Ultragauche et terrorisme

En 2002, à la suite de la parution du Monde comme si, une dizaine d’associations (dont le Groupe Information Bretagne) avaient tenté d’organiser une rencontre à Lorient. Une violente campagne de presse assortie de menaces avait conduit les organisateurs à renoncer à cette rencontre. 

Il était alors apparu qu’un groupuscule nationaliste se trouvait derrière cette campagne de presse relayée par tous les médias locaux : se présentant comme une innocente association « culturelle » bretonne, Bemdez s’était déjà livré à des actions violentes en lien avec le parti indépendantiste breton Emgann qui passait pour la vitrine légale du FLB. Ce groupuscule était à l’origine d’une « Marche des Libertés Bretonnes » (sic) rassemblant des nationalistes bretons allant de l’extrême gauche à l’extrême droite avec le soutien de Joëlle Aubron d’Action directe.

Joëlle Aubron et les « libertés bretonnes »

Le président de Bemdez, l’indépendantiste Bertrand Deléon, alors proche de l’extrême gauche et depuis passé à droite (et condamné pour violences sur un enfant de l’école Diwan où il enseignait en dépit de ses prises de position en faveur de terroristes) citait la lettre de Joëlle Aubron du 13 septembre 2002 :  

Ainsi s’agissait-il d’« élaborer une Bretagne » conforme aux « besoins et aux rêves » des nationalistes associés aux terroristes. 

Lors du décès de Joëlle Aubron, en 2006, Bemdez lui rendait encore hommage, cependant que 200 militants de la LCR, Besancenot en tête, se rendaient sur sa tombe (les indépendantistes bretons d’Emgann puis de Breizhistance ont fait alliance aux élections avec la LCR). 

Le Vrai Journal en janvier 2011 avait pourtant souligné l’étrange collusion de Joëlle Aubron avec Tillenon du Cercle Maxen Wledig qu’il avait fondé avec deux nazis jamais repentis, Goulven Pennaod (ancien du Bezen Perrot) et Olier Mordrel. 

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C’est cette collusion des nationalistes d’extrême droite et d’extrême gauche, l’alliance d’anarchistes avec les plus fanatiques partisans de l’idéologie nationale et le règne de terreur instauré en Bretagne par ces groupuscules que dénonçait le dossier du GRIB intitulé « Emgann Bemdez un combat de chaque jour » – dossier qui mérite d’être relu à la lumière des événements actuels. 

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Jean-Marc Rouillan et la lutte armée

Joëlle Aubron faisait partie du groupuscule terroriste Action directe avec Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon et Georges Cipriani. 

Fondé au début de l’année 1979, Action directe s’était signalé par une première action, le mitraillage de l’immeuble du CNPF le 1er mai, mitraillage suivi d’attentats non moins absurdes contre le ministère du Travail, le ministère de la Santé et de nombreuses autres cibles, mairies ou ministères… Les terrorises vivaient largement grâce à l’attaque de la perception de Condé-sur-Escaut, suivie de nombreuses autres attaques à main armée, comme le rappelle Floréal Cuadrado qui a évoqué ces années dans son essai Comme un chat (éditions du Sandre, 2015) : 

« Ce que je dis de moi ici n’a d’autre but que de montrer comment nous sommes passés du romantisme de la révolution radicale aux chimères de l’action “révolutionnaire” illégale sans poursuivre véritablement de but révolutionnaire ; comment nous sommes devenus, en quelque sorte, des politiciens de l’illégalisme… Une sorte de descente vers des ”enfers” célébrant les maléfices d’une idéologie de confort pour désœuvrés festifs ». 

Grâce à Gabriel Chahine qui avait organisé un faux rendez-vous avec le terroriste Carlos, Rouillan et Ménigon furent arrêtés mais le premier amnistié, la seconde libérée en 1981 par Mitterrand (comme bon nombre de terroristes bretons, basques et corses). Ils purent donc poursuivre leurs actions en toute impunité. Ce serait la cellule élyséenne qui aurait livré le nom de Chahine, lequel fut assassiné le 13 mars 1982. 

À partir de cet assassinat, Action directe, ayant produit un manifeste néomarxiste délirant destiné à légitimer la lutte armée, se lance, sous la direction de Rouillan, dans une campagne d’attentats meurtriers qui aboutit en 1985 à l’assassinat du général Audran, puis, en 1986, du PDG de Renault, Georges Besse, abattu devant son domicile par Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon. Avec Georges Besse, nommé pour mettre en œuvre un ultime plan de réduction des déficits, les derniers espoirs de sauver l’usine Renault de Billancourt disparaissent : les terroristes ont été les meilleurs appuis de ceux qui entendaient liquider la « forteresse ouvrière ».  Ce sera chose faite en 1992. 

Arrêtés le 21 février 1987 dans une ferme où se trouvent des armes, des explosifs et une cache destinée à un otage, Aubron, Cipriani, Ménigon et Rouillan sont condamnés en 1989 à la réclusion à perpétuité pour l’assassinat de Georges Besse et, en 1994, à la même peine pour l’assassinat de René Audran et divers attentats ou tentatives d’assassinat. 

