier et autres militants de Breiz Atao : leur présence à ce moment pour un tel engagement ne peut donc être mise en doute. Je le rappelais également, Schall et Bickler devaient compter « parmi les plus féroces soutiens du nazisme en Alsace. »

Ne pouvant nier le fait que les responsables de Breiz Atao ont, comme le mouvement nationaliste breton dans son ensemble, naturellement dérivé vers le nazisme en raison de bases idéologiques communes, Monnier prend deux ou trois arbres pour cacher la forêt et leur assigne une importance d’autant plus grande que leur appartenance à la forêt doit être rendue aussi floue que possible.

L’itinéraire de Marchal est ainsi rendu incompréhensible. De Maurras au druidisme pronazi, on peut cependant constater qu’il n’a pas manqué de cohérence. Au reste, c’est ce dont témoigne l’hommage qui lui a été rendu après sa mort dans La Bretagne réelle : Jon Mirande évoque son évolution « semblable à celle de bien des nôtres, depuis le catholicisme traditionaliste chouan jusqu’au néo-paganisme en passant par le nationalisme ethnique, expression des pagani d’Extrême Occident toujours dressés contre leur commun adversaire, le démocratisme égalitaire[9]. »  Difficile d’être plus explicite.

Sous l’Occupation, Marchal collabore à l’Institut celtique, milite pour le RNP de Déat et fonde avec l’aide de Mordrel, la revue druidique Nemeton. Une citation de Nemeton (automne 1943) suffira pour éclairer l’idéologie de l’inventeur du drapeau national breton :

« Une chose est certaine : tous les Etats autoritaires d’Europe ont dû adopter une législation d’exception concernant les Juifs. En Allemagne, cette législation est fondée, d’une part, sur les principes ethno-eugéniques formant la base de la communauté germanique ; d’autre part, sur le rôle économique purement parasitaire que joue l’Israélite au sein de la société. (Quels que soient les faits antérieurs qui ont déterminé cet état de choses, il est exact qu’il n’y a pas de Juifs au labour, pour beaucoup dans la Bourse.)

Vis-à-vis de ce problème, convenablement posé, comment va agir Vichy ? M. Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, l’examinera d’un pur point de vue confessionnel chrétien : …Le peuple juif est aussi la race maudite que le DÉICIDE, collectivement consenti, a condamné à ne plus avoir de patrie et à errer de par le monde. Argument pitoyable… Nous attendons de Vichy une loi complémentaire précisant que, parmi les nombreux agitateurs juifs qui furent crucifiés voilà vingt siècles, Jésus fils de Marie était également fils du Maître de l’Univers, et que les Israélites sont punis pour cela et rien que pour cela.   »

Monnier ne peut ignorer que c’est dans le journal Breiz kevredel (La Bretagne fédérale) de Morvan Marchal et autres bons fédéralistes de gauche (qu’il oppose aux mauvais séparatistes du PNB) que l’antisémitisme a fait son apparition ; il ne peut ignorer non plus à quel point l’opposition entre autonomistes et séparatistes était illusoire puisque, après la scission de 1931, Mordrel, Debauvais et les autres faisaient campagne ensemble pour les élections[10]. Il ne peut ignorer non plus que La Bretagne fédérale est un journal fondé, comme Breiz Atao, sur la défense d’une « race bretonne ». Le premier numéro, qui publie les statuts de la Ligue fédéraliste de Bretagne, est assez clair :

« Article 3. – Les membres actifs de la L.F.B. sont obligatoirement d’origine bretonne. Mais la Ligue admet à titre de membres associés tous ceux qui acceptent sa doctrine, quel que soit leur pays d’origine. (…) ils ne peuvent prendre part à aucun vote[11]. »

Seuls les Bretons de sang ont donc le droit de vote ; aux autres, le droit de suivre. Et Goulven Mazéas, présenté par Monnier comme l’incarnation même de l’antifascisme de gauche du mouvement breton, de préciser dans ce même numéro qu’il importe de défendre le « caractère racial » d’un peuple autant que son « patrimoine ancestral[12]». Joël Cornette reprend dans son Histoire de la Bretagne et des Bretons le passage du premier éditorial de Goulven Mazéas cité dans Le Monde comme si :

« La vérité, c’est que nos maîtres de l’heure nous arrachent morceau par morceau le sentiment de ce que nous sommes afin de nous remplir d’un ardent amour pour une prétendue patrie, patrie marâtre déjà adoptée par ceux qui ignorent leur mère patrie… Le sang qu’on nous a fait verser ne témoigne rien, si ce n’est qu’on nous a déjà fait faire fausse route, que nous avons peut-être renié une nationalité effective pour adopter une nationalité fictive à laquelle notre sang, notre race sont complètement étrangères (sic) »[13].

Ne pouvant ignorer l’idéologie de La Bretagne fédérale, Monnier ne peut ignorer non plus que les actions communes des fédéralistes et des nationalistes pronazis du PNB associent également les membres de l’autre fraction dissidente du mouvement breton, à savoir Breiz da Zont, partisan d’un national-socialisme intégral. Théophile Jeusset, son fondateur, expliquera en 1941, dans L’Heure bretonne, que son parti, quoique groupusculaire, a eu le mérite de remuer les idées qu’il a eu le plaisir de voir triompher dans le mouvement breton, à savoir « social-nationalisme, antijudaïsme, traditionalisme[14]». Ce groupe auquel appartenait Morvan Lebesque, membre actif de la campagne de soutien à Goulven Mazéas pour les élections, manifestait avec ceux que l’on nous présente comme les bons autonomistes antifascistes[15].

Mais, les actions en commun, les textes de La Bretagne fédérale et le fait que l’ethnisme associé au pacifisme n’était, en ces années d’avant-guerre, que l’idéologie la plus favorable au fascisme montant, tout passe à la trappe. Sur l’itinéraire de ces militants, ne reste que, tout à la fin, au détour d’un paragraphe, une unique phrase : « L’ancien militant de gauche Morvan Marchal, pacifiste et fédéraliste, après son retrait de l’action politique et son installation à Laval, n’a pas échappé, lui non plus, à une évolution vers l’antisémitisme, qui apparaît dans sa revue ésotérique, néopaganiste et confidentielle Nemeton. » Ne pouvant désormais nier les textes de Nemeton, Monnier se borne à minimiser cauteleusement les faits : ce n’était, après tout, qu’une revue confidentielle, Marchal s’était retiré de l’action politique sous l’Occupation et, fatalité incompréhensible, n’avait pas échappé à l’évolution générale vers l’antisémitisme. C’est évidemment faux : dès 1937, Marchal collaborait sous l’un de ses pseudonymes druidiques, Maen-Nevez, à la revue raciale Kad : « Sous l’influence d’un nouveau rédacteur, qui signe Maen-Nevez, Kad veut faire renaître un druidisme racial et culturel, à la mesure des besoins spirituels de l’Activisme Breton », écrit Mordrel à son sujet[16]. On ne peut pas plus opposer le « pacifiste et fédéraliste » Marchal au nazi Mordrel que prétendre que Marchal s’était retiré de l’action politique. Nous le retrouverons d’ailleurs, après sa condamnation à quinze ans d’indignité nationale, toujours fidèle à lui-même, collaborant à la revue La Bretagne réelle avec la fine fleur des nationalistes pronazis.

Prendre en compte la réalité des faits reviendrait à voir s’effondrer  l’édifice fragilement bâti sur une poignée de militants supposés représenter le « vrai » mouvement breton : Monnier fait donc en sorte de les ignorer.

• Ar Falz et Sohier

Accepter ces silences relève, de la part de Mona Ozouf, d’une volonté assurément compréhensible, en tant que fille de Yann Sohier, de maintenir cet édifice construit autour de la personne de son père. Mais, en tant qu’historienne, les cautionner en faisant comme si les preuves apportées pouvaient se dissoudre au bénéfice d’une vision fumeuse de l’héroïsme breton, indifféremment porté par la Résistance et les militants de Breiz Atao, est inadmissible.

En 2003, préfaçant le volume du 70e anniversaire du groupe Ar Falz fondé par son père, Mona Ozouf me reprochait d’avoir dissimulé dans Le Monde comme si, qu’elle avait donc lu attentivement, le fait que son père était mort avant l’Occupation. Accusation infondée, le contexte rendant la chose tout à fait claire, mais qui m’a amenée, lors de la réédition, à ajouter cette précision, qui ne change d’ailleurs rien à la démonstration : Yann Sohier, que Monnier donne pour expression même du mouvement breton qui allait trouver son prolongement dans la Résistance, a bien été « l’un des premiers et des plus fervents adhérents de Breiz Atao  », un militant nationaliste qui, lors de la scission de 1931, n’a, quant à lui, précisons-le pour souligner l’incohérence de la démonstration, nullement suivi les bons fédéralistes de gauche mais, bien au contraire, accompagné Breiz Atao dans sa grande dérive vers le nazisme.

Ne voulant pas l’accabler, je m’étais bornée à citer ceux de ses commentaires qui exprimaient, au sujet du programme national-socialiste SAGA de Mordrel dans Breiz Atao. une sorte de credo de base du mouvement nationaliste : approuvons-le au nom du grand  principe « ni rouge ni blanc, breton seulement », « nous en serons quittes pour passer à la fois pour des réactionnaires et des révolutionnaires. C’est tant mieux si l’on nous prend avant tout pour ce que nous voulons être : des Bretons.  »  Révolution ou réaction, l’important étant d’être breton et de préserver ce « nous » du mouvement breton, parlant au nom des Bretons, les commentaires de Sohier annonçaient bien cette union du fasciste Mordrel et du communiste Cachin autour de son cercueil.

Je m’en suis tenue là, laissant à ceux qui le voulaient le soin d’en savoir plus : Yann Sohier était mort en 1935, personne ne pouvait dire ce qu’il aurait fait sous l’Occupation. Un militant nationaliste de la première heure comme Francis Gourvil avait bien, dès le début de l’Occupation, réagi contre le mouvement breton, prenant le parti de la Résistance et, dénoncé à la Gestapo, emprisonné, entrepris un travail de déconstruction de l’idéologie nationaliste qui allait faire de lui après guerre un objet de haine durable dans les cénacles militants.

Rien ne permet de dire ce que Yann Sohier aurait fait sous l’Occupation, mais il suffit de parcourir sa correspondance pour constater que son approbation du programme national-socialiste de Mordrel était claire : « J’ai lu sur B.A. [Breiz Atao] les explications complémentaires sur le SAGA. Franchement, je suis bien revenu des quelques préjugés que j’avais au sujet de ce nouveau programme et je trouve qu’il peut nous réunir autour de quelque chose de neuf et de bien breton (…) Il fallait trouver une position nette au point de vue social et au point de vue religieux. Celle prise par SAGA n’est pas si mauvaise que cela, du moins pour la plupart d’entre nous qui avons une formation Breiz Atao », écrivait-il le 24 mai 1933. L’analyse est juste : le programme SAGA, « en faveur d’un national-socialisme breton », d’après Mordrel, son rédacteur[17], s’inscrit dans la droite ligne de Breiz Atao.

Sa correspondance, qui le montre préparant ses articles avec Debauvais, voire le chargeant de les écrire à sa place, est assez accablante pour permettre de prendre en compte des certitudes sur lesquelles faire l’impasse est impossible, je le soulignais dans Le Monde comme si[18]. Ar Falz n’était qu’une extension de Breiz Atao en direction des instituteurs laïcs, comme Sohier lui-même devait l’écrire : officiellement dirigée par lui, la revue était officieusement contrôlée par le Comité directeur de Breiz Atao. Après sa disparition, ayant toujours Meavenn, membre du groupe terroriste Gwenn-ha-du, pour gérante, elle a été dirigée par Jean Delalande, dit Yann Kerlann, dont l’engagement dans la collaboration est connu.

Par ailleurs, si Ar Falz a disparu sous l’Occupation, la revue a connu un prolongement. Joseph Martray, qui fut le plus proche collaborateur de Yann Fouéré à la direction de ses journaux La Bretagne et La Dépêche de Brest, journaux fascistes, prétendant jouer le jeu de la modération face à L’Heure bretonne par suite d’un calcul stratégique mis en œuvre avec l’aide de l’Occupant[19], entreprit, Fouéré lui-même le rappelle dans La Patrie interdite, de fonder sous l’Occupation la revue An Eost comme exact prolongement d’Ar Falz.

On trouve, de fait, An Eost présentée dans L’Heure bretonne avec enthousiasme : « Nous avons annoncé en son temps la création de Eost (sic) qui s’intitule lui-même : Cahier de liaison des instituteurs publics de Bretagne. Nous avions salué sa naissance avec sympathie car, dès son premier numéro, il avait rendu hommage à Yann Sohier, le premier en date des pionniers de l’enseignement du breton à l’école laïque […]. Dès le premier numéro, nous lisions en exergue, cette phrase de Sohier dont il semble que les rédacteurs d’Eost aient fait leur programme : “Nous combattons pour l’enseignement d’une langue dont dépend le développement intellectuel d’un million de Bretonnants et le relèvement de toute une Race”.  On ne s’étonnera donc pas de trouver dans chaque livraison un cours de breton, excellemment fait d’ailleurs par Alain Le Diuzet et Mme Annig Sohier[20]. » La veuve de Yann Sohier participe donc à An Eost. Or, si la revue se présente sous les dehors d’une publication maréchaliste bon teint se donnant pour « organe de liaison des instituteurs publics » (éditorial du numéro d’octobre 43), il est clair que cet « organe de liaison » vise d’abord à convaincre les instituteurs d’appliquer les récentes directives favorables à l’enseignement du breton et de l’histoire de la Bretagne. Joseph Martray lui-même n’apparaît jamais (ses éditoriaux sont, soit anonymes, soit signés Mauguet-Martin), la couverture illustrée par Xavier de Langlais dans le pur style nationaliste Seiz Breur exhibe des épis de blé en place de triskells et d’hermines, une chronique espérantiste appelle les lecteurs à une fraternisation universelle pour mieux passer par-dessus les langues nationales[21]… Mais Mauguet-Martin s’appuie sur Les Décombres de Rebatet, dénonce l’enseignement du latin, inutile pour des enfants « portant le sang des Celtes venus de Grande-Bretagne », et l’hommage à Yann Sohier auquel participe sa veuve est rendu, au nom du « relèvement de toute une race », par François Éliès qui se dissimule sous le pseudonyme de Kerdilez car, à cette date, il n’est plus enseignant mais s’est engagé, comme Roparz Hemon, dans la collaboration ouverte avec les nazis.

Son éloge de Yann Sohier mérite d’être cité pour montrer à quel degré d’aberration pouvait mener le projet de relever la « race bretonne » par la langue. « Né à Loudéac, de parents hauts-bretons, il eut pour langue maternelle le français. Ce n’est donc pas un attachement sentimental au parler de son enfance qui fit de lui un partisan du breton », écrit-il, avant de constater qu’ayant décidé de « réacquérir une langue qu’il considérait comme l’héritage le plus précieux qui fût venu jusqu’à nous de la Bretagne celtique » et « ne se reconnaissant lui-même aucunement le don d’acquisition des langues », il se soumit inflexiblement à cet apprentissage. « Si une certaine timidité naturelle l’empêcha toujours de se lancer dans la conversation courante et continue, son travail persévérant lui permit une connaissance plus que satisfaisante de la langue littéraire qu’il lisait couramment et qu’il parvint même à écrire assez correctement comme il me fut donné de le constater lorsqu’il me soumit le texte de sa traduction d’Hiawaza» Possédant à peine la langue, Sohier traduit donc Longfellow mais doit avoir recours à Éliès pour corriger ses fautes de grammaire élémentaire… Plus aberrant encore : il « enseigna lui-même le breton, au moins à un élève, à sa fille Mona. Il se soumit sans défaillance à la stricte discipline de ne lui parler que breton, lorsqu’elle était tout enfant, afin qu’elle eût cet avantage, qu’il regretta toujours de n’avoir pas eu en partage, d’avoir parlé breton dès le berceau[22]. » Incapable de tenir une conversation suivie en breton, parlant cette langue avec un effroyable accent français[23], il se contraint à ne s’adresser à sa fille qu’en breton unifié, langue supposée être celle de ses origines (puisqu’il lui a fallu la « réacquérir »), tout en marquant le plus profond mépris pour le breton que parlent ses élèves : « Le breton de Plourivo est si différent du breton écrit que je n’ai nulle envie de gaspiller le peu de temps libre qu’il me reste à son étude », écrit-il à Éliès le 23 mai 1932[24]. C’est dans cette même lettre qu’il renvoie dos à dos « les idiots de Breiz da Zont et de War Zao », autrement dit les partisans du national-socialisme breton et, alors même qu’il se dit communiste, la tendance communiste du mouvement breton : seul trouve grâce à ses yeux le PNB de Mordrel et Debauvais !

