L’anniversaire du gwenn-ha-du 

Photo souvenir : Mordrel, rédacteur en chef de Breiz Atao, et le « gwenn-ha-du »

Le battage commence : les Bretons n’y couperont pas, ils auront droit aux festivités destinées à célébrer le centenaire du drapeau national breton dit « gwenn-ha-du » inventé par le druide antisémite Maurice, dit Morvan, Marchal.  

Ce drapeau a-t-il été créé en 1923 ? Des nationalistes bretons protestent – non, il aurait été créé en 1925… Mais, loin d’opposer des adversaires tenant mordicus pour une date ou l’autre, cette polémique enchante les militants puisqu’elle ouvre sur la perspective d’un redoublement de cérémonies festives à la gloire de leur drapeau bien-aimé. Après une petite relâche en 2024, les festivités pourront reprendre de plus belle en 2025 avec cérémonies sur fonds publics et bougies « gwenn-ha-du » sur kouign-aman.

Les médias régionaux se livrent d’ores et déjà, comme de coutume, à une débauche de propagande. Ainsi Ouest-France relayant la revue Bretons (expression de l’idéologie de l’Institut de Locarn) ou encore Le Télégramme qui donne la parole à un militant ethniste, Michel Bolloré, dit Mikael Bodlore-Penlaez, clamant son amour pour « un drapeau populaire et moderne » qui relaie les luttes sociales du Breton rebelle.  Le « Bro goz » aussi, l’hymne national breton, tel que refait sur ordre du conseil régional, est furieusement moderne…   La « modernité » permet de faire passer à l’as l’histoire de ce drapeau et sa signification… 

J’apporte néanmoins une bonne nouvelle pour ceux qu’exaspère cette orgie de drapeaux qu’envieraient les plus fanatiques militants du Rassemblement national : en réalité, l’anniversaire est passé. La « petite fiche pédagogique » consacrée ici au « gwenn-ha-du » indique que ce drapeau a été créé en 1920.  Cette date est attestée par Herri Caouissin, qui avait accompagné Marchal dans sa grande dérive nazie et l’avait retrouvé après-guerre à Paris : le « gwenn-ha-du » a été dessiné d’après le blason de Rennes par Marchal, alors étudiant en architecture dans cette ville, pour le Cercle celtique de Paris, à la demande de son directeur, Eugène Régnier. C’est seulement après avoir été « lancé sur la scène parisienne à partir de 1920 » qu’il fut adopté en 1927 par le Parti autonomiste breton (à la tête duquel se trouvait Marchal). 

Pour les militants bretons, il faut naturellement effacer toute mention de la scène primitive, la « scène parisienne » à l’origine du drapeau national et il faut, de même, laisser accroire qu’il fut créé sur le modèle du drapeau américain, symbole de liberté, et non sur le modèle du blason d’une ville de haute Bretagne, et comme telle jugée infiniment inférieure, puisque gallèse. C’est le thème majeur de la propagande partout assénée actuellement : drapeau moderne, drapeau américain, très chic, très beau, bon à brandir partout (on oublie qu’après le 11 septembre 2001 des Bretons qui défilaient à New-York furent arrêtés car les islamistes et les nationalistes bretons partagent le même goût sinistre pour le noir et blanc). 

En vérité, le gwenn-ha-du donna lieu à de véritables bagarres qui mirent aux prises les partisans du drapeau si bien copié sur le blason de la « capitale de la province » et les militants qui maudissaient cette « bannière provinciale » et la « régression dérisoire » qu’elle induisait. Bref, de « Yann-Vari Perrot à Célestin Lainé, en passant par Herri Caouissin, James Bouillé, Raymond Delaporte », sans oublier Guieysse, Debauvais et le fulminant Le Mercier d’Erm, la fine fleur des nationalistes jugeait que ce drapeau de traître ne servait qu’à remplacer la croix noire, le « pavillon authentique de la Bretagne ». 

Double traîtrise qui permit après-guerre aux frères Le Mée, deux indépendantistes (Georges Le Mée fut chef de la propagande du PNB sous l’Occupation) de se lancer en 1956 dans l’industrie du drapeau breton afin de fournir le « gwenn-ha-du » aux fêtes folkloriques, via les cercles celtiques, et, dans la foulée, aux groupes nationalistes qui commençaient à refaire surface. La visée était d’abord et avant tout politique, l’alibi folklorique ne servant qu’à la banalisation de ces bannières alors haïes car elles symbolisaient la collaboration massive du mouvement breton sous l’Occupation.

Lorsque F. Bégot, qui dirigeait les Fêtes de Cornouaille, et P. Pondaven qui, fondateur de La Bretagne à Paris, se définissait comme « le vétéran des militants bretons depuis 1921 », décidèrent d’opter pour le « drapeau à bandes » d’allure plus bénigne que le « drapeau à croix », le « gwenn-ha-du », l’ayant emporté, au nom du tourisme, de l’affairisme et du folklore réunis, put servir au culte de la Bretagne avec la bénédiction des autorités. Cette industrie de plus en plus lucrative a permis aux ateliers Le Mée de fournir en 2021 le plus grand « gwenn-ha-du » du monde, un drapeau de 330 m2 fait pour être déployé dans tous les stades et les lieux festifs (mais qui, tragédie nationale, a disparu sans même laisser un petit pillou). 

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Il va de soi que le premier usage de ce drapeau est de banaliser le nationalisme en lui donnant figure officielle et d’ouvrir grand les vannes de la propagande ethnorégionaliste. Faute de mieux, cette propagande a le mérite de nous montrer comment l’histoire s’écrit en Bretagne, et à quoi elle sert.

F. M. 

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