Quoique deux fois condamnés à perpétuité, les terroristes sortent l’un après l’autre de prison. Joëlle Aubron est libérée en 2004 et meurt en 2006, toujours convaincue d’avoir mené un juste combat. Nathalie Ménigon et Jean-Marc Rouillan bénéficient dès 2007 d’un régime de semi-liberté mais, en 2008, Rouillan le perd pour avoir donné à L’Express une interview indiquant qu’il ne « crachait » pas sur ce qu’il avait fait, notamment l’assassinat de Georges Besse. Expliquant son ralliement au parti de Besancenot, il déclare : « En tant que communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un moment du processus révolutionnaire est nécessaire. »

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Jean-Marc Rouillan et les tueurs djihadistes

Le régime de semi-liberté lui est cependant à nouveau accordé en 2012 mais, en 2016, commentant les attentats djihadistes du Bataclan, il déclare que les assassins se sont « battus courageusement ». Cet éloge lui vaut d’être condamné en 2016 à huit mois de prison. Il fait appel et est condamné en 2017 à dix-huit mois de prison, dont dix mois assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve pour apologie du terrorisme. Vu que le délit est passible de cinq ans de prison et de 75 000 € d’amende, et vu le contexte, on est en droit de penser que le tribunal est loin de faire preuve d’acharnement.

Ne manquant apparemment pas d’argent, Rouillan se pourvoit en cassation, mais son pourvoi est rejeté en 2018. La condamnation pour apologie du terrorisme est donc définitive.

Au lieu d’être emprisonné, il obtient l’autorisation d’effectuer sa peine à domicile avec un bracelet électronique. Or, bizarrement, le bracelet électronique se révèle défaillant sans que Rouillan s’en aperçoive, puis il se décroche de lui-même, par chance en présence de huit témoins qui peuvent attester qu’il n’y est pour rien. Résultat : le tribunal d’application des peines ayant constaté le manquement, le parquet national antiterroriste requiert en novembre le retour en détention. Comme la détention doit prendre fin le 11 janvier, et comme le jugement doit être rendu le 14 décembre, le retour en prison ne serait au total qu’un mince épisode d’une vie militante. 

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Mobilisation pour quelle cause ?

Mais, le 17 novembre, un collectif se mobilise pour dénoncer cet odieux « acharnement » contre une innocente victime. Sur Médiapart, et plusieurs sites d’extrême gauche, une pétition rassemble plusieurs centaines de signatures. 

Qui signe cet appel à soutenir un assassin qui n’a jamais regretté ses crimes ? Gaël Roblin, un militant nationaliste d’extrême gauche, à la tête d’Emgann puis de Breizhistance, naguère condamné pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et qui a été élu en 2020 à la mairie de Guingamp (avec 189 voix), des indépendantistes catalans, des indépendantistes bretons et basques, des autonomistes qui se disent pourtant hostiles au terrorisme (Yves Jardin), des militants pro-palestiniens, des « militants décoloniaux », des communistes (dont Pierre Laurent), des maoïstes (l’OCML Voie Prolétarienne) (ce qui est naturel puisque Rouillan se réclame des « mao-spontex »), des militants de la LCR, des anarchistes (ainsi la CNT), des éditeurs de l’ultragauche (ainsi l’éditeur de Rouillan, Agone, mais aussi Libertalia, Éric Hazan, Le Chemin de ronde , Catalunya), des syndicalistes et des militants qui se désignent comme « gilets jaunes », des écologistes (comme Noël Mamère) et des militants des droits de l’homme. 

Plus étonnant, le soutien apporté par Christian Eyschen, président de la Libre Pensée, Gérard Filoche et Henri Pena-Ruiz. Quant aux metteurs en scène, acteurs, auteurs à l’origine de la pétition, qu’allaient-ils faire en cette galère ? Leur présence en tête de cette liste est à elle seule le signe de la déliquescence politique amenant à voler au secours de la violence au nom de l’humanité, du totalitarisme au nom de la liberté, du mépris de la Justice au nom de la justice. C’est bien ce que soulignait Laurent Joffrin commentant la publication de l’histoire d’Action directe par Rouillan à quoi Libération consacrait dès parution un long article : 

« Dans la préface du livre, exempt de tout repentir, on lit qu’il s’agissait « de triompher du nazisme quotidien qui menace l’Europe ». Référence éclairante: à cette époque, l’Allemagne venait d’être gouvernée par Willy Brandt, opposant historique à Hitler. Le même était donc le fourrier du nazisme ? Absurde, évidemment. Mais cette absurdité explique bien des choses. Enumérant ses raisons, Rouillan se livre aux mêmes renversements sémantiques. Les démocraties, dit-il, sont des dictatures, les libertés des ruses du capital, les forces qui luttent pacifiquement pour la classe ouvrière des traîtres à cette même classe. C’est donc bien l’inversion orwellienne du langage qui permet de justifier l’injustifiable. Puisse la lecture du livre faire réfléchir, dans le monde militant ou intellectuel, ceux qui se livrent aux mêmes falsifications sémantiques, qui voient la démocratie comme une tyrannie et ses défenseurs telles des marionnettes d’un ordre répressif»

Rouillan, qui se présente comme une victime et passe pour le héros d’un combat méritoire, bénéficie de tribunes qui font de lui un maître non pas à penser mais à agir. 

C’est bien pour cette raison qu’il avait été invité au bar le Dibar de Plougonver où œuvrait Gaël Roblin qui avait soutenu sur twitter les propos de Rouillan au sujet des attentats du Bataclan. C’est bien pour cette raison aussi qu’en 2018 il avait été invité à « sillonner la Bretagne » pour faire la promotion de son essai. 

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Tout un réseau de soutien est en voie de s’élargir et de se renouveler, avec la complicité d’anciens militants dont les échecs passent pour glorieux aux yeux de jeunes sans repères, sans conscience politique et sans connaissance de l’histoire : ce sont eux qui, prêts à combattre en aveugle pour ne pas avoir à penser, seront les victimes de cet obscurantisme.

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Pour en savoir plus long, il est possible de regarder l’épisode 33 de l’émission « Faites entrer l’accusé » intitulé « Action directe : l’assassinat de Georges Besse ».

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