Au moment où Éliès collabore à la revue de Martray, il a publié ses grands articles d’adhésion à l’Europe nazie dans L’Heure bretonne et dans Galv. Il collabore régulièrement à cette dernière revue qui, dès le premier éditorial de son directeur, Hervé Le Helloco, se présente comme organe de combat de l’élite bretonne pour le Reich. Il n’est pas inutile de citer un échantillon de la prose d’Éliès puisque Le Helloco est cité par Monnier au chapitre de « l’antisémitisme d’État » (sous-entendu : français) au nombre des « justes » :

 « Avant d’entendre dire qu’il y a des rapports et une parenté étroite entre de Gaulle, les propriétaires de banques et les francs-maçons de haut rang, j’avais remarqué que tous les richards étaient de son côté, je ne dis pas les chefs de grandes entreprises et les commerçants. Ces derniers ont mieux à faire avec les projets colossaux du Grand Reich. Les gens qui vivent de leurs rentes sont, eux, pour la plupart gaullistes convaincus. Quand on pense que bon nombre d’entre eux allaient tous les ans faire un petit tour à Londres, à Jersey ou à Guernesey en y emmenant leurs rentes pour éviter de payer leurs impôts au gouvernement de leur État, on comprend mieux. Si l’Angleterre ne gagne pas, les rentes sont « foutues ».

Pour les francs-maçons et leurs valets de toutes sortes, la chose est tout aussi claire. Les gens du Grand Reich sont fortement opposés aux chapelles des « frères trois points »[25] pour deux raisons au moins : ils n’aiment pas les sociétés secrètes et encore moins l’influence des juifs sur ces sociétés. Quelque deux cent mille juifs attendent dans le midi de la France l’autorisation de traverser l’Atlantique pour aller grossir au pays de Roosevelt la fraction favorable à la guerre, qui sera faite avec la peau des autres. […] Et nous demandons maintenant : le cerveau des Celtes de Petite-Bretagne a-t-il été vidé, leur cœur a-t-il été empoisonné par les valets de la France au point qu’ils ne puissent pas comprendre quel avantage est pour eux l’arrivée des armées du Grand Reich à l’extrême pointe de l’Occident ? [peseurt talvoudegez he deus evito donedigez armeou ar Reich Meur e penn pella ar C’hornog] Tant pis pour eux !

Ils ont à choisir entre deux choses : soit jouer leur partie personnelle dans une Europe renouvelée, qui n’aura plus rien de commun avec la vieille, Dieu soit loué ! ou rester avec les morts ensevelir les morts, comme on le dit dans la Bible.

En vérité, les peuples n’ont que le destin qu’ils méritent. À la Bretagne de choisir : ou la mort ou la vie[26]. »

Annick Sohier collabore donc à une revue pétainisme où le « résistant » Martray œuvre à la promotion du breton dans l’Europe nouvelle où la « race bretonne » viendra prendre place parmi les autres races[27]. Elle reste en relation avec Debauvais, comme le rappelle dans ses mémoires Anna Youennou, la veuve du « chef breton » qui fut, du début jusqu’à la fin, le plus ardent soutien de l’alliance avec les nazis (il soutint Célestin Lainé, le fondateur du Bezen Perrot avant de mourir dans un sanatorium de la SS). Ce qu’elle écrit ne plaide pas en faveur d’un refus de collaborer : « Au milieu de tant de bouleversements qui nous ont mis l’espoir au cœur », écrit-elle le 9 janvier 1941, « pauvre Yann, pauvre Jakez ! Avec quel enthousiasme ils auraient repris le travail à poignée ! ». Yann Sohier et Jakez Riou n’auraient donc pas, selon elle, suivi l’exemple d’Armand Keravel, partisan de l’attentisme, et encore moins celui de Francis Gourvil, authentique résistant.

De fait, Yann Sohier n’était plus de ce monde, mais son équipe continuait : la responsable d’Ar Falz était Françoise Rozec, dite Meavenn, dont l’itinéraire, du groupe terroriste Gwenn-ha-du au départ avec la milice bretonne sous uniforme SS, est assez connu ; c’est son mari,  Louis Andouard, qui avait dessiné  l’insigne d’Ar Falz, une faucille associée à une croix gammée inversée[28].

Delalande allait créer, sous l’Occupation, une école en langue bretonne pour les enfants des cadres du PNB subventionnée par prélèvement sur la solde des miliciens du Bezen Perrot dont le chant de marche était de son invention ; collaborateur de L’Heure bretonne, il est à Berlin en juin 1940 pour organiser avec Debauvais, Mordrel, Hemon et d’autres une milice bretonne chargée d’aller combattre aux côtés des Allemands. Les prisonniers bretons rassemblés au camp de Luckenwalde ne se pressent guère de s’enrôler, en dépit de la libération promise, mais Delalande admire les jeunesses hitlériennes : « Miz mezeven 1940 – Avec Emma, Kerlann et Jeff, nous nous rendons Veig et moi, au grand rassemblement de foule où Hitler doit prononcer un discours, C’était une occasion unique de le connaître autrement qu’en effigie […] Kerlann regrettait que sa femme ne fût pas là pour voir le défilé des jeunesses hitlériennes, filles et garçons, qui, dans un ordre impeccable, allaient prendre position non loin du podium[29]. »  Ne revenons pas sur l’itinéraire de François Éliès, évoqué au nombre des bons fédéralistes de gauche, qui allait adhérer au nazisme : dissimulant ses écrits dans Galv, Monnier écrit, non sans hypocrisie, que « pacifiste, très à gauche, il acceptera finalement la proposition de Roparz Hemon de travailler pour les émissions en breton pendant la guerre.  » (p. 37) « Pacifiste, très à gauche, il acceptera… » peut signifier aussi bien que parce que « pacifiste, très à gauche » , il accepte… ou que, « bien que pacifiste, très à gauche » , il accepte… ce qui, dans le contexte, signifie simplement que, quoi qu’il ait pu faire par la suite, « pacifiste, très à gauche », y compris lorsqu’il collabore à Radio Rennes ou écrit des textes pronazis, il est le même, militant breton de Breiz Atao, donc engagé dans le combat progressiste qui est celui du mouvement breton. Cela lui permet d’évoquer son cas entre celui d’Antoine Mazier et de Fañch Danno, deux militants de la SFIO, et de les amalgamer aux leurs.

Même formulation ambiguë dans le cas de Delalande : « Au moment de la guerre, en désaccord avec Armand Keravel, Kerlan (sic) estime qu’il faut prendre le risque de se compromettre pour obtenir des avancées en faveur de la langue bretonne. Kerlan ouvre une école en langue bretonne à Plestin-les-grèves pendant la guerre, ce qu’il paie d’une radiation de l’Éducation nationale et d’une courte interdiction de séjour.  » Traduit en langage clair, Keravel, secrétaire général d’Ar Falz après l’Occupation, est présenté comme le digne héritier de Sohier contre son successeur, Delalande, quelque peu compromis — mais en quoi et comment, cela n’est pas dit. J’avais pourtant cité dans le Monde comme si l’un de ses articles de L’Heure bretonne : «  Vous avez à retrouver l’Esprit de la Race en parlant, en lisant, en écrivant, en chantant en breton !… »  Retrouver l’Esprit de la Race sous contrôle du Reich, tel était le programme enthousiasmant du président d’Ar Falz le 8 novembre 1941. Je rappelais aussi que c’est ce qui l’avait amené à composer le chant de marche du Bezen Perrot et ouvrir une école pour les enfants des cadres du PNB, école payée notamment par prélèvement sur la solde des miliciens du Bezen. Rien de tout cela n’étant précisé, Delalande est présenté comme un martyr de la cause puisque ouvrir une école en langue bretonne lui vaut d’être radié de l’Éducation nationale. Quant à la peine de dégradation nationale, elle est convertie en une « courte interdiction de séjour  ».

Au sujet de Keravel, qui mena après l’Occupation un combat acharné contre les nationalistes héritiers de Roparz Hemon, et qui se trouve ainsi venir prendre place à leurs côtés dans le melting pot breizhophile, une concession de Monnier : il n’a pas fait de résistance[30] —, mais cet aveu ne sert qu’à mieux associer Ar Falz aux FFI. En effet, du fait que Keravel et Delalande connaissaient Tanguy-Prigent, chef FFI et futur ministre de l’Agriculture, tous deux viennent se glisser après lui, et juste avant Marcel Hamon, responsable FTP pour la région ouest, dans le long défilé des militants bretons résistants. C’est oublier que si Keravel fut membre du Parti autonomiste breton, en revanche, sous l’Occupation, il mit en garde les membres d’Ar Falz (une quarantaine d’enseignants) contre Delalande et les autres. Le fait que Marcel Paul ait correspondu avec lui au moment de la loi Deixonne qui autorisait l’enseignement du breton ne signifie nullement que Marcel Paul était un militant breton, pas plus qu’Armand Keravel n’était un résistant. Mais les voilà associés dans le douteux combat de l’hermine contre la croix gammée.

• Les Seiz Breur et Creston

  S’il est un militant qui occupe une place de choix au panthéon des militants bretons engagés dans la Résistance, c’est bien René-Yves Creston (1898-1964).

Cette fois, nous avons un membre de Breiz Atao de la première heure, qui participe à la fondation du Parti autonomiste breton en 1927, à la fondation du groupe des Seiz Breur (association d’artistes bretons inspirée par le militantisme panceltique : l’article 1 des statuts stipule qu’il faut être de sang breton pour en faire partie) puis, comme nous l’avons vu, crée la revue Kornog  (Occident), supplément artistique du journal Breiz Atao dirigé par Mordrel (l’autre supplément est Gwalarn, dirigé par Roparz Hemon), avant de participer, sous l’Occupation, à la fondation de l’Institut celtique de Bretagne[31]. Un parcours complet de militant autonomiste, donc — et qui, tout à la fois, bénéficie de l’aura de résistant de la première heure.

Le personnage ne brille pas par les scrupules (Daniel Le Couédic, qui a évoqué longuement son itinéraire en faisant preuve de la plus grande indulgence à son égard, rappelle l’escroquerie par quoi s’ouvre sa carrière : deux bourses perçues pendant quatre ans pour étudier à l’École des Beaux-arts dont il ne fut jamais élève[32]). Les recherches de Daniel Le Couédic sur Creston, qu’on les approuve ou non, font autorité ; lorsqu’un document lui semble mériter d’être cité, il le mentionne sans dissimuler sa part d’ombre.  Cependant, Jean-Jacques Monnier, alors même qu’il consacre un chapitre entier à ce qu’il appelle « l’odyssée nazairienne », à savoir les hauts faits de Creston chargé par le Réseau du Musée de l’Homme de faire de l’espionnage à la base sous-marine de Saint-Nazaire, et un chapitre entier à Creston lui-même, ne cite jamais les recherches de Daniel Le Couédic. S’il mentionne le volume Ar Seiz Breur dans sa bibliographie, et s’il est clair qu’il l’a utilisé, il passe sous silence ou interprète à sa guise les informations données.

Bornons-nous à un exemple pour mettre en lumière ce procédé.

Rappelant que Creston allait, comme Éliès, collaborer au poste de Rennes-Bretagne dirigé par Roparz Hemon, Daniel Le Couédic précise que « peu enclin à rester entre Ille-et-Vilaine il présenta un programme conçu pour les étudiants des écoles d’art et baptisé “Voyage d’études des grands calvaires de Bretagne”qu’il entendait guider à bicyclette pendant vingt jours de septembre. Il en avait déjà informé L’Heure bretonne, qu’il allait par ailleurs abreuver d’articles publiés sous différents pseudonymes, dont le pittoresque “Aimab Halgan, tourneur de pots à Osca[33]. » Creston allait donc « abreuver »  le journal qui fut en Bretagne l’expression même de l’engagement aux côtés des nazis, d’articles publiés sous pseudonymes, notamment le pseudonyme « Halgan », apparu en des circonstances politiques bien précises[34] et signant des engagements politiques assez inquiétants pour exiger le recours au pseudonyme.

On serait en droit de reprocher à Daniel Le Couédic de ne pas préciser la teneur de L’Heure bretonne, de ne pas donner la moindre idée de la teneur des textes et des dessins de Creston, et de rendre ainsi impossible l’analyse de cette collaboration à un journal créé et payé par les nazis.  Du moins cette collaboration n’est-elle pas passée sous silence ; on aurait pu croire que la première démarche de l’historien soucieux de faire preuve de rigueur aurait consisté à faire le point sur la collaboration de Creston à L’Heure bretonne (et, dans la foulée, pour être cohérent, à l’Institut celtique et autres organismes de la collaboration en Bretagne). Bien au contraire, Jean-Jacques Monnier écrit : « Ce qui a pu prêter à confusion sur la conduite de Creston est qu’il continue, sous un pseudonyme, à fournir des articles culturels —notamment sur la Brière — à L’Heure bretonne, organe du PNB et à exercer la fonction de vice-président à l’Institut celtique. Cette “découverte”, un demi-siècle plus tard, a servi de fondement à une attaque en règle contre Creston, et, à travers lui, contre le mouvement breton d’aujourd’hui. » (p. 189).

Rien donc que quelques « articles culturels » sur la Brière et autres.

De quelle « attaque en règle » s’agit-il ? Monnier se garde bien de le préciser car il lui faudrait alors y faire référence et répondre à des arguments qui ont été donnés. Or, il lui importe de dissimuler la teneur de la collaboration de Creston à L’Heure bretonne, ce qu’il ne pourrait faire s’il mentionnait, par exemple, l’article mis en ligne sur Amnistia[35] ou les pages reproduites sur le site de Pierrik Le Guennec[36].

Sur ce dernier site, l’analyse est sans concession : le dessin de Creston signé Halgan est mis en contexte, la page de L’Heure bretonne montrée à tout lecteur soucieux de comprendre ce que peut signifier le dessin progressivement ciblé.  Ainsi peut-on comprendre le dessin légendé « L’aube de l’ère nouvelle apporte aux Celtes une nouvelle espérance » : le glaive en main, le soldat qui célèbre l’aube de l’ère nouvelle s’apprête à se battre car,  annonce le gros titre qui barre la page  « L’EUROPE VA SE RECONSTRUIRE : la débâcle des armées soviétiques prépare la défaite des Anglo-saxons ». L’oppresseur anglais étant vaincu, les Celtes voient luire une nouvelle espérance avec la victoire du Reich. C’est précisément ce qu’explique cet article signé Raymond Delaporte (ce qui montre à quel point le fait de passer Delaporte pour un « modéré » est dérisoire). En colonne de gauche, l’annonce de la fondation de l’Institut celtique de Bretagne le 20 octobre 1941 vient s’inscrire à l’intérieur de la démonstration euphorique illustrée par Creston : « La renaissance du monde celtique n’est plus un mythe ». Il s’agit donc d’une page conçue et illustrée en pleine concertation.

Les dessins de Creston, assez terrifiants, on peut s’en assurer, sont des dessins politiques. Ils se situent dans la droite ligne de sa production et sont en pleine cohérence avec ses engagements avant et sous l’Occupation.

Son activité à la section arts de l’Institut celtique de Bretagne, n’a nullement été une simple activité de surface destinée à servir de paravent. Au contraire, Daniel Le Couédic a montré ses manœuvres et ses tractations en vue d’arracher à l’ICB la création d’un Centre de Coordination des Recherches ethnologiques dont il aurait eu le contrôle. L’Institut celtique, fondé en 1941 à l’initiative du Sonderfürher Weisgerber et présidé par Roparz Hemon, avait pour but d’ « influencer des parties importantes de la population » et de « faire passer des idées allemandes  », comme l’expliqua Weisgerber lui-même[37]. Il s’agissait d’une tête de pont, rassemblant une sorte d’élite collaborationniste bretonne, allant des membres des Seiz Breur au Gorsedd des druides en passant par Fouéré, Debauvais, Marchal, Drezen, lui-même membre des Seiz Breur et dont Creston avait illustré le poème raciste Kan da Gornog  (Chant pour l’Occident)[38].

Jean-Jacques Monnier, citant Pierre-Roland Giot, interrogé dans les derniers mois de sa vie, assure qu’il s’agissait là d’une « couverture » nécessaire car il avait été « mis par les Teutons en résidence surveillée dans la région de Rennes ».

L’argument n’est pas recevable.

Blumenson, donné par Monnier lui-même pour spécialiste du réseau du musée de l’Homme, écrit qu’en 1941, les nazis « lui firent signer l’engagement d’aller vivre à Rennes et de passer chaque jour au commissariat de police. Persuadé que les Allemands l’avaient à l’œil, il se tint tranquille jusqu’à la fin de l’Occupation[39] ». Les activités de Creston pour la Résistance se sont donc arrêtées en juin 1941, alors que ses activités collaborationnistes connaissaient une croissance exponentielle…

Creston, après la Libération, allégua qu’il avait démissionné de l’Institut celtique le 16 décembre 1943 pour désaccord politique mais sa correspondance témoigne, au contraire, de son aigreur face au refus de Roparz Hemon de céder à ses manœuvres[40]. D’autre part, nous avons déjà eu un éclairage sur la résidence surveillée : lorsque Creston envisage de faire subventionner pour septembre une découverte des calvaires à bicyclette, il vient juste d’être libéré par les Allemands et, assigné à résidence à Amanlis, reste sous contrôle…

Mais là n’est pas le plus étrange.

Reprenons les faits tels qu’ils nous sont présentés par Monnier.

