Les nationalistes bretons depuis les origines ont considéré comme une mission de faire disparaître la Bretagne gallèse, jugée inférieure, et de la soumettre à la glorieuse celtitude de la Bretagne bretonnante. Les vœux d’Olier Mordrel, plus actuels que jamais, sont en voie d’être exaucés grâce à l’invention du cadastre que nous avons dénoncée ici de longue date. Ainsi les moindres bourgs de haute Bretagne sont-ils baptisés de noms néobretons concoctés par l’office de la langue bretonne de manière à fabriquer un territoire national voué à prendre son indépendance.
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Virulents contempteurs de l’impérialisme français, les militants nationalistes bretons assument sans y voir la moindre contradiction l’impérialisme qui les amène à imposer le breton comme langue nationale d’une haute Bretagne où il n’a jamais parlé et à éradiquer le gallo considéré comme un vulgaire patois français. C’est d’ailleurs ce que proclame ce jour l’ABP, organe des nationalistes bretons d’extrême droite à laquelle ne craignent pas de collaborer des militants qui se disant d’extrême gauche, ainsi ce militant qui, dans un style remarquablement confus, avoue ce que les autres dissimulent à savoir que le gallo n’existe pas : « Le simple péquin de base sait juste qu’il parle “patois” sans aucune autre notion d’un “dialecte roman de Haute Bretagne” et [sait] encore moins l’écrire. » Comment le misérable « péquin » de haute Bretagne pourrait-il savoir écrire le gallo puisque 95% des subventions sont attribuées à l’enseignement du néobreton surunifié, langue de la future nation ?
Indignés de voir leur commune ainsi rebaptisée, et de voir partout des panneaux proclamer à grands frais leur identité celtique imposée, certains habitants se sont révoltés. Hélas, toujours en vain.
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La ville de Vitré a été affublée du nom de Gwitreg (tel que ça ne se prononce pas). Les autochtones n’ont pas été consultés et, de toute façon, s’ils l’avaient été, ils n’auraient pas eu leur mot à dire puisqu’ils n’ont jamais parlé breton. L’Office de la langue bretonne, organisme faisant surtout office de fabrique de la novlangue à imposer partout et officialiser sur fonds publics, se trouve prolongé par la charte Ya d’ar brezhoneg : une fois la charte signée, la commune rebaptisée se doit d’afficher par panneaux et autres moyens son identité bretonnisée.
Des Vitréens, furieux d’être gwitreguisés, n’ont fait ni une ni deux : ils ont enlevé les panneaux de la discorde. Cette disparition s’est accompagnée de protestations du président d’une association de défense du parler gallo, la Granjagoul. « J’ai l’impression qu’on veut faire ça pour faire plaisir aux touristes, on se croirait à Disneyland Bretagne », a-t-il déclaré, montrant ainsi à quel point les enjeux de cette opération de réfection du cadastre échappent aux habitants concernés. En quoi le fait de baptiser Vitré Gwitreg peut-il plaire aux touristes ? Le décor qui est planté n’est pas du tout un décor à visée touristique : il s’agit de fabriquer une nation celtique et de la fabriquer par le cadastre, par l’hymne, par le drapeau, la novlangue, l’histoire, la propagande partout présente.
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La disparition des panneaux a provoqué la fureur des nationalistes : tout acte de résistance est objet de protestations scandalisées car c’est à la nation que l’on s’en prend en s’opposant à la langue bretonne minorisée (mais plus minorisatrice encore, en l’occurrence). Ainsi les barbouilleurs, voleurs et destructeurs de panneaux routiers (activité pratiquée de longue date comme une sorte de sport national par les militants bretons) condamnent-ils avec véhémence les voleurs de panneaux de Vitré. Et l’UDB, parti autonomiste, annonce que la reconquête par le breton est déjà en bonne voie dans cette ville puisqu’on y trouve plusieurs classe bilingues français-breton et des cours du soir pour adultes.
Comique ?
Pas vraiment.
Cette opération nous permet d’apprendre que chaque panneau coûte 1000 €, que les voleurs risquent une peine d’emprisonnement et que la maire et conseillère régionale, Isabelle Le Calennec, a soutenu en personne cette réfection du cadastre au mépris du gallo et de l’histoire de la ville qu’elle administre. Il est vrai qu’elle fait partie des élus qui demandent l’autonomie de la Bretagne. Tout se tient, mais cette logique échappe à ceux qui sont les premiers concernés. Or, on ne fait pas vivre impunément des citoyens dans le monde comme si.