« Au mois de juillet 1940, l’un des premiers groupes de résistance se constitue autour du Musée de l’Homme, au sein duquel Creston travaille déjà, en contact avec Londres. L’ethnologue-artiste reçoit la mission de se procurer un plan détaillé du port de Saint-Nazaire, occupé et fortifié par les Allemands, en particulier de la base sous-marine.  » Quoi de plus simple ? Quelques jours plus tard,  Creston repart avec les plans dans sa serviette. À qui s’est-il adressé pour atteindre ce résultat prodigieux ? À un jeune militant breton et à un certain Batillat, membre des Seiz Breur, collaborateur de Kornog et autonomiste, auteur d’un projet de maison futuriste surmontée du Gwenn-ha-du et baptisée Ti Sin Fein…

Après guerre, Creston affirmera que dès le 2 août 1940, il faisait partie des Forces françaises libres, ce que personne n’a confirmé. En revanche, dès octobre, il adresse une lettre circulaire aux membres de la confrérie des Seiz Breur, les incitant à contribuer positivement à la réorganisation en cours de la Bretagne, autrement dit à collaborer, en rejoignant le « Front breton » et le « Comité national breton », contrôlé par les séparatistes alliés aux nazis. Cette lettre circulaire vaut pour engagement.

Le 10 février 1941, les principaux dirigeants du réseau du Musée de l’Homme sont arrêtés. Creston n’est pas inquiété mais, loin de se cacher, « alerté par une fouille grossière de son appartement », il va se livrer le 11 février au motif qu’il est sûr qu’aucune preuve ne peut être retenue contre lui. Innocent, quoique coupable, mais si sûr de son impunité, le voilà emprisonné à la prison du Cherche-Midi, puis à Fresnes.

Alors que la plupart des membres du réseau sont  fusillés, il sort, lui, libre le 12 juin mais assigné à résidence — ce qui ne l’empêchera pas, comme on a pu le voir, de se déplacer à sa guise et même de faire subventionner, quelques semaines après sa sortie de prison,  la Gestapo étant sans doute distraite, des voyages d’étude à bicyclette.

Daniel Le Couédic précise qu’il a été libéré de prison sur intervention du Sonderführer Weisgerber, de Roparz Hemon et de François Debauvais[41], autrement dit les trois personnages les plus influents de la collaboration avec les services secrets nazis. Curieuses recommandations pour un résistant ?  Mais il y a plus étrange : « À la fin de l’instruction concernant le réseau du Musée de l’Homme (janvier 1942), une équipe de policiers de la Gestapo vint enquêter pendant deux semaines à Saint-Nazaire sur l’origine du fameux plan, sans résultats. » (p. 189). Creston est libre et mène une activité collaborationniste frénétique, mais, alors même qu’il vient de Saint-Nazaire, la Gestapo qui mène enquête sur les « fameux plans » dérobés ne trouve rien et ne l’inquiète pas…

Même si Monnier nous explique, en contradiction complète avec les affirmations de  Blumenson, que Creston a continué de donner des renseignements aux Anglais, force est de conclure qu’à partir de 1940 ses actes de résistance se perdent dans un tel flou que l’on ne peut rien en dire.  En revanche, ses actes de collaboration se multiplient avec une constance qui l’amène à faire de basses manœuvres pour intégrer le très pétainiste Comité consultatif de Bretagne mis en place par Fouéré[42]. Éjecté de la direction de l’Institut celtique de Bretagne et des Seiz Breur, il se vengera peu glorieusement après la Libération en dénonçant treize membres des Seiz Breur comme ayant été coupables de faits de collaboration.

Citons encore à ce sujet Daniel Le Couédic : arrêté en septembre, Creston « dut subir l’interrogatoire de FFI peu convaincus de ses vertus résistantes. Il parvint néanmoins à se disculper et s’évertua ensuite à recueillir des témoignages en sa faveur, puis proclama son adhésion au Parti communiste français, affichant même à l’occasion une surprenante idolâtrie stalinienne. Il recourut également à quelques maquillages de précaution, avançant d’une année sa démission de l’ICB, maintenant imputée au rejet de sa dérive politique, caviardant son nom sur les exemplaires d’Histoire de notre Bretagne[43]… »

De l’autonomisme à l’autonomisme, via le pétainisme et le stalinisme, tel fut l’itinéraire de celui qui reste, avec Morvan Marchal et Yann Sohier, l’incarnation du mouvement breton dit de gauche…

Pour conclure, une lettre bien connue de François Éliès au sujet de Creston, a, du moins, le mérite de la franchise : « Nous avons été grands amis. Les années 40-45 ont été funestes à cette amitié. Il a trop joué le double jeu pour que j’aie confiance en lui comme avant cette terrible époque »[44].

Si Daniel Le Couédic a l’honnêteté de souligner quelques défaillances dans cet itinéraire bien tortueux, force est de constater que Jean-Jacques Monnier les dissimule toutes.

C. Le combat autonomiste changé en combat résistant

 On en dirait autant du cas de Joseph Martray qui occupe une place importante dans le volume — place qui se légitime d’ailleurs par le rôle qu’il a joué dans la presse collaborationniste bretonne, puis dans la poursuite de l’action militante via les institutions bretonnes et européennes après guerre jusqu’à nos jours. Mais c’est comme résistant qu’il nous est présenté d’entrée de jeu, puis en toute occasion,  l’historien ne manquant jamais de rappeler la présence du « résistant Martray ».

Le traitement des faits est assez révélateur pour que l’on s’y arrête  assez longuement.

« Dans les réseaux de la Résistance, l’un des cas les plus mal connus est celui  de Joseph Martray, alias Mauguet-Martin, membre du Mouvement de Libération nationale (MLN) et du réseau Défense de la France, alors qu’il était rédacteur en chef du quotidien La Dépêche, de décembre 1943 au 8 juin 1944  », écrit Monnier (p. 257).

Mauguet-Martin, précisons-le, n’est pas le nom de guerre du résistant Martray mais le pseudonyme employé pour ses articles dans la presse contrôlée par Fouéré — non seulement La Dépêche de Brest mais La Bretagne dont le contenu a fait l’objet d’analyses critiques accessibles à chacun (on y trouve des textes antisémites parmi les plus violents jamais écrits en breton)[45]. Il est convenu de qualifier ces journaux de « vichystes », voire de « modérés », ce qui ne rend pas compte du double jeu pratiqué par Fouéré, offrir une face régionaliste aimable permettant d’œuvrer avec les séparatistes les plus résolument pronazis tout en paraissant leur être opposés. Inutile de s’attarder à étudier cette stratégie : il suffit de se pencher sur le dossier de création de La Bretagne bien analysé par Henri Fréville pour être édifié, ou simplement de constater que c’est Fouéré qui, en fuite à la  Libération, a monté la filière de faux passeports qui a permis aux membres du Bezen Perrot de trouver refuge en Irlande. Dans la mesure où il s’en fait gloire, et détaille les arrivées de jeunes miliciens, il est impossible d’ignorer ce double jeu : son essai La Maison du Connemara est, à ce sujet, assez explicite.

C’est dans ce volume qu’exposant comment, en 1956, il prépare avec l’avocat de Pétain, Me Isorni, qu’il a choisi pour sa défense, le dossier destiné à lui permettre de faire revoir sa condamnation, il précise que Martray fut naturellement appelé à venir le soutenir : « Il était le témoin le plus proche des faits que je pouvais trouver, ayant été pendant plusieurs années mon adjoint le plus direct à la direction politique de mes journaux[46].  »

Étroitement associé au combat politique de Fouéré, Martray est nommé en 1942 délégué régional de la Jeunesse[47], puis président de l’Union folklorique de Bretagne— les organisations de jeunesse et les associations folkloriques étant un moyen d’investir des structures plus larges. Avec Martray, Fouéré réussit au-delà de toute mesure : après avoir expliqué comment il a su faire de la Délégation régionale à la Jeunesse un instrument de propagande efficace, a créé de sa propre initiative la revue An Eost, puis tenté de regrouper les cercles celtiques sous sa férule, sans toutefois y arriver aussi brillamment, il conclut : « Du moins l’éphémère Union folklorique de Bretagne nous permit-elle, quelque temps après, de faire entrer Martray au Comité consultatif de Bretagne[48].  »

« Nous permit-elle » : Martray, homme de Fouéré, est dans la place, pour assurer le triomphe de son grand œuvre, le Comité consultatif de Bretagne créé par le préfet Jean Quenette, mis en place suite aux manœuvres des militants bretons[49]. Mais, selon la stratégie du double jeu institué,  si le préfet entend réserver l’action du comité à l’étude des questions culturelles, ce qui est visé, c’est bien la mise à exécution d’un projet d’autonomie avec assemblée régionale élue, bretonnisation des emplois, et autres revendications politiques.

Cela devient sous la plume de Monnier : « L’engagement culturel breton de Joseph Martray le fait nommer au Comité consultatif de Bretagne » (p. 258). Il nous faudrait donc croire que ce doux militant culturel, tout en poursuivant ses activités dans cet organisme si prisé des autonomistes, ne collabore à la presse fasciste que parce que la Résistance lui a donné son aval. Ce grand résistant, rédacteur en chef de journaux qui ne cessent de prôner l’Europe nouvelle, accomplit, en fait, une mission… Étrange mission qui n’influe en rien sur son idéologie ? Mais c’est, explique-t-il, qu’elle consistait à supprimer des photos de résistants recherchés et refuser certaines publicités ! Ensuite de quoi l’héroïque Martray rejoint le 8 juin le maquis de Landehen.

Fouéré donne une version des faits bien différente :  « À la suite du débarquement allié, la réception des informations, l’organisation de la distribution étaient devenues impossibles. Elles le restèrent jusque vers la fin juin. Nous avions donc dû suspendre la parution des deux quotidiens. Martray en avait profité pour disparaître. Je ne m’en étonnais pas outre mesure ; j’étais persuadé qu’il tentait de mettre en action le plan qu’il m’avait exposé et auquel j’avais acquiescé. Il nous fallait essayer de sauver quelque chose afin de ne pas laisser le mouvement breton désarmé, privé de toute tribune et de tout moyen de s’exprimer.

Il avait donc été convenu que le moment venu, il rejoindrait un groupe clandestin d’instituteurs laïcs, affiliés à la Résistance et avec lequel grâce à An Eost il était entré en contact.  »

Quand Martray a-t-il choisi de disparaître pour rejoindre la Résistance ? « Quand les services allemands de la Staffel demandèrent impérativement aux journaux de reparaître après l’interruption d’une quinzaine de jours apportée par le débarquement allié[50]. » Autrement dit, vers le 20 juin 1944.

Il semble que l’on puisse faire confiance aux souvenirs de Fouéré sur ce point : il n’avait aucune raison de mentir et a rapporté avec fidélité ses relations constantes avec Martray pendant et après l’Occupation.

C’est lui encore qui nous donne une version objective de l’un des épisodes rapportés par Monnier de la manière la plus tendancieuse, à savoir le détournement d’un journal issu de la Résistance. Martray, inculpé dans le cadre du procès de La Bretagne qui voit Fouéré condamné à mort par contumace, bénéficie d’un non-lieu. « On sait qu’il a vite repris ses activités bretonnes à la Libération », écrit Monnier. Fouéré explique, que, de fait, son premier exploit consiste, « surmontant ainsi le refus qui leur aurait été opposé s’ils avaient voulu créer une publication politique nouvelle au service des revendications bretonnes », à s’emparer, avec d’autres militants bretons, du journal Vent d’Ouest[51]. Il suffit de parcourir une collection de ce journal pour constater qu’à peine entre les mains de Martray, Vent d’Ouest devient une pâle copie de La Bretagne, le racisme, l’antisémitisme et l’enthousiasme pour le Reich en moins, les revendications autonomistes bien enrobées sous un habillage folklorique. C’est dans le dernier numéro de Vent d’Ouest que Morvan Lebesque fait sa réapparition, devenu, lui aussi, un grand résistant, après être passé de L’Heure bretonne à Je suis partout.

Version de cet exploit (qui sera d’ailleurs un échec, les lecteurs ne se précipitant pas) d’après Monnier : « Vent d’Ouest, l’ancien hebdomadaire de la Résistance, repris par Joseph Martray  » et illustré par Xavier de Langlais, « l’ancien membre des Seiz Breur[52] », est un aimable journal apolitique dont le mot d’ordre est « Amour passionné de la Bretagne et attachement indéfectible à la Patrie française »En bref, l’apolitisme affiché sert à faire passer les messages des autonomistes qui, bien que honnis de la population, reprennent le combat, « l’attachement » à la patrie française servant désormais de couverture à « l’amour passionné » de la nation bretonne. Encore quelques années, et Martray fondera un autre journal, Le Peuple breton, reprenant le titre choisi par Debauvais avant guerre, titre qui sera ensuite repris par l’UDB.

C’est l’un des seuls endroits du volume de Monnier où « l’attachement à la patrie française » soit mis en avant : les résistants ont combattu pour la Bretagne, et pour la France aussi, mais à quoi bon le rappeler ? Or, avant d’en terminer avec ce chapitre, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler l’itinéraire de Martray, toujours en relation avec Fouéré.

Ce dernier nous explique que, sitôt acquitté, en 1956, il part en Bretagne où il retrouve ses amis du mouvement nationaliste breton. « À Paris, à l’aller comme au retour de mon voyage, je m’entretins longuement avec Joseph Martray et avec les principaux membres de l’équipe de Ker Vreiz que Pierre Laurent, ingénieur de l’EDF et ancien polytechnicien, alors animait. C’est ainsi que je fis la connaissance de Yann Poupinot, avec lequel j’avais été en correspondance pour la préparation de son livre, La Bretagne contemporaine, celle d’Yvonnig Gicquel, étudiant de la JEB qui préparait un mémoire  de maîtrise sur le Comité consultatif de Bretagne, celle de Jean Kergren, ami de Pierre Lemoine, que j’avais rencontré pour la première fois au congrès interceltique de Dublin deux ans auparavant. Tous avaient aidé Martray au cours des premiers balbutiements du CELIB. Tous ou presque allaient faire partie de la petite équipe qui allait donner naissance au Mouvement pour l’Organisation de la Bretagne, plus connu sous le nom de MOB[53].  » Avec le MOB, le parti nationaliste breton se reconstitue, sur des valeurs droit issues de Breiz Atao.

 Fouéré est on ne peut plus clair : l’État français est l’ennemi, la citadelle à détruire en priorité. « L’intérêt de la Bretagne et du peuple breton était toujours de démanteler cette forteresse », écrit-il. « J’avais essayé de le faire avant la guerre, de même que pendant l’Occupation car Vichy ne faisait que continuer Paris avec moins de moyens. […] Il n’en restait pas moins qu’en 1956, c’était encore dans le cadre de l’Etat français que le combat d’émancipation devait se poursuivre. Ce cadre était archaïque et dépassé mais il existait toujours. Seuls les combats nationaux de nos peuples étaient capables de le briser : avec l’aide si possible et en compagnie de tous ceux qui, en Europe, menaient des combats similaires. Martray le pensait aussi, et ceux qu’il animait. Il avait, grâce à l’appui du mouvement français La Fédération, que dirigeait André Voisin, repris le combat pour la décentralisation et la réforme régionale, celui-là même que nous avions mené ensemble au Comité consultatif de Bretagne et celui qui avait déjà été esquissé par Maurice Duhamel aussi loin que 1928. Il s’était en même temps efforcé d’élargir le combat en créant en 1949 l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes. C’étaient bien là les deux aspects, les deux faces du combat qu’il fallait conjointement reprendre et poursuivre[54]»

Martray a donc poursuivi le combat autonomiste, d’une part, en Bretagne, par le biais d’institutions comme le CELIB, d’autre part, en Europe, par le biais d’institutions ethnistes, comme l’UFCE issue des Congrès des nationalités contrôlés par les nazis[55]. Ce combat, en complète contradiction avec les valeurs de la Résistance, est repris par les autonomistes qui se disent de gauche (mais rappelons que l’UDB est née d’une scission du MOB de Fouéré). Les laisser travestir l’histoire de la Résistance est impossible sans les laisser trahir ces valeurs.

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III. OMNIPRÉSENCE DE L’ABSENCE  ou les résistants présentés comme militants bretons

Si les militants bretons les plus ouvertement engagés aux côtés des nazis sont présentés comme d’authentiques résistants sans que l’historien se sente tenu de signaler la moindre zone d’ombre, et si le mouvement breton se trouve ainsi amalgamé à la Résistance, dans un deuxième temps, les résistants bretons sont, eux, amalgamés d’autorité au mouvement breton.

Qu’un maquisard ait sifflé « La Paimpolaise » en nettoyant sa mitraillette, le voilà bombardé breton, et servi comme preuve de la « conscience bretonne » des maquis ; la « conscience bretonne  » est elle-même définie comme « sentiment d’appartenir à une communauté de destin  » (p. 129) ; la « communauté de destin » est, cela va de soi, celle du « peuple breton ». Le « peuple breton » tel que défini par Breiz Atao, fait donc son retour sous l’habit glorieux de la Résistance : un pas de plus et l’historien laisse entendre que les résistants bretons ne se sont pas battus pour la libération de la France mais pour la libération de la Bretagne. « Double Résistance », intitule-t-il le chapitre consacré à une équipe de  Bagadou Stourm devenus résistants, avant d’expliquer qu’ils étaient « résistants à la fois au système politique français centralisé qui ne reconnaît pas la Bretagne et à l’occupation nazie qui porte atteinte à la liberté » (p. 105). Affirmation sidérante qui résume à elle seule le parallèle inadmissible sur lequel repose la démonstration. Le système politique français centralisé ne reconnaît pas la Bretagne ? Délire ? Non. Lisez : la Bretagne comme nation, ethniquement distincte de la France. L’historien autonomiste ne le précise pas : pour lui, cela va sans dire. À cela près, petit détail, que les résistants bretons se clamaient français, se  disaient patriotes et se battaient pour la libération de la France. L’importance accordée à la demi-douzaine de Bagadou Stourm maquisards ne s’explique que par leur rôle essentiel pour la démonstration : grâce à eux, la boucle est bouclée et la Résistance amalgamée au combat breton. Mais cet amalgame ne peut se faire qu’au moyen de coups de force contre des faits qu’il est pourtant facile de rappeler en montrant que l’historien ne peut les ignorer.

1. L’ÉTRANGE AFFAIRE DU « GROUPE LIBERTÉ »

L’argument-massue de Monnier, le cas dont il a déjà fait le sujet d’une communication présentée dans le cadre du colloque Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale[56], est le cas du « groupe Liberté » : des membres du PNB, et même enrôlés dans les Bagadou Stourm, militant en même temps dans la Résistance ! Preuve que les fascistes n’en étaient pas et que l’engagement breton pouvait être assimilé à un combat pour la liberté, fût-ce au temps où elle était promise par l’Allemagne nazie…

Observons d’abord que, même monté en épingle et exploité sur tous les modes propagandistiques possibles, ce cas se résume à lui-même : neuf membres du PNB, appuyés par six sympathisants[57], ont, tout à la fois, en mars 1943, procédé à des actes de sabotage au but obscur et diffusé L’Heure bretonne. Six d’entre eux se sont engagés dans les Bagadou Stourm de Yann Goulet au cours de l’été suivant. Bien que le récit soit des plus confus, il semble qu’on les ait retrouvés ensuite combattant dans la poche de Saint-Nazaire. Le cas est unique dans toute la Bretagne. Il ne prouve, au total, que l’aveuglement de six égarés.

Mais il a fait l’objet d’une telle exploitation médiatique que, le 30 janvier 2001, le Comité de Coordination des Mouvements de Résistance d’Ille-et-Vilaine et le Groupe Information Bretagne adressaient une lettre de protestation au journal Ouest-France :

Le 28 janvier 2001, Ouest-France dimanche publiait une interview de Jean-Jacques Monnier, membre de l’UDB, parti autonomiste breton.

Intitulé « L’étonnante histoire du maquis Liberté », l’article expliquait comment des nationalistes bretons auraient créé à Saint-Nazaire « un groupe de Résistance dès 1941 ». En effet, le travail de Jean-Jacques Monnier vise à réhabiliter les membres du PNB, en laissant accroire qu’il y avait une aile « modérée », voire que certains nationalistes engagés aux côtés des nazis pouvaient aussi être dans la Résistance. Unique exemple en Bretagne (puisque Saint-Nazaire est supposé faire partie de la Bretagne), ce « groupe Liberté » aurait participé à la Résistance tout en faisant partie des sinistres Bagadou Stourm, ici présentés comme d’innocentes bandes de scouts sur le  modèle irlandais…

Nous ne pouvons laisser ainsi travestir les faits. L’indulgence à l’égard du PNB, des Bagadou Stourm et de leur fondateur, Yann Goulet, qui n’a jamais renié son alliance avec les nazis,  est une offense à la mémoire de ceux qui ont lutté contre l’occupant, qui ont donné leur vie et, parfois, sont morts sous la torture — les plus féroces tortionnaires étant ces associés des SS qu’étaient les miliciens du Bezen Perrot, dont chacun sait qu’ils étaient en relation permanente avec les Bagadou Stourm (d’ailleurs rebaptisées Strolladou Stourm pour que les initiales fassent SS).

L’auteur de l’interview invite les lecteurs d’Ouest-France à se reporter au numéro du Peuple breton, organe de l’UDB, qui fait l’éloge de ce livre. Nous ne pouvons pas ignorer que l’UDB a assuré la défense de Roparz Hemon lorsque le collège qui portait son nom a été débaptisé. Après avoir défendu Yann Goulet et le directeur de la revue antisémite et pronazie Nemeton, Morvan Marchal, l’inventeur du drapeau gwenn-ha-du, c’est encore l’UDB, par la voix de l’un de ses historiens, qui vient innocenter les collaborateurs des nazis.

« C’est terrible ce qu’on a enduré de la part des gaullistes et des communistes », conclut-il : sans les résistants gaullistes et les communistes, les nationalistes bretons seraient encore au pouvoir aux côtés des nazis qui leur donnaient tant d’argent pour affaiblir la France.

Nous protestons contre la falsification de l’histoire au nom d’un prétendu « devoir de mémoire » accompli par des militants nationalistes pour des raisons troubles[58].

Ce courrier n’a pas été publié par le journal Ouest-France mais il a le mérite de dire l’essentiel et d’être le premier acte de protestation des mouvements issus de la Résistance contre l’actuelle réécriture de l’histoire induite par les autonomistes.

L’essentiel, pour être clair, est bien l’impossibilité d’accepter, d’une part, cette présentation des Bagadou Stourm comme une inoffensive bande de scouts pouvant mener naturellement à la Résistance ; d’autre part, cette présentation de la Résistance comme un authentique combat des Bretons poursuivi malgré les gaullistes et les communistes.

A.  Six petits scouts qui n’avaient rien compris

Pour ce qui est du premier point, rappelons sommairement les faits tels qu’ils nous sont présentés : en 1941, le chef du PNB, Raymond Delaporte, décide de doter son parti d’un service d’ordre en uniforme — non pour imiter les autres partis fascistes, d’après Monnier, mais pour contrer l’influence de Célestin Lainé qualifié d’« extrémiste » (ce qui laisse à entendre que Goulet et Delaporte ne l’étaient pas). En effet, Lainé vient de fonder son Service Spécial, embryon d’armée bretonne. « Goulet, un ancien membre des jeunesses socialistes, met en place une sorte de scoutisme nationaliste d’inspiration républicaine irlandaise qui propose force sorties dans la campagne, avec uniformes et drapeaux. […] Kristian Hamon décrit le « grand camp des jeunes » qui se déroule dans la première quinzaine du mois d’août : « Lever des couleurs, marche de jour comme de nuit, veillées autour du feu de camp constituent l’essentiel des journées. L’encadrement des jeunes femmes fait partie des préoccupations du PNB. » Les deux premières années, les B. S. ressemblent beaucoup aux « chantiers de jeunesse » mis en place par Vichy, et qui s’avéreront, en fait, une pépinière de futurs résistants. »  (p. 104).      Si les Chantiers de la jeunesse fascistes mènent à la Résistance, pourquoi les aimables Bagadou Stourm n’y conduiraient-ils pas ? D’autant, nous précise-t-on, que « contrairement à ce qu’on a pu écrire, les B. S. ne sont pas armés et ne participeront à aucun combat, à aucune action contre les réfractaires au STO. » (p. 104).

Dans la mesure où Jean-Jacques Monnier a rédigé la préface de l’essai de Kristian Hamon, Les Nationalistes bretons sous l’Occupation, qu’il cite à l’appui, il ne peut ignorer ce qu’il écrit et qui est parfaitement clair :

« Avec ses rites, ses pratiques et ses symboles — noyau commun à tous les partis fascistes — le service d’ordre du PNB ne diffère pas fondamentalement de ceux de mouvements comme le PPF ou le Parti franciste de Marcel Bucard. Par leur décorum, calqué sur la liturgie nazie, les congrès du PNB se donnent des allures de mini-Nuremberg, effets de masse en moins. Le culte du chef y est de règle, bien que Raymond Delaporte soit vraiment peu charismatique. C’est précédé d’un sonneur que le chef fait son entrée au congrès, les Bagadou Stourm formant la clique. À part la cravate qui est blanche, l’uniforme des miliciens, de la chemise aux bottes, est noir. Un brassard orné d’un triskell et un calot noir d’où pendent deux rubans à l’écossaise donnent une couleur celtique à l’ensemble. Le salut se fait à l’hitlérienne et les jeunes au garde-à-vous forment une haie d’honneur.  »

Les Bagadou Stourm (puis Strolladou Stourm) sont, comme leur nom l’indique, des « Groupes de Combat ». Yann Goulet et son lieutenant, Alain Louarn dit Alan al Louarn, bénéficient d’un permis de port d’arme. Comme le rappelle Kristian Hamon, celui de Louarn lui a été accordé suite à son adhésion au Cercle d’Études national-socalistes. « Les deux premières années », précise-t-il, « l’ensemble a toutes les caractéristiques des Chantiers de jeunesse du Maréchal. Si le terme de milice est impropre du fait qu’ils ne sont pas armés, les jeunes des Bagadou Stourm ne sont pas pour autant des boy-scouts. N’hésitant pas à faire le coup de poing, au fil du temps l’organisation de jeunesse prend en effet de plus en plus l’apparence d’une formation paramilitaire[59] ». On peut admirer avec quelle cauteleuse habileté ces propos ont été utilisés.

Kristian Hamon cite un rapport des Renseignements généraux rapportant un épisode du camp scout de l’été 43, à Landivisiau : le 7 août, les Bagadou Stourm décident d’aller souper au restaurant Rohou (notons que Rohou, membre du PNB, figure sur la liste des agents de la Gestapo en Bretagne trouvée à la Libération) en défilant au pas de l’oie. Loin d’être émus par ce spectacle viril, d’autant plus fascinant que toute manifestation sur la voie publique est alors interdite, les Landivisiens se mettent à siffler. Un attroupement se forme, vite dispersé par un sous-officier allemand. Le lendemain après la messe, les Bagadou Stourm jugent le moment venu de faire une nouvelle démonstration martiale. Près de cinq cents Landivisiens présents sur la place se mettent à siffler. Les Bagadou Stourm foncent dans le tas. Une manifestation spontanée s’organise. Les cailloux volent, les coups de poing s’abattent sur les miliciens qui répliquent à coups de barre de fer et de ceinturon. Ayant capturé un garagiste pris à siffler, ils le traînent chez Rohou qui déclare : « Je suis Breton et non Français, libre à vous de vous faire casser la gueule pour la France ». La troupe allemande disperse les manifestants.

Conservé aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, le témoignage d’un agent d’assurance de Landivisiau donne une évocation parlante des faits.

« Lors de la manifestation de Landivisiau au début d’août 1943, organisée par les jeunesses PNB, j’ai remarqué la présence de Louarn Alain que je connaissais de vue. Il semblait être l’un des chefs du groupement. Il était en uniforme : culotte noire, chemise noire, cravate blanche, calot noir, leggins ou bottes. Je crois même qu’il avait un poignard dans sa botte. C’est lui qui commandait les sections qui venaient en ville. Le dimanche 8 août vers 9 heures 1/2, il y eut un incident très violent entre un détachement PNB commandé par Louarn et la foule. Louarn avait en effet manifesté l’intention d’aller chercher d’autres membres des jeunesses PNB pour revenir défiler devant le monument aux morts. La foule ne les a pas laissé passer. J’ai alors entendu Louarn donner l’ordre en breton à sa section de charger la foule. Une partie d’entre eux ont enlevé leur ceinturon et ont chargé la foule. Ils ont été disloqués par la foule. Les Allemands sont intervenus pour disperser la foule. Vers dix-huit heures, alors que je passais devant chez Rohou, j’ai vu Louarn en compagnie de celui-ci. Je l’ai interpellé en lui disant : « Je vous félicite pour le beau travail que vous avez fait à Landivisiau, c’est un beau geste de mettre des mitraillettes allemandes devant des poitrines françaises. » Ni Louarn ni Rohou n’ont répondu. Vers 20 heures 30, alors que la colonne autonomiste quittait Landivisiau encadrée d’Allemands, à quinze cent mètres au lieu-dit Kergoz je me trouvais en compagnie de ma famille. Louarn m’ayant reconnu donna l’ordre à une douzaine de ses hommes de me poursuivre pour probablement me donner une correction. Ils se sont précipité sur moi armés de ceinturons et de nerfs de bœuf. J’ai réussi à leur échapper en traversant un ruisseau ; ils ne m’ont pas suivi. Je savais que les autonomistes m’en voulaient car ayant réussi à en identifier un certain nombre, j’ai renseigné les inspecteurs de police[60]. »

Cet affrontement sera suivi d’autres épisodes du même genre, qui verront même Goulet emprisonné, suite à l’enlèvement d’un inspecteur des Renseignements généraux de Brest. Plus tard, ayant attaqué une perception avec deux de ses lieutenants dans le but de renflouer les caisses, il sera libéré sur intervention de Guy Vissault, chef du groupe du même nom, auxiliaire de la Gestapo en Bretagne. Hervé Le Boterf, qui fut responsable du PNB à Nantes et auteur d’une histoire de la Bretagne sous l’Occupation visant à réhabiliter les autonomistes, rapporte un autre épisode qui nous montre ces scouts en action :

« À Saint-Brieuc, le 8 avril, les gardes mobiles, ayant voulu empêcher les Bagadou Stourm de défiler drapeau noir et blanc en tête, molestèrent Jacques de Quélen, le chef départemental du PNB dans les Côtes-du-Nord. Aussitôt, soixante miliciens bretons se ruèrent sur les agresseurs et il en résulta une de ces bagarres comme on n’en voit guère qu’au cinéma. Les casques volèrent, les poings tournoyèrent et les visages se tuméfièrent. Un des gendarmes eut un œil arraché, un autre les côtes défoncées et un troisième les dents cassées. On dit que ce soir-là les médecins de la ville gâchèrent du plâtre et déployèrent au mètre leurs bandes Velpeau pour réparer les désordres d’un combat qui avait eu, du moins, l’avantage de divertir grandement les Briochins, privés de longue date de distraction[61]. » 

 

Les activités des Bagadou Stourm à Landivisiau amènent cette conclusion de Jean-Jacques Monnier : « Il semble que tout ceci ait fait basculer la totalité des Bagadou Stourm de la région de Saint-Nazaire vers une résistance encore plus intense » (p. 116). La totalité, c’est-à-dire six personnes… Et de préciser, sans craindre de se contredire, que la formation « quelque peu paramilitaire des B. S. a pu contribuer à la qualité de l’organisation » du valeureux groupe résistant.

Confusionnisme : les bons scouts bretons du PNB vont naturellement se changer en combattants de la Poche de Saint-Nazaire ; il est vrai, on l’avoue au détour d’une phrase, que « quelques-uns », rallient ce que l’on n’appelle plus désormais Bezen Perrot mais Milice Lainé, pour tout rendre un petit peu plus confus encore… Mais à quoi bon insister sur cette évolution puisque « d’autres Bagadou Stourm, ailleurs en Bretagne et même dans l’émigration, rejoignent la Résistance ». Combien ? À  quel moment ? Peut-on confondre la centaine d’hommes du « groupe Liberté » avec ces six amateurs de défilés au pas de l’oie en qui semble désormais se résumer le combat patriotique des autres ?

Désinformation : la condamnation à mort par contumace de Yann Goulet, réfugié en Irlande grâce à la filière de faux papiers montée par Fouéré, la gravité des engagements des Bagadou Stourm, le rôle des formations de jeunesse du PNB dirigées par Goulet et ses lieutenants, tout le contexte politique, les textes de la revue Triskell consacrée aux Formations de Jeunesse du PNB (cités par Kristian Hamon), les articles immondes de Goulet dans L’Heure bretonne présentée comme un journal anodin, tout est passé sous silence. Cependant, comme des membres du Groupe Information Bretagne le rappelaient le 12 décembre 1999 :

       L’Heure bretonne est en consultation libre dans les bibliothèques de Bretagne. Chacun peut donc lire (parmi tant d’autres) l’article de Yann Goulet, qui, le 4 juillet 1942, incitait les jeunes Bretons à faire “ l’Europe nouvelle ” dans le cadre du Reich, se réjouissait de l’effondrement de la République qui répandait, selon lui, “ une odeur de compromission, des relents maçonniques, de grasses senteurs de Juifs ”. L’idéologie de la pureté de la langue, de la race, la haine de la France et de la république, rares sont les partis de gauche qui éprouvent le besoin de leur rendre hommage[62].

On ne peut mieux situer l’action de Goulet et résumer ce qui l’a orientée qu’en citant l’hommage de Fouéré :

« Il accomplissait [ses fonctions au PNB] avec autorité et efficacité, organisant des camps, des marches, des exercices paramilitaires, n’hésitant pas à affronter les conflits et les heurts que ses activités provoquaient avec la police française de Vichy. Il retint même prisonnier pendant vingt-quatre heures dans les solitudes sauvages des monts d’Arrée un inspecteur de police de Brest, le soumettant à un interrogatoire musclé et serré. […] Pour Yann Goulet, les Français, quels qu’ils soient d’ailleurs, sont l’ennemi : il les considère et les considérera toujours comme tels. » 

C’est écrit en 1995 et publié par la Coop Breizh, maison d’édition largement subventionnée sur fonds publics. La haine de la République et la haine de la France sont ce qui a guidé l’action de Goulet, comme celle du PNB et de ses formations de jeunesse.

B. Des petits scouts qui disaient déjà tout

De combat pour la France, il n’est plus guère question ; de combat pour les valeurs de la République non plus : ces valeurs en sont-elles ? Ou ne vaudrait-il pas mieux s’en débarrasser ? Goulet, aux yeux de Monnier, est, comme Marchal et les autres, un ardent défenseur de l’idée bretonne et, à ce titre, en tous points digne d’éloge.  Il n’est que de lire, d’ailleurs, les hommages qui lui furent rendus lors de sa disparition en 1999 pour s’en assurer.

L’ethnie contre la race

Le combat contre le nazisme est ainsi réduit à un combat interethnique : des clans se sont affrontés, les bons contre les mauvais, les bons étant ceux qui ont gagné et les mauvais ceux qui ont perdu. Les bons Bretons étant spontanément portés à combattre aux côtés des bons Anglo-américains, les jeunes militants du PNB ont été des résistants de la première heure : dès mars 1940, faisant mieux que de Gaulle mais en toute discrétion, ils ont fraternisé avec les soldats britanniques installés à Saint-Nazaire. Non, bien sûr, parce que ces soldats étaient anglais, mais parce que leurs bataillons comptaient des frères de race : « Ils sympathisent avec plusieurs soldats écossais avec qui ils partagent tout naturellement une solidarité interceltique. »  (p. 101).

Cela leur permet, exploit suprême, de récupérer, avant l’Occupation, un poste émetteur qui va leur servir à envoyer les plans que Creston est supposé avoir réussi à obtenir grâce à eux. Prouver ces échanges, est, bien sûr, totalement impossible : « Si, pour des raisons évidentes de clandestinité, il est difficile d’avoir une idée de l’ensemble de ces échanges radio, il est établi que les liens avec les militants gallois et corniques par l’intermédiaire de membres du PNB sont à la base de cette opération qui revêt donc un certain caractère interceltique. » (p. 112). Qu’importe le message pourvu qu’on ait le celte : aucune trace de rien, aucune preuve du moindre envoi radio, mais, de la part des militants bretons qui découvraient au même moment L’Heure bretonne avec tant d’enthousiasme, une indéfectible preuve de leur fidélité à l’idéal qui les animait : longtemps après l’Occupation, « plusieurs membres du groupe entretiennent des relations avec les frères celtes d’Outre-Manche » et l’un d’entre eux va même voir Gwynfor Evans, le président du parti nationaliste gallois qui a reçu Fouéré, l’a aidé et a mené toutes les campagnes en faveur des nationalistes bretons.

Arrêtons-nous là pour les exemples, nous n’en finirions plus. Toute une part du volume, et qui n’est pas seulement lié à l’exemple du « groupe Liberté », est consacrée à cette illustration d’une idée présentée comme allant de soi : les Bretons étant ethniquement liés aux Celtes d’Outre-Manche, ils ont opposé aux Allemands une opposition naturelle, appuyée sur des échanges millénaires (le symbole de ces échanges étant Louis-Napoléon Le Roux,  militant nationaliste  breton de la première heure, partisan illuminé d’une langue celtique unique pour les relations entre les frères des race des mondes celtes).

Combattre le racisme au nom de l’ethnisme, c’est annuler totalement les valeurs de la Résistance et ainsi les délégitimer.

L’à peu près tout et le n’importe quoi

Cette déligitimation au nom d’une anglophilie celtomane euphorique se double d’une délégitimation au nom d’une bretonnitude exultante : de proche en proche, tout ce que les six scouts ont pu toucher se trouve labellisé breton.

Reprenons l’histoire obscure des Bagadou Stourm résistants : dès l’automne 41, nous dit-on, ils commencent à faire du renseignement et entrent en relation avec plusieurs réseaux, dont celui du Musée de l’Homme par l’intermédiaire de Creston. Le problème est qu’à l’automne 41, Creston, sorti de prison, se trouve assigné à résidence (même s’il semble se dispenser de tenir compte de cette assignation) et que le réseau du Musée de l’Homme est démantelé. Toute la démonstration s’effondre donc.

Monnier n’en affirme pas moins que les six scouts  réussissent à participer à l’« opération Chariot » en mars 42 avant d’être recommandés par la « filière Creston » au docteur Verliac, futur commandant Paulus. On découvre alors au passage que le fameux « groupe Liberté », évacué en février 43 sur Ponchâteau, n’a peut-être jamais porté ce nom et que les militants bretons font partie d’un groupe informel nommé Timoléon, qui devait être incorporé aux FFI en janvier 44. Ce groupe fait des actions ponctuelles qui n’ont rigoureusement rien de breton, et compte des résistants qui vont se battre dans la poche de Saint-Nazaire parmi des centaines d’autres.

Dans un premier temps, le groupe du docteur Verliac, se confondant soudain avec le fameux « groupe Liberté », devient l’expansion du groupe de Bagadou Stourm : « Le Bataillon de la Poche permet à Verliac d’asseoir son autorité et aux militants bretons du groupe Liberté de poursuivre la Résistance armée sans ressentir la dépendance des structures officielles de la Résistance. » (p. 122). La phrase mérite d’être relue : ces FFI refusent de dépendre des structures officielles de la Résistance.

Dans un deuxième temps, le combat tout entier des résistants de la poche de Saint-Nazaire se trouve englobé dans le combat breton. S’appuyant sur le récit ronflant d’un reporter du Figaro vantant à grand renfort de clichés l’héroïsme des « patriotes bretons » de Loire-Inférieure qu’il se plaît, en bon héritier de la droite, à assimiler à celui des Chouans, Monnier, trop heureux que la « Bretagne historique » s’élargisse jusqu’à la Vendée, le cite avec euphorie : « Pour combattre l’Allemand, ces Bretons ont retrouvé sans effort leur âme de corsaires et de chouans… » (p. 123). Cette preuve de la bretonnitude de combattants étant apportée, il ne reste plus qu’à citer à l’appui un document complémentaire. Il s’agit d’une affiche qui se trouve encore à la mairie de Saint-Nazaire. Elle dit :

« Les glorieux FFI de Bretagne ont froid.

Les patriotes bretons tiennent tête aux 40 000 Allemands qui sont dans Saint-Nazaire.

Grâce à ces patriotes, les boches ne peuvent semer la mort sur la terre bretonne. »

D’où il résulte que les FFI étaient des « patriotes bretons », donc des militants bretons : la Résistance nazairienne n’étant pas « nationaliste française », il a été facile aux militants bretons de « développer leur résistance propre ».

Puis viennent s’agglomérer aux scouts désormais présentés comme l’expression de la vraie Résistance bretonne, les maires de Saint-Nazaire « à la fibre bretonne affirmée », le député qui devait adhérer au MOB de Fouéré, les personnalités locales qui, jadis résistants, connurent Creston, l’élu saluant l’érection d’un menhir en 1947, le membre fondateur d’un bagad ou de la bibliothèque Ker Arvor en 1949…

Ainsi se trame autour de six membres des Bagadou Stourm la prodigieuse épopée de la bretonnitude aboutissant à la conclusion attendue : « L’histoire du groupe Liberté, longtemps ignorée, est sortie de l’ombre en 2001. Elle montre d’abord qu’il n’y avait pas de contradiction fondamentale entre une action de résistance forte et un engagement nationaliste ou autonomiste. » (p. 138).

Breiz Atao FFI même combat.

La fibre

Les amalgames successifs de l’à peu près tout et du n’importe quoi ont été rendus possibles, on le voit déjà sur ce simple exemple, par le flou entretenu d’entrée de jeu sur l’engagement breton : « engagement nationaliste ou autonomiste », écrit Monnier, comme si ce n’était pas la même chose. Goulet, Marchal, Fouéré, Sohier, Duhamel, tous les grands hommes du mouvement breton auxquels il se réfère et tous les militants de Breiz Atao ont eu pour but premier et ultime la défense de la nation bretonne, l’autonomie n’étant d’ailleurs pour tous conçue que comme une étape vers l’indépendance. Pour les uns, dont Fouéré, cette étape était nécessaire. Pour les autres, dont Goulet, elle ne l’était pas. On se souvient peut-être de l’ironie de Mordrel sur le paravent commode de l’autonomisme en 1927…  De fait, il arrive depuis quelque temps que des partis autonomistes se défendent d’être nationalistes, le terme n’ayant pas forcément bonne presse ; il n’empêche que ces partis, présentant la Bretagne comme une « nation sans État », visent bien à lui rendre sa liberté.

Le combat nationaliste breton est ainsi dilué dans l’autonomisme ou le régionalisme, selon les circonstances, puis, redilué, désigné comme expression de fortes « convictions bretonnes » (voir, par exemple p. 24). Les « convictions bretonnes », une fois diluées, se changent en « conscience bretonne  » (p. 137, 220, etc.). La « conscience bretonne » est elle-même diluable en « conscience identitaire  » (p. 212). La « conscience identitaire  » se dilue en « sensibilité bretonne » (p. 133), laquelle peut se diluer encore en « idée bretonne » (p. 136), l’homéopathique « idée bretonne », uniquement réductible à elle-même, justifiant toute action faite en son nom. Mais l’important, l’essentiel, ce qui justifie le fait qu’un résistant soit, même s’il n’a en rien œuvré pour le mouvement breton sous l’Occupation, associé à son combat, c’est la « fibre »  (p. 136). Où vibre la fibre peut s’exhaler la « bretonnité », ultima ratio du nationalisme militant qui permet d’englober, fût-ce sous les auspices du communisme ou du gaullisme, le moindre acte de résistance dans le combat nationaliste.

2. L’HERMINE, LA FAUCILLE ET LE MARTEAU

Les FTP (Francs-Tireurs et Partisans) qui ont bénéficié pour s’organiser des réseaux du Parti communiste ont constitué, en Bretagne comme ailleurs, la base de la Résistance populaire avant de s’associer avec l’Armée secrète pour former les FFI (Forces françaises de l’Intérieur) qui devaient, à partir de 1944, rassembler l’ensemble des groupements militaires clandestins. La plupart des maquis en Bretagne étaient des maquis FTP, lesquels pouvaient d’ailleurs compter bon nombre de jeunes gens non communistes qui avaient simplement rallié le maquis le plus proche.

Ces maquis, fragiles, souvent démunis d’armes, couraient à tout moment le risque d’être infiltrés par des miliciens, et notamment des miliciens bretons redoutablement efficaces en raison de leur connaissance de la langue et du pays. Les membres du groupe Vissault, du Kommando de Landerneau, du Bezen Perrot, les informateurs du PNB disséminés partout en Bretagne, autrement dit ceux que l’on a pris l’habitude d’appeler « les Breiz Atao », ont causé la perte de nombreux maquis et de réseaux particulièrement bien implantés en Bretagne. Ainsi, pour m’en tenir à un exemple qui m’est proche, le réseau Pat O’Leary auquel appartenait mon grand-oncle, mort à son retour de Dachau, a-t-il été infiltré par un obscur militant du PNB que l’on trouve sur la liste des agents de la Gestapo de Rennes, puis par un membre du groupe Vissault, Roger Leneveu. Ce dernier, même membre d’un groupe fanatiquement indépendantiste breton, était un simple homme de main retourné par la Gestapo, comme ces milices en comptaient tant. Les témoignages à ce sujet sont assez nombreux. Même formulé avec une certaine maladresse, celui de Roger Le Hyaric, commandant FTP du Morbihan, est assez explicite.

Pour développer au mieux ses nouvelles possibilités, la résistance doit prendre ses responsabilités, en priorité celle d’assurer la sécurité des maquis, donc de mater les autonomistes bretons, de faire entrer les collabos dans leur coquille. La bande de Breiz Atao de Ruyet à Bubry était l’une des plus vomies par la population. Ces gars s’introduisaient d’autant mieux dans les campagnes qu’ils parlaient breton et étaient capables de tout. N’allèrent-ils pas jusqu’à torturer publiquement, sur la place de l’église de Melrand, le receveur des postes pour lui faire avouer l’adresse d’un homme, B…, supposé communiste (une vingtaine d’années après la guerre, l’ex-chef maquisard devait le retrouver chez ses enfants, instituteurs en retraite à Larmor-Plage, grabataire depuis de longues années, terminant péniblement sa vie des suites de ses tortures).  De plus, Ruyet et sa bande devaient certainement bénéficier de complicités dans le bourg, leur assurant un point d’appui pour leur rayonnement dans la région. L’arrestation de patriotes réfractaires vint le confirmer, comme celle d’un nommé Ernest — matricule 1015. Le dénonciateur ne pouvait être que le secrétaire de mairie, un activiste autonomiste bien connu[63].

Isoler les soixante ou quatre-vingts miliciens du Bezen Perrot qui ont laissé un souvenir d’horreur n’a aucun sens : ils n’étaient qu’une partie de la nébuleuse nationaliste soutenue et utilisée par les nazis en vue du démantèlement de la France dans le cadre de l’Europe des ethnies à mettre en place après la victoire. Indicateurs, trafiquants de marché noir, journalistes, patrons de presse à la solde des Allemands, druides et ecclésiastiques, petits profiteurs de l’art, de la musique, de la littérature racialement celte, des études ethnographiques sur l’ethnie bretonne, du commerce des farines et de la propagande, tous pullulaient et prospéraient alors. Il faut explorer les dossiers d’archives pour avoir une juste idée de ce qu’était le mouvement breton, et pour saisir sur le vif la révolte qui dressait ces milliers de jeunes en haillons contre ceux qui les trahissaient au nom d’une bretonnité revendiquée. Face aux Bagadou Stourm, les habitants de Landivisiau sifflent et lancent des pierres. Ils les accusent immédiatement de dénoncer les réfractaires au STO.  Accusation non fondée ? Mais à parcourir le dossier de membres des Bagadou Stourm passés au Bezen Perrot, et payés par le SD pour faire du renseignement, il est clair que le risque était bien réel. Gaullistes ou communistes, les réfractaires se savaient à tout moment menacés par les Breiz Atao.

Comment Jean-Jacques Monnier s’y prend-il pour amener ces ennemis irréductibles de sa cause à sembler la servir ? D’abord, en supprimant ce contexte, qu’il était donc essentiel de rappeler, fût-ce sommairement, même si on le suppose connu de tous. Ensuite, en le remplaçant, selon sa stratégie habituelle, par une apologie du bon mouvement fédéraliste de gauche allié aux socialistes et aux communistes.

Sur ce fond d’un rouge ardent se détachent de pures figures de résistants communistes dont les exploits héroïques sont convoqués pour venir illustrer le combat breton.

A.  Communisme et autonomisme, même combat ?

La caution apportée par le Parti communiste aux autonomistes alsaciens, puis aux autonomistes bretons et à leurs alliés, dans les années 30, est présentée par Jean-Jacques  Monnier comme allant de soi : elle lui permet de prouver que Breiz Atao, initialement maurrassien, était, en fait, fondamentalement progressiste, même au moment de sa grande dérive vers le nazisme.

Il est certain qu’au cours d’une brève période, le PC a apporté son soutien aux autonomistes, allant même jusqu’à soutenir les attentats terroristes de gwenn-ha-du en 1932. Marcel Cachin, originaire de Plourivo où enseignait Sohier, se trouve, en mars 1935, associé à Mordrel et à l’abbé Perrot lors de son enterrement. Ce haut fait, sans cesse rappelé par les historiens autonomistes, n’est jamais présenté comme signe d’allégeance au mot d’ordre du mouvement breton « ni rouge ni blanc, breton seulement » mais comme ultime caution de gauche accordée au mouvement nationaliste breton (non pas aux fédéralistes « de gauche », rappelons-le, mais bel et bien aux nationalistes du PNB dont Sohier faisait partie). Ils oublient de signaler que, dès 1938, c’est Cachin lui-même qui, dans son discours du 20 décembre au Sénat, devait dénoncer la collusion des autonomistes et de l’Allemagne nazie.

Néanmoins, l’Organisation des Bretons émancipés, fondée en 1930 et présidée par Marcel Cachin, compte un petit nombre d’autonomistes dont Creston et Duhamel, lequel, depuis la fondation du Parti autonomiste breton, a décidé de jouer la carte de gauche (alors même qu’il est rédacteur en chef du journal Breiz Atao). Mordrel ironisera plus tard sur son rôle : « Sa présence au comité directeur pesa dans notre flirt électoral avec les socialo-communistes  », dit-il, s’amusant encore rétrospectivement de tant de naïveté. « Vous êtes des hommes de gauche, voyons ! » ne cessait-il de nous répéter à Deb et à moi, que cette idée réjouissait comme une bonne blague que nous nous jouerions à nous-mêmes[64] ».

Ce flirt éphémère n’empêche pas War Sao, le journal de l’Organisation des Bretons émancipés de faire, en septembre 1938 encore, l’éloge de Gwalarn et de ses écrivains, Roparz Hemon, Fañch Éliès et Youenn Drezen, écrivant que « cette magnifique floraison de l’esprit breton est un gage que notre pays ne se laissera pas asservir par le fascisme ». Georges Cadiou, qui cite cette phrase, reprise avec enthousiasme par Jean-Jacques Monnier, se garde de rappeler que Roparz Hemon, Fañch Éliès et Youenn Drezen allaient précisément offrir des exemples assez  probants d’asservissement au fascisme.

Rappelant qu’en août 1938, War Sao appuie le manifeste des fédéralistes de Marchal et Duhamel, Monnier n’y voit pas une preuve supplémentaire d’aveuglement mais, au contraire, le signe que la « ligne nationaliste française et tricolore » de Maurice Thorez n’est pas celle des bons Bretons émancipés de Marcel Cachin. Ces derniers ont présidé à la publication de L’Histoire du peuple breton de Duhamel qui a été republiée récemment par un éditeur nationaliste. On peut y lire, entre autres, qu’en 1936, donc au moment du Front populaire, cet homme « de gauche » qu’était Maurice Duhamel s’abstint de voter car, « démocrate à sa façon, il rejetait, disait-il, un système dans lequel sa voix ne comptait pas plus que celle de l’ivrogne du coin » (p. 185). Cet homme « de gauche » écrit que les Bretons appartiennent à la « race celtique », que les Celtes sont de « race alpine » et que « les Alpins sont avec les Nordiques et les Méditerranéens l’une des trois grandes races qui occupent actuellement l’Europe  » (p. 18). C’est rigoureusement conforme à la doctrine raciste de Breiz Atao  qui ne pouvait qu’approuver Hitler sur ce sujet.  Plus tard, peut-être pour corriger ces déclarations qui risquaient de ne pas faire trop bon effet sur un lectorat de gauche, il produit une nouvelle théorie: « Nous, Bretons, comme tous les peuples de l’Europe, d’ailleurs, nous avons dans nos veines en proportion variable du sang de Nègre, du sang de Jaune et du sang de presque toutes les races blanches du monde ». Bref, il y a bien une « race bretonne  » mais c’est un  « phénomène historique et non pas biologique  » (p. 140). Le vernis marxiste et l’antiracisme se réclamant d’un racisme historique montrent assez à quel degré de confusion pouvait mener l’alliance avec les autonomistes.

B. L’héritage de la Résistance détourné au profit d’un pseudo combat breton

On conçoit qu’à la Libération, les choses s’étant décantées, la suite de War Sao, le journal Le Pays breton dirigé par Marcel Hamon, ait été radicalement hostile aux nationalistes, pour lors d’ailleurs discrédités. Le fait de défendre une véritable culture populaire bretonne contre le pouvoir corrosif de militants soucieux de revanche supposait d’occuper le terrain pour éviter de le laisser à l’adversaire. Il est absolument scandaleux de se servir de Marcel Hamon pour le faire servir la cause de l’autonomisme contre le Parti communiste : « Avec Jean Le Lagadec, un autre trégorrois émigré  (sic), il dirige l’Union des sociétés bretonnes d’Ile-de-France (USBIF) de 1952 à 1966, succédant à Marcel Cachin.[…] Il soutient les propositions de loi visant à étendre l’enseignement du breton, tout en s’opposant avec vigueur aux nationalistes. Sur ce plan-là, il est l’héritier de Marcel Cachin et des Bretons émancipés, ardents défenseurs de l’identité bretonne, alors que le PCF de l’époque opte pour la voie jacobine. »  (p. 342). En somme, luttant contre les nationalistes, comme jadis les bons autonomistes Marchal et Duhamel, Marcel Hamon et Jean Le Lagadec se voient enrôlés dans le combat breton contre le PC jacobin.

Dans la foulée suivent tous les résistants communistes qui ont fait partie de l’Organisation des Bretons émancipés : voici René Le Gall, Corentin Cariou, Adrien Texier, Jean Moreau, fusillés, puis Jean Le Coz qu’on nous présente comme fusillé à la page 183 mais qui se trouve secrétaire des Bretons émancipés à la page suivante, et Julien Vally qui signale que Tanguy-Prigent, Marcel Cachin, Pierre Hervé, Rol-Tanguy font également partie des Bretons émancipés. Ils peuvent donc être enrôlés aussi dans la grande croisade de l’hermine contre la croix gammée. Sous le titre « résister en France » , Monnier dresse la liste des « Bretons émigrés » à la « conscience bretonne avivée par l’exil » qui, « à l’instar de nombre de minorités  », grâce à leur « forte capacité d’indignation, de révolte et d’action » ont illustré la Résistance « en France ». « Un nombre non négligeable avaient (sic) déjà, ou a eu ultérieurement, un engagement dans la défense de l’identité bretonne » (p. 183).

Au détour d’une page, il note toutefois que l’on pourrait objecter qu’ils sont « plus morts en communistes qu’en Bretons » (l’idée atroce qu’ils puissent être morts en Français ne l’effleure pas). Mais c’est pour repousser aussitôt cet argument : les deux engagements sont si étroitement imbriqués qu’on ne peut pas faire la part de l’un et de l’autre. Exit donc le communisme, simple part de l’engagement breton.

Sur la base préalablement définie par Monnier d’un « engagement dans la défense de l’identité bretonne » susceptible d’avoir eu lieu avant, pendant ou après l’Occupation, arrivent les uns après les autres les résistants communistes, non communistes, socialistes, gaullistes, maurrassiens, sans parti, appelés à venir grossir les rangs des militants identitaires.

C. Ceux qui n’en étaient pas en seront aussi

Ni gauche ni droite, pas de parti pris, un seul mot d’ordre animant tous les résistants : défendons notre ethnie.

Les égarés

Dans le nombre, il y a ceux qui sont là mais n’ont pas résisté : Morvan Marchal,  nous l’avons vu, ou Armand Keravel (au sujet duquel on précise, sans que Monnier paraisse voir là une contradiction, qu’il a vertueusement refusé de collaborer à An Eost, la revue de Martray à laquelle en revanche collaborait Annick Sohier — mais Martray était résistant, on nous le répète sans fin).

Plus scandaleux, il y a ceux qui ont collaboré mais sont absous pour motif de foi bretonne : ainsi, dans le chapitre « L’antisémitisme d’État », chapitre en lui-même absolument scandaleux, Hervé Le Helloco, condamné à mort et à la confiscation de ses biens par contumace. « Un quart de siècle plus tard, un tribunal lui donnera raison et lui permettra de récupérer la valeur de ses biens », écrit Monnier, pour conclure : « Les  “ justes ” ne furent pas toujours là où l’on penserait » (p. 326).

Les « justes » sont, on le sait, les personnes qui, sous l’Occupation, au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs. Arrêtons-nous un moment sur l’itinéraire du « juste » selon Monnier, assurément non résistant mais pouvant figurer dans son catalogue associant Résistance et conscience bretonne.

Le Helloco fut, dès l’origine, l’un des militants les plus fanatiques de Breiz Atao. Il n’est que de se fier au témoignage de Fouéré, qui resta en relation avec lui longtemps après l’Occupation : « Je n’avais rencontré l’avocat Hervé Le Helloco, dit Bob,  qu’une seule fois auparavant. Homme de grande discrétion, il ne se confiait pas volontiers. C’était lui qui était, en réalité, initiateur de Gwenn-ha-du. Il avait  su y recruter Lainé, ingénieur chimiste, qui avait ainsi inscrit à son tableau de chasse la destruction du monument de Rennes, André Geoffroy,  qui s’était attaqué à la préfecture de Quimper, Hervé Delaporte[65], Bayer du Kern et d’autres[66]. »  Homme de grande discrétion, d’autant plus redoutable qu’agissant dans l’ombre, c’est encore lui qui, d’après Mordrel, fait sauter le monument de la Fédération à Pontivy en 1938 ; encore lui qui est à l’origine du « débarquement d’armes de Locquirec » : dans la nuit du 7 au 8 août 1939, le bateau de Le Helloco arrive d’Allemagne chargé d’armes, de tracts et d’explosifs obtenus par l’intermédiaire des services secrets nazis pour la future armée bretonne. Une caisse tombe à l’eau ; des pêcheurs de homards de Jersey découvrent cinquante-neuf kilos de tracts imprimés en Allemagne proclamant  : « Pourquoi les Bretons se feraient-ils tuer pour la Pologne ? Aider la Pologne, c’est la mort de 500 000 Bretons. La Bretagne sera envahie par une armée de réfugiés, de nègres et d’Arabes tandis que vos frères et vos maris seront au front ». Étrange prose pour un « juste »…

Au début de l’Occupation, il est en Allemagne où il œuvre avec Delalande, le successeur de Sohier, Roparz Hemon, et les plus engagés des nationalistes bretons, au rassemblement des prisonniers bretons dans un camp spécial, en vue de former l’embryon de l’armée bretonne sous contrôle du Reich. Membre du Kuzul Meur, c’est-à-dire du Grand Conseil secret qui prend les décisions pour l’ensemble du mouvement nationaliste breton, il œuvre en sous-main, éminence grise et agent de liaison entre les activistes bretons et les services secrets allemands[67]. Il dirige, à partir de 1941, la revue Galv dont il rédige les éditoriaux sous le pseudonyme de R. Kadig (mais il lui arrive d’employer un autre pseudonyme, Kadwallon). Ainsi le premier numéro de cette revue donne-t-il d’abord un éditorial formant déclaration d’intention de R. Kadig, puis un article de Kadwallon, et l’essai « Dirak an dismantrou » de François Éliès (signant Abeozen) qui a été cité plus haut : les rentiers ont suivi de Gaulle en Angleterre, les juifs et les francs-maçons l’accompagnent, mais le vrai combat pour les Celtes est celui que le Reich a engagé… Mordrel qualifie Galv  de version bretonnante de sa propre revue pronazie, raciste et antisémite, Stur (ce qui n’a, du reste, rien d’étonnant puisque Le Helloco était, dès 1934, membre de la direction de Stur).

Condamné à mort par contumace en juin 1946, il s’enfuit au pays de Galles et, possédant un faux passeport qui lui permet d’aller et venir comme il veut, contribue à monter la filière de faux passeports qui sera la « ratline » des militants bretons les plus compromis avec les nazis : bien des tortionnaires du Bezen Perrot en feront usage, il suffit de lire les mémoires de Yann Fouéré pour en être assuré[68]… Qu’il ait bénéficié, de longues années après, de l’indulgence d’un tribunal devrait amener un historien de gauche à se poser quelques questions en regard de ses engagements et de ses écrits, librement consultables, qui témoignent de l’engagement le plus résolu des nationalistes bretons, contre la France, et surtout contre la France résistante, pour l’Allemagne nazie et sa politique raciale — rappelons pour en finir l’un des derniers articles de la revue de Le Helloco : il ne s’agit pas seulement d’en finir avec les Juifs mais avec les peuples enjuivés — « Yuzevien pe poblou yuzeviet ».

Un « juste » selon Monnier…

Il y a aussi ceux qui ont résisté mais n’ont rien fait de breton. C’est le cas de Louis Pichouron, l’organisateur de la compagnie Tito. Louis Pichouron, qualifié de « créateur de maquis », est là, somme toute, parce qu’il a écrit dans ses mémoires : « J’avais du mal à réaliser comment notre chère Bretagne allait être occupée ». Dès lors qu’il dit aimer  «  notre chère Bretagne », il est des nôtres. Là s’arrête la « conscience bretonne »  d’un résistant qui permet surtout  de raconter sur le mode exalté les exploits de la compagnie Tito sur laquelle il y aurait long à dire et ce ne serait assurément pas ce qu’en dit Monnier.

De même avons-nous l’épopée du « Dalc’h mad » qui, à part le nom du bateau, n’a rien de breton, l’épopée de l’énigmatique maquis Bleiz Mor ou Bleimor de la région du Mené qui aurait compté « un groupe de résistants bretonnants ». « Bretonnant », d’après le dictionnaire : « qui parle breton ». Mais non, pour Jean-Jacques Monnier, le mot «  désigne aussi bien des personnes qui parlent breton que des défenseurs de la cause bretonne. » (p. 238).  Sont donc poussés dans la cause bretonne les résistants qui parlent breton, ceux qui chantent le « Bro goz » ou « Va zi bihan », ceux qui ont composé une chanson en breton, fût-ce pour dénoncer les miliciens du Bezen…

Et puis il y a ceux qui ne sont pas résistants, pas bretonnants non plus, qui ont juste vu passer un résistant, eu un frère dans la Résistance, ou, comme d’Estienne d’Orves, épousé une Bretonne.

On aurait tort de croire que cet inventaire aberrant est sans usage : chaque nom permet d’introduire de longs récits démarqués de souvenirs de résistants et contribue ainsi à détourner l’épopée de la Résistance pour en faire une part de l’histoire du mouvement breton, selon l’équivalence posée implicitement dès le début, les Bretons : les militants bretons.

Les enrôlés

Sont enrôlés d’office ceux qui ont fait partie d’une association au nom breton. Ainsi l’association Fidel Armor devenue Sao Breiz présidée par De Gaulle, association d’entraide rassemblant des Bretons de la France libre à Londres. Le bulletin de l’association précise « Sao Breiz evit ar vro gallek  » — autrement dit « Debout Bretagne pour la France », ce que Monnier s’empresse de traduire par « le pays francophone ». Qu’est-ce qu’un petit contresens pourvu que l’honneur soit sauf…

Voici donc cette amicale farouchement hostiles aux nationalistes bretons enrôlée dans la grande croisade de la bretonnité : on cite des chants bretons, parmi lesquels le « Bro goz », on cite Mon frère Yves de Pierre Loti, et même la matière de Bretagne d’origine celtique (preuve que l’on ressent cette « communauté celtique  »). Résistance : combat breton.

La revue Sao Breiz ne cesse de proclamer sa haine des autonomistes. Qu’à cela ne tienne : sous le nom d’autonomiste, « entendre ici les séparatistes proallemands » (p. 151). Les gaullistes résistants de Sao Breiz étant de bons Bretons ne peuvent être hostiles aux bons autonomistes. Il s’en trouvera d’ailleurs, comme le général Vallerie, pour devenir un authentique militant breton et engendrer une lignée militante : si l’un l’a fait, pourquoi pas les autres ? Dès lors que la forêt reste floue, l’arbre choisi pour la cacher n’a pas besoin d’être gros : la même méthode s’applique du début jusqu’à la fin.

Avec les gaullistes de Sao Breiz et les communistes de War Sao, tous mis dans le même panier, on peut dire que Monnier a racolé large. Mais il y a aussi les résistants qui avaient appartenu au PNB et qui, soit avaient été exclus, soit avaient démissionné. Ils n’en étaient plus, donc on pourrait croire qu’ils ont résisté sans lien avec le PNB, voire contre le PNB, et que la Résistance n’avait pour eux rien à voir avec des errements passés — mais le mouvement breton est une vaste famille : qui en fait partie y est à jamais…

Les convertis tardifs

Et, selon le même principe, qui en fait partie y était déjà depuis toujours. Ainsi le cercle s’élargit-il encore : arrivent tous ceux qui, revenant en Bretagne à l’âge de la retraite, ont fondé un cercle celtique, adhéré à l’UDB, pratiqué la danse fisel, l’art du picot, la broderie sur kabik… Grâce à deux cousins, toute l’épopée du maquis Surcouf vient se dérouler devant nous — aucun des deux cousins n’avait d’activité bretonne spécifique sous l’Occupation mais l’un d’entre eux adhérera au MOB, puis à l’UDB, et l’autre publiera des contes en breton…

Pierre Folgavez, qui avoue que son activité de résistant a été « plutôt anecdotique qu’effective » et que sa « conscience bretonne » était faible, participe de cette grande épopée de la Résistance bretonne pour avoir adhéré à l’UDB en 1985, plus de quarante ans après. Et des membres de la compagnie Tito se retrouvent au MOB, voire à Strollad ar Vro (SAV)…  Jean-Jacques Monnier se garde bien de faire remarquer que le MOB de Fouéré, premier parti nationaliste breton reconstitué après la Libération, est un parti qui rassemble l’arrière-garde de la collaboration, que SAV est, comme Michel Nicolas l’a établi voilà bien longtemps, un parti fasciste né en 1972 de la fusion des anciens du MOB de Yann Fouéré avec un groupuscule fasciste, « Bretagne action ». Comme je le rappelais dans Le Monde comme si, après avoir cité Michel Nicolas, « on retrouve à sa tête Yann Fouéré, assisté de Lucien Raoul » et « le congrès de SAV se tient en 1973 le même jour et au même endroit que celui de l’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes, à l’origine de la Charte des langues minoritaires » — l’UFCE de Joseph Martray…

De même, évoquant les « vifs sentiments bretons  » du colonel Rémy et faisant du célèbre héros de la Confrérie Notre-Dame un militant de tout temps acquis à la cause bretonne, Monnier passe sous silence le fait que le colonel Rémy, proche de l’Action française, soutint après-guerre la réhabilitation de Pétain, ce qui l’amena à rompre avec de Gaulle et à se rapprocher de mouvements d’extrême droite : et c’est bien au « Rassemblement breton », aux côtés d’Olier Mordrel, d’Hervé Le Boterf, de François Brigneau, de Jean-Marie Le Pen et de Robert Le Vigan, le disciple de Céline, que devait le mener sa « conscience bretonne  », en pleine contradiction avec les idéaux de la Résistance[69].

Lorsque Jean-Jacques Monnier, rappelant que Rémy appuya les militants du FLB, écrit que « soutien de longue date du mouvement culturel catholique Bleun Brug, il accepte aussi d’être publié dans la revue Gwenn-ha-du » (p. 188), il ne précise pas que la revue Gwenn-ha-du de Jacques Le Maho est une revue nationaliste d’extrême droite vouée à la défense de Mordrel, Debauvais et autres collaborateurs des nazis. Jacques Le Maho lui-même, vendeur de L’Heure bretonne, ancien des Bagadou Stourm, présent lors de la bataille contre la population de Landivisiau, n’est-il pas un grand résistant décoré huit fois ?

L’éloge du grand résistant laisse oublier le fait qu’il a, dans les années 70, repris du service sous les ordres de Goulet : en 1971, on découvre chez lui un pistolet mitrailleur, des explosifs et une abondante correspondance avec son chef[70]. Il reconnaît deux attentats. Jean-Jacques Monnier écrit qu’il « renoue des contacts avec des militants bretons, notamment des activistes du FLB (tendance « républicaine »). Cela lui vaut une arrestation par la DST et une détention de six mois dans l’affaire du FLB. Il bénéficie d’un non-lieu en 1974, alors que les témoins à décharge prévus étaient deux résistants de grande notoriété. Jacques Pâris de Bollardière et Rémy, tous deux compagnons de la Libération !  » (p. 193). Pourquoi est-il arrêté ? Mystère. Juste pour avoir renoué des contacts. Avec qui ? Mystère. Puisqu’il bénéficie d’un non-lieu, c’est qu’il était innocent. Et si un compagnon de la Libération comme le colonel Rémy lui apporte son soutien, c’est qu’il est bien digne de porter ses médailles de résistant.

Jamais la moindre analyse de ce parcours menant de l’Action française au fascisme breton et des Bagadou Stourm au sinistre Gwenn-ha-du. Tout étant confondu dans l’éloge euphorique de la Résistance et de la cause bretonne, nulle analyse n’est, de toute façon, plus possible puisqu’elle viendrait à coup sûr ruiner la démonstration.

Le meilleur exemple en est d’ailleurs l’éloge de l’association bretonne incitant les Bretons résistants à former une association de résistants destinée à faire pièce à l’ANACR, l’Association nationale des anciens Combattants et  Résistants, jugée trop à gauche.  Rassemblant des militants bretons connus pour leur appartenance à l’extrême droite, l’éphémère ARBED (Association des Résistants bretons et de leurs Descendants) trouve cependant grâce aux yeux d’un autonomiste qui se proclame de gauche. À aucun moment il ne souligne les engagements de tel ancien collaborateur de La Bretagne passé à la présidence de la Fédération royaliste via le MOB de Fouéré puis SAV, Strollad Ar Vro, parti né en 1972 de la fusion du MOB avec un groupuscule fasciste, nous l’avons vu. À aucun moment non plus il ne rappelle que ce qui rassemble les membres de l’ARBED, c’est précisément l’appartenance à SAV (ainsi Charles Moreau, ancien de la compagnie Tito, s’y retrouve-t-il avec Gwenn-Aël Bolloré, PDG des éditions de la Table Ronde si largement ouvertes à l’extrême droite) ou au POBL (ainsi Pierre Lemoine, si souvent cité par Monnier), partis nationalistes bretons farouchement anticommunistes et surtout farouchement réactionnaires. Tout étant bon dans le breton, communisme et fascisme peuvent s’unir sous la même bannière.

Les malgré eux

Particulièrement odieux est le traitement réservé à ceux des militants nationalistes qui, ayant rompu sous l’Occupation avec le mouvement breton, sont entrés dans la Résistance et ont entrepris un long travail de réflexion sur ce qui avait amené cette dérive inéluctable et massive vers le fascisme.

Ayant été authentiquement militants de la cause bretonne, puis authentiquement résistants, ils sont englobés d’office dans le bataillon florissant du combat de l’hermine : oublié leur travail de réflexion, effacées les attaques virulentes du mouvement breton, d’autant plus perspicaces que basées sur une connaissance vécue, et d’autant plus gênantes pour l’historien autonomiste.

Francis Gourvil, âgé d’une cinquantaine d’années au moment de l’Occupation, a parcouru, pourrait-on dire, tout le cycle des métamorphoses du mouvement breton : parti de rien, simple ouvrier tailleur, handicapé suite à une poliomyélite, mais avide de s’instruire, sérieux, intelligent, et passionné par la culture populaire bretonne, il bénéficie d’une bourse de la ville de Morlaix pour s’inscrire à la Faculté de Rennes où il obtient en 1913 son diplôme d’Études celtiques. Membre de l’Union régionaliste bretonne et du Gorsedd des druides, il collabore à la revue Ar Bobl de Taldir Jaffrennou, puis crée la revue Mouez ar Vro. Il ouvre en 1920 une librairie celtique à l’enseigne de Ti Breiz, accompagne les débuts de Breiz Atao, fait partie du Parti autonomiste breton, puis du Parti national breton et  collabore même à la revue Stur de Mordrel. Mais, pour des raisons qui n’ont jamais été bien analysées, au moment où commence la Seconde guerre mondiale, il a déjà pris ses distances avec le PNB raciste et, sous l’Occupation, ayant rompu les ponts avec le mouvement nationaliste breton, il entre dans un réseau de résistance. Il est arrêté une première fois en mai 1942 sur dénonciation et emprisonné à Fresnes pendant quatre mois. Mais, à sa sortie, il est l’objet d’une deuxième dénonciation de la part de Bricler, le cousin de Mordrel :

Fçois Gourvil rue de Brest, Morlaix. Traître au mouvement breton, traduisait pendant la guerre les lettres écrites en breton pour le compte du gouvernement français, a fait arrêter ses anciens amis. Depuis l’arrivée des allemands, espion anglais, grâce à ses nombreuses relations avec des anglais, des gallois et des Ecossais. Etait en prison un an (espionnage ou aide à des aviateurs anglais) et vient d’être remis en liberté. Le moment est choisi au plus mal et il est urgent de l’arrêter de nouveau. Très dangereux. Il doit se croire à l’abri maintenant et agit.

Transmis le  19/2/43 à O. M. qui doit le faire parvenir à qui de droit[71].

Membre du Comité de Libération de Morlaix et président du Comité d’épuration, il fait preuve d’une mansuétude qui ne lui épargne pas la haine des militants bretons et, approfondissant ses réflexions, se lance dans une recherche sur les origines du nationalisme breton qui le mène à reprendre les analyses de Luzel, elles-mêmes reprises par son maître, Le Braz, sur les origines du Barzaz Breiz de La Villemarqué. Sa thèse, un monument d’érudition, fait de lui l’homme à abattre du mouvement nationaliste breton en voie de reconstitution. Excellent bretonnant, il ridiculise les prétentions des militants bretons incapables d’écrire une phrase correcte, se rit des druides, dénonce les bardes, se lance dans des recherches toujours concrètes d’histoire et d’onomastique. Un homme libre face à ses errements passés, un défenseur du breton contre ceux qui prétendent le soumettre à leurs dogmes, un authentique connaisseur de la littérature populaire bretonne et un authentique résistant, incarnant la résistance populaire dans toute sa force.

Monnier le place dans les « participations diverses  » entre Paul Gaignet, le fasciste de L’Heure bretonne sauvé in extremis par le représentant de l’ambassade américaine à Paris, et Louis Aubert, le président d’honneur des Seiz Breur. De ce qui a été son apport, sa force propre, plus rien. Sous l’Occupation, nous dit-on, « il est dénoncé, peut-être par un militant nationaliste  » que l’on se garde bien de nommer alors que les faits sont parfaitement connus (mais rappeler les agissements des délateurs du PNB ferait mauvais effet)  et, en 1960, on ne sait trop pourquoi, il soutient une thèse où il met en doute « l’authenticité de certains textes ». Quels textes ? Surtout pas un mot sur la querelle du Barzaz Breiz ! En revanche, on se hâte d’ajouter qu’« une autre thèse, soutenue par Donatien Laurent (1989) conclura à l’opposé  ». À l’opposé de quoi ? Donatien Laurent a retrouvé les carnets de La Villemarqué qui montrent que le vicomte est parti d’une base populaire pour refaire ses textes, ce qui n’empêche pas que d’autres soient des fabrications. Au terme de la démonstration, Francis Gourvil a donc juste été un grand militant breton consacré par la Résistance…

Même traitement chafouin dans le cas de l’éditeur Adolphe Le Goaziou, ami de Francis Gourvil, lui aussi résistant et mis au ban du mouvement breton. Monnier nous explique qu’il « s’oppose vigoureusement au séparatisme » et « tente de s’opposer à la vente publique de L’Heure bretonne » (comme si ce journal connaissait des ventes privées). On notera au passage que Le Goaziou, résistant, s’oppose à la vente d’un journal dont on nous a expliqué par ailleurs qu’il contenait des choses intéressantes et qu’on pouvait fort bien le vendre tout en faisant partie de la Résistance. Mince incongruité parmi tant d’autres… Le cas de Le Goaziou étant évoqué dans un livre de Kristian Hamon que Jean-Jacques Monnier a préfacé, on peut conclure que l’effacement des faits est volontaire. Le Goaziou a été dénoncé publiquement par des « Breiz Atao », autrement dit des militants rassemblant autonomistes et séparatistes en un même combat contre ceux qui s’opposent au nazisme :

« À force de dénoncer les fonctionnaires, les Juifs, les communistes ou les francs-maçons, le pas est vite franchi qui mène vers la délation. La section de Quimper se distingue avec cette inscription sur la façade de la préfecture, le 13 décembre 1941 : « Breiz Atao vaincra. Malheur aux traîtres : exemple Le Goaziou ». Régionaliste avant-guerre, ce libraire de Quimper est la bête noire des militants du PNB. Il avait organisé une manifestation place Saint-Corentin et brûlé des exemplaires de L’Heure bretonne. Dénoncé pour ses sentiments gaullistes — son nom figure sur une liste en possession de Bricler[72] — il sera arrêté en octobre 1943 par la Gestapo[73]. » 

Lui qui fut, comme Francis Gourvil, objet d’une haine durable de la part des nationalistes, est présenté par Monnier comme un bon militant qui, après la Libération, a fondé avec Gourvil La Nouvelle Revue de Bretagne, où, nous dit-on, il jouait un rôle décisif, « tant du point de vue financier que du point de vue militant » (p. 334). Les voilà donc tous deux ramenés dans le vaste giron du militantisme breton, alors même que leur entreprise était directement dirigée contre ces militants de tout poil qui avaient — ils étaient les premiers à en avoir pris conscience pour avoir tiré la leçon de leurs errements passés — instrumentalisé tout ce qui touchait au breton. À leur tour d’être instrumentalisés, réintégrés dans un combat général pour la cause bretonne, désormais réduite à sa plus simple expression.

Heureux combat, par tous célébré, à cela près que ce qu’il entraîne avec lui, c’est la Résistance elle-même. Le combat pour la France, la lutte contre le nazisme, le programme du CNR, tout passe à la trappe, brouillé dans le vague d’un programme revendicatif assimilé à celui de l’Irlande nationaliste. Jean-Jacques Monnier ne va-t-il pas jusqu’à citer à l’appui l’un de ces « jeunes avides d’action » passant du PNB nazi au groupe de résistance Liberté et rappelant que son livre de chevet était Mon combat pour l’Irlande  de Dan Breen ? (p. 105). Le livre de Dan Breen, édité par le PNB et traduit par Le Helloco, le « juste » antisémite, passé du groupe terroriste gwenn-ha-du au Kuzul Meur fasciste, était, de fait, le livre de chevet des militants bretons qui allaient s’engager aux côtés de Lainé. Il est consternant de voir Mona Ozouf, non seulement apporter sa caution à cette idéologie, mais l’appuyer : « Pour ces jeunes militants radicalisés, jouait aussi à plein, Jean-Jacques Monnier a raison de le souligner, la magie de l’exemple irlandais ». Triste magie de l’exemple irlandais au moment où Le Helloco et ses camarades, radicalisés par la propagande de Breiz Atao, recevaient des armes de l’Abwehr pour suivre l’exemple de l’Irlande et se battre contre la France… « Ils se rêvaient en héros de l’indépendance  », écrit-elle, en excusant implicitement l’engagement de ces partisans d’une Bretagne libre, au nom du romantisme et de l’opportunisme : « Leur fascination pour la légende et pour l’épopée irlandaises les incitait à assimiler la répression culturelle et l’extermination physique, à voir la France et l’Angleterre comme des puissances également répressives et colonisatrices et, l’opportunisme volant au secours du romantisme, à saisir l’occasion qui leur était offerte d’un destin de révoltés héroïques. » Révoltés héroïques fascinés par le modèle irlandais offert par Dan Breen : les militants qui se battaient contre la France (et ce n’est pas l’engagement d’une demi-douzaine de membres des  Bagadou Stourm dans la Résistance qui peut changer cette donnée de base). Révoltés héroïques se battant contre le nazisme : les résistants engagés dans un combat qui faisait d’eux les ennemis de ceux qui pensaient devoir se battre pour la Bretagne comme si elle n’était pas française.

Ce qui disparaît aussi, c’est ce mouvement breton, naturellement engagé aux côtés des nazis, et qui, si minoritaire qu’il eût été, a laissé un souvenir monstrueux aux Bretons. Les Breiz Atao, présentés ici comme d’aimables jeunes gens avides d’action, voire comme des révoltés héroïques, étaient aux yeux de la population les traîtres, ceux par qui l’Occupation s’est changée en guerre civile, particulièrement âpre en Bretagne. En les réhabilitant par tous les moyens possibles, et en travestissant les espoirs portés par la Résistance en lutte ethnique, Jean-Jacques Monnier occulte une réalité qu’il est, plus que jamais, essentiel de rappeler en un temps où les autonomistes entendent parler au nom des Bretons : les valeurs du mouvement breton n’ont jamais été celles de la Résistance ; l’hermine, symbole de la Bretagne ducale, est un symbole réactionnaire qui n’a jamais été brandi contre la croix gammée mais, bien au contraire, s’est associée à elle.

Écrire, pour achever de tout laisser se perdre dans une même brume, qu’« en matière de résistance, la Bretagne n’a pas été fondamentalement différente des autres régions françaises » est, de la part d’une historienne de renom comme Mona Ozouf, accepter de passer sur les différences essentielles au nom d’un consensus attendu. Et c’est bien ce rôle de caution qui est attendu d’elle ; ne reculant devant aucune flagornerie, l’éditeur montre dans la note ajoutée à sa préface quel rôle de faire-valoir il lui assigne : « Cette historienne est aujourd’hui l’une des figures de l’intelligence en France. Son œuvre tout entière est un encouragement à la rigueur et à la dignité de la pensée  », écrit-il. Puisque dignité de la pensée il y a, rappelons-le pour finir, oui, en matière de Résistance, la Bretagne a été une région différente d’autres régions : d’une part, il est impossible d’assimiler le comportement des paysans bretons à celui des paysans d’autres régions françaises [74] ; d’autre part, bien que le problème ait été traité avec une extrême négligence, voire occulté par les historiens pour des raisons qu’il serait grand temps d’analyser, le maillage de la région par les réseaux du PNB bénéficiant des subsides des Allemands y a joué un rôle tout à fait particulier. On le voit lorsqu’on travaille aux archives sur les dossiers des bourgs — mais la recherche aux archives semble, nous l’avons déjà constaté, ignorée de Jean-Jacques Monnier — militants bretons, indicateurs et trafiquants de marché noir forment une toile d’araignée ourdie en relation avec les services allemands qui fut en maintes occasions d’une redoutable efficacité contre la Résistance. La terreur que suscitaient les Breiz Atao n’est pas venue seulement des tortures exercées par le Bezen Perrot mais de la nébuleuse dont ils faisaient tous partie. Les Breiz Atao, loin d’être d’inoffensifs défenseurs de la culture bretonne, étaient les membres d’un ensemble de réseaux où les druides du Gorsedd[75], les catholiques de Feiz ha Breiz ou de Dihunamb, les membres des diverses confréries associant militants et fabricants de produits bretons en tout genre, les hobereaux contrôlant les marchés, les magistrats acquis à la cause, les commerçants et les fonctionnaires payés pour faire du renseignement formaient un ensemble dont les multiples ramifications étaient à tout moment susceptibles d’être activées d’un point ou d’un autre. Il suffit de consulter la liste des agents de la Gestapo en Bretagne pour constater que les principaux responsables du mouvement breton y figurent, et tant de jeunes indicateurs membres du PNB et parfois du Bezen Perrot. En matière de résistance, la Bretagne a été différente des autres régions françaises en cela que les résistants ont dû y affronter des militants fanatisés qui les traquaient au nom de la Bretagne. Et c’est de cette Bretagne qu’ils ne voulaient pas.

                                                                             Françoise Morvan


[1] Voir notamment à ce sujet le dossier de la Ligue des Droits de l’Homme de Rennes : https://le-grib.com/histoire/reecriture-de-lhistoire-en-bretagne/reecriture-de-lhistoire-dossier-de-la-ldh/

[2] J.-J. Monnier est candidat de l’UDB (Union démocratique bretonne) aux élections municipales de Lannion.

[3]Pour se borner à quelques exemples tirés du catalogue de Yoran Embanner : une apologie des textes politiques de Roparz Hemon  (voir à ce sujet https://le-grib.com/litterature/hemon-treguer-meme-combat/) ; une histoire du Bezen Perrot présentant (dans une préface signée L. Le Beg) ces militants bretons engagés sous uniforme SS comme des victimes de l’État français et l’abbé Perrot, exécuté par la Résistance, comme victime d’un « crime contre l’humanité  » ; une histoire apologétique du FLB par des militants allant jusqu’à nier l’appartenance à l’extrême droite d’un poseur de bombes comme Christian Le Bihan ;  des essais sur la mythologie celtique par Philippe Jouët de l’Institut d’Etudes indo-européennes de Lyon III (je m’indignais déjà dans Le Monde comme si  de sa présence aux côtés de son collègue Jean Haudry au congrès d’Ordos en 2000 ; sur l’instrumentalisation de la question indo-européenne par l’extrême droite, on pourra consulter le rapport Rousso (http://cache.media.education.gouv.fr/file/75/9/759.pdfet, sur Jouët,  l’Observatoire de l’extrême droite et des sectes fascistes (http://collectifs.raslfront.info/IMG/pdf/bulletin_rouen_14.pdf). Qu’une historienne comme Mona Ozouf cautionne un tel éditeur donne la mesure de la gravité du problème.

[4]http://www.institut-locarn.com/qui-sommes-nous/conseil-d-administration/les-memebres-du-conseil-d-administration 

[5] Résultat d’autant plus dérisoire qu’il repose sur une enquête collective : en effet, si l’auteur semble avoir pris à la légère les recherches aux archives (la plupart des références données sont issues des recherches de Kristian Hamon), ce qui l’amène à se prononcer sur des dossiers dont il ignore tout, en revanche il cite d’abondance les contributions de militants nationalistes qui lui sont venus en aide, ainsi Bernard Le Nail, l’ancien directeur de l’Institut culturel de Bretagne, lui-même éditeur de Martray et collaborateur de la presse nationaliste bretonne (notamment Gwenn-ha-du), ou encore Pierre Lemoine, ancien du MOB de Fouéré et relais de Martray à l’UFCE (on notera d’ailleurs que le texte publicitaire anonyme du Conseil culturel de Bretagne annonçant « le livre que nous attendions tous depuis longtemps » est  publié sous la signature de Bernard Le Nail dans Armor magazine  en décembre 2007 pour annoncer, dans le numéro suivant, l’éditorial de la rédaction qui lui est entièrement consacré). Ajoutons que bon nombre de témoignages, donnés par des militants bretons plus de soixante ans après les faits,  ou rapportés d’après des rumeurs, n’ont que la valeur que l’on veut bien leur accorder : nulle preuve jamais n’est apportée ni ne peut être apportée, l’alibi de la clandestinité s’ajoutant à l’éloignement dans le temps.

[6] Pour la traduction de cet article collaborationniste et antifrançais, voir sur le site du Groupe information Bretagne l’article « Le racisme et l’antisémitisme de Youenn Drezen, d’après ses articles publiés dans le journal Arvor dirigé par Roparz Hemon (1942-1944) et dans L’Heure Bretonne (1940-1944)  ».

[7] Histoire du mouvement breton,  Syros, 1982, p. 102.

[8] Comparer le chapitre « Les fourvoiements de l’ “ emsav ” » de l’ Histoire de la Bretagne et des Bretons, tome II, et le chapitre « Breiz Atao » du Monde comme si. Joël Cornette reprend ces pages mais pour les mettre au service d’une histoire habilement gauchie, faisant tout à la fois l’éloge d’Ar Falz (sans mentionner les ambiguïtés de Sohier et de ses associés) et de Gwalarn (sans mentionner les compromissions de Hemon et de ses collaborateurs) et surtout en gommant le soubassement idéologique qui leur était commun.

[9] Morvan Marchal, Chants du PorhoëtLa Bretagne réelle, 1965-6. Marchal a collaboré dès le début à cette revue d’extrême droite (la préface du volume est d’ailleurs rédigée par Roger Hervé alias Katulvos, collaborateur de la revue pronazie Stur, et Georges Pinault, alias Goulven Pennaod, autre druide, déjà évoqué ici).

[10] Ces faits ont été établis dans Le Monde comme si, p. 224-5.

[11] La Bretagne fédérale, « Statuts », 1931, n°1, p. 3.

[12] « Un peuple contraint les autres peuples à s’effacer, à disparaître, chacun entraînant dans la mort son caractère racial avec son patrimoine ancestral. » Ibid., p. 7.

[13] La Bretagne fédérale, n° 1, novembre 1931.

[14] L’Heure bretonne, « Souvenirs d’un hors-la-loi », n° 57, 9 août 1941, p. 1.

[15] Ainsi peut-on lire dans La Bretagne fédérale, le 6 avril 1933, sous le titre « Salade armoricaine garantie authentique », un compte rendu d’une action commune, à l’occasion d’un concert pour  Charles le Goffic : « Le 1er  avril donc, les points stratégiques du théâtre municipal étaient occupés par des adhérents de “Breiz Atao”, “Breiz da Zont”  et de “La Bretagne fédérale”  (…) en réclamant En breton ! En breton !, sur un ton tel que les organisateurs jugèrent préférable de céder. (…) N’attaquez pas la langue, Messieurs, car sur ce terrain les groupements bretons seront toujours d’accord pour la riposte. »

[16] Stur, n° 11, octobre 1937, p. 94.

[17] Stur  n° 1, juin 1942, p. 5.

[18] Cette correspondance a, d’ailleurs, été publiée dans la revue nationaliste Ar Vro, en 1963, par Per Denez, qui entendait bien prouver en la publiant que Yann Sohier, revendiqué comme militant de gauche par Ar Falz, hostile au mouvement nationaliste issu de la collaboration, était bien lui-même un militant nationaliste pur et dur, acquis à la cause de l’indépendance.  Rappelons que Meavenn, alors épouse de l’un des chefs du Bezen Perrot, allait prendre la direction d’Ar Vro, ce qui témoigne d’une indéniable constance. Ces faits ont été rappelés dans Le Monde comme si  et ne pouvaient donc être ignorés.

[19] Voir à ce sujet Henri Fréville, Archives de Bretagne, rééd. Ouest-France 2004 (on notera que Monnier, qui ne cite même pas le volume dans sa bibliographie, le mentionne au détour d’une note en se gardant de citer la réédition, comportant des informations qu’il entend passer sous silence).

[20] L’Heure bretonne, n° 165, 19/09/1943, p. 6, « La revue des revues ».

[21] Rappelons que les militants nationalistes entendaient faire de l’espéranto un moyen de ne plus avoir recours au français ou à l’anglais dans les échanges des minorités de race celtique opprimées.

[22] « Yann Sohier et le breton », An Eost, n° 1, 1943.

[23]  Comme le constate Éliès dans War Sao, juin-juillet 1935. On notera au passage qu’Éliès lui-même, excellent bretonnant, a fait le choix d’élever ses fils en français.

[24] Ce qui n’empêche pas Joël Cornette d’écrire que Sohier fonda dans son école « un enseignement en breton, débarrassant ses élèves de tout sentiment de culpabilité : il reste ainsi, aux yeux de tous, le précurseur des écoles Diwan  » (Histoire de la Bretagne et des Bretons, p. 466).  Dédaignant le breton de Plourivo (et, d’ailleurs, tout ce ce « Goëllo à moitié gallo d’esprit », comme il l’écrit dans la même lettre), comment, parlant un breton littéraire à peu près incompréhensible à ses élèves, pouvait-il les déculpabiliser ?

[25] Cette expression fut créée au XIXe siècle par Léon Taxil, auteur de pamphlets antisémites et antimaçonniques, pour désigner les francs-maçons.

[26] « Dirak an dismantrou », Galv, mars 1941, p. 14-6 (trad. F. Morvan). C’est Mona Ozouf qui, dans sa préface, prouve qu’Annick Sohier savait avec qui elle collaborait : « J’ai ainsi retrouvé, grâce à Jean-Jacques Monnier, chez un homme que j’ai vu piquer sur une carte de l’URSS les petits drapeaux triomphants de l’avance allemande, un ancien fondateur du Secours rouge, partisan des combattants espagnols contre les « valets de Franco » (p. 8). Si les lettres d’Éliès à Sohier ont été détruites par Annick Sohier, celles d’Éliès à Sohier montrent que ce militant breton qui pique des petits drapeaux est bien celui qui, en 1941, appelle la Bretagne à remercier ces armées d’être présentes et ouvre, en 1943, la revue An Eost par un hommage à Sohier suivi d’un article de sa veuve. L’article «  Dirak an dismantrou », très largement connu, fit l’objet d’un éloge enthousiaste de Youenn Drezen dans La Bretagne le 6 septembre 1941.

[27] « La Bretagne se définit par un sol, une histoire et une race », écrit Martray dans son éditorial d’août 1943, précisant que « race » signifie « communauté d’origine  » qui « explique et impose les grandes similitudes de base qui sont plus psychologiques que physiques ». C’est cette même conception qu’il développera en contribuant après guerre à la Fédération Peuples et Ethnies solidaires.

[28] Qu’on le veuille ou non, l’emblème choisi pour Ar Falz est bien celui du Parti national breton fondé en 1931, et alors que le programme national-socialiste SAGA avait  été adopté : « Un parti national s’est fondé à Rosporden », écrit Mordrel. « Il a adopté un drapeau noir et blanc, inspiré du blason de nos anciens ducs, arborant un champ d’hermines sans nombre et neuf bandes, cinq noires pour les cinq évêchés de la Haute-Bretagne et quatre blanches pour ceux de la Basse. Il a choisi un insigne parmi les symboles magiques des vieux Celtes, le hévoud, qui n’est pas autre chose qu’une croix gammée, mais qui, au lieu de tourner dans le sens maléfique, tourne à droite, dans le sens bénéfique. » (Breiz Atao, éditions Alain Moreau, collection dirigée par Jean Picollec, 1973, p. 133). Au sujet de l’adoption de la croix gammée par Breiz Atao, puis le PNB, voir http://membres.lycos.fr/leguenne/etudes/gwenn_ha_du/croix_gammee.htm?#_edn46.

[29] Anna Youenou, Mémoires du chef breton : Fransez Debauvais, tome 3, p. 85.

[30] « Rien dans les confidences (pourtant nombreuses) qu’il m’a faites sur cette période de sa vie ne laisse entrevoir une participation de lui à des actions de résistance. Il continue à assurer des cours de breton à ses élèves mais s’interdit tout contact avec « Ar Brezoneg et Skol » (Fouéré), avec An Eost et avec tous ceux qui furent ses amis de naguère (Delalande-Kerlan entre autres) qui cédèrent à la divine surprise »  (témoignage manuscrit de Charlez ar Gall, p. 341).

[31] Et dans les tout premiers rangs, de même que Roparz Hemon, comme le montre le cahier n° 1 de l’ICB.

[32] Ar Seiz Breur, Terre de Brume/Musée de Bretagne, p. 9.

[33] Ibid., p. 190.

[34] En 1927, le premier article de Creston signé J. F. Halgan est l’expression même de la radicalisation politique  ouverte du groupe des Seiz Breur : il l’utilise dans Breiz Atao lors du procès des autonomistes catalans, peu avant la fondation du Parti autonomiste breton (Daniel Le Couédic, op. cit., p. 95).

[36] Voir notamment le scan de la première page du n° 67 du 18 octobre 1941, http://membres.lycos.fr/leguenne/etudes/breiz_atao/pnb_nazis/pnb_nazis.htm

[37] Lionel Boissou, « L’A1lemagne et le nationalisme breton », in Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale, CRBC, 2002, p. 333.

[39] Martin Blumenson, Le Réseau du musée de l’Homme, traduit de l’anglais par Jean-Pierre Carasso, Seuil, 1979 (titre original : The Vildé Affair, 1977), p. 156.

[40] Daniel Le Couédic, op. cit., p. 199. À cette occasion, F. Éliès accuse Creston de « duplicité  ».

[41] Ibid., p. 188.

[42] Voir le discours flagorneur de Creston lors de l’hommage à L’Estourbeillon  : « La France se retrouve dans la figure du maréchal Pétain et notre Bretagne, mon cher et vénéré ami, se retrouve en vous… », Ibid., p. 195.

[43] Ibid., p. 203.

[44] Lettre du 15 février 1960 à Charles Laurent, cité in Gwendal Denis, Abeozen, l’homme et l’œuvre, thèse de doctorat d’État, sous la direction du professeur Y.-B. Piriou, Université de Rennes II, 1988, Annexe, p. 90. Cette thèse dissimule la teneur des écrits les plus graves d’Éliès (l’article « Dirak an dismantrou » n’est donné qu’en version brève, parue dans L’Heure bretonne, avec résumé édulcoré en français ; les textes de Galv sont passés sous silence, alors même que cette thèse n’est qu’une compilation d’articles donnés en fac-similé ; l’auteur ne peut prétendre les ignorer puisqu’il cite (p. 536) l’hommage de Drezen à « Dirak an dismantrou », « article d’une rare solidité » paru dans Galv (voir ci-dessus note 26).

[45] Voir Le Monde comme si, p. 175-178.  La chronique collective « Ar Seiz Avel » de La Bretagne fut créée par François Éliès dont il a déjà été question plus haut, puis dirigée par Xavier de Langlais.

[46] La Maison du Connemara, p. 273.

[47] En remplacement de Maurice-Bernard de La Gatinais que Fouéré avait contribué à mettre en place et qui devait finir chef de corps de la Milice (sur cette « déshonorante aventure », voir Henri Fréville, Archives secrètes de Bretagne, réédition Ouest-France, 2004, p. 252-9).

[48] La Patrie interdite, France-Empire, 1987, p. 253.

[49] Ces manœuvres ont été assez bien analysées par Henri Fréville dans ses Archives secrètes de Bretagne pour qu’on se dispense d’y revenir.

[50] La Patrie interdite, p. 332.

[51] La Maison du Connemara, p. 44.

[52] Rappelons que Langlais fut responsable de la chronique « Lan hag Herve » du journal La Bretagne, chronique comportant des textes racistes et antisémites désormais connus (j’ai cité dans Le Monde comme si, le texte intitulé « L’étoile jaune »,  paru au moment de la grande rafle du Vel’ d’Hiv’).

[53] La Maison du Connemara, p. 286.

[54] Ibid., p. 292.

[57] Sur 3 à 4 000, soit très peu pour l’ensemble de la Bretagne mais beaucoup par rapport aux autres partis.

[58] Archives GRIB.

[59] Les Nationalistes bretons sous l’Occupation, An Here, 2001, p. 156.

[60] ADIV 245 W 65.

[61] La Bretagne dans la guerre, tome III, p. 135.

[62] Archives GRIB.

[63] Roger Le Hyaric, Maquisard !, Bannalec, 1992, p. 235-6.

[64] Olier Mordrel, Breiz Atao, p. 138 et 139. Deb désigne, bien sûr, Debauvais.

[65] Notons au passage qu’Hervé Delaporte fait l’objet de longs développements élogieux de la part de Monnier qui le présente comme un inoffensif membre du PNB médecin des maquis.

[66] La Patrie interdite, France-Empire, 1987, p. 217.

[67] Yann Fouéré, La Patrie interdite, p. 217, p. 310, etc.

[68] Yann Fouéré, La Maison du Connemara, passim.

[69] Jean-Yves Camus et René Monzat, Les Droites nationales et radicales en France, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 93.

[71] Texte transcrit tel que trouvé aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 215 W 174. Le texte a été dactylographié très rapidement suite à la découverte de ces documents dans le coffre de Bricler, qui sera abattu par la Résistance le 3 septembre 1943.

[72] Le nom de Le Goaziou ne figure cependant pas sur la liste de personnes dénoncées par Bricler — liste qui n’a d’ailleurs pas été retrouvée dans son coffre après sa mort, comme l’indique Kristian Hamon, mais qui, communiquée à la Résistance, a été la raison de son exécution (et de celle de l’abbé Perrot, des personnes de Scrignac auxquelles l’abbé avait eu affaire, figurant sur cette liste).

[73] Les Nationalistes bretons sous l’Occupation, An Here, p. 143.

[74] Voir notamment les cartes dressées à la suite de l’enquête du Comité d’histoire de la 2e guerre mondiale (La Libération de la France, éditions du CNRS, 1976), l’analyse par Yves Lacoste des cartes des maquis dressées par les Américains en juillet 1944 (« Géopolitique des maquis », in Résistants et Résistance, L’Harmattan, 1997) ou encore « Les paysans et la Résistance : le modèle aveyronnais » (in La Résistance et les Français, Presses universitaires de Rennes, 1995). On ne peut simultanément soutenir l’argumentation selon laquelle « Bretagne est Résistance », comme l’écrit Monnier, alléguer qu’en matière de Résistance, la Bretagne a été semblable aux autres régions et renier le postulat « France est Résistance » du fait que les résistants représentèrent un faible pourcentage de la population.

[75] L’essai de Jean-Jacques Monnier aura au moins eu le mérite de mettre en lumière le rôle joué par le Gorsedd, véritable franc-maçonnerie au rôle d’autant plus efficace qu’occulte. En 1981, interrogé par un journaliste qui lui reprochait d’avoir l’air de renier son passé, Francis Gourvil protestait : « Je ne renie rien, j’ai été barde, j’ai fait partie du Gordedd, qui est une vaste fumisterie et n’a aucune base historique, ni scientifique. J’ai tout laissé tomber lorsque j’ai acquis quelques notions d’histoire et de linguistique ». Mais ici Aubert, Calvé, Darsel, Dezarrois, Jaffrennou, Piriou, Poilvet, Brékilien, Vallerie et tant d’autres sont présentés comme nobles tenants du bardisme, certains d’entre eux, comme Auguste Boncors, nullement résistant, ne figurant dans ce volume que pour avoir fait partie du Gorsedd.