Un article intéressant d’André Bellon sur le site ReSPUBLICA
http://www.gaucherepublicaine.org/debats/la-langue-de-la-republique-est-le-francais/7422371
Rappelons, à l’appui des propos d’André Bellon, que la loi Molac qui (entre autres) oblige les communes dépourvues d’écoles bilingues à subventionner les écoles privées offrant un enseignement dit « immersif » fait des langues régionales le cheval de Troie de la privatisation de l’Education nationale. Et ajoutons que, comme l’indique le nationaliste corse Jean-Félix Acquavisa, la loi Molac n’est qu’un début, insuffisant, bien sûr, « mais le texte ouvre la porte à une deuxième, puis une troisième loi, pour une évolution de fond. Pour sauver une langue, il faut pouvoir l’insérer dans l’espace non seulement scolaire mais également politique, économique, culturel. » Et donc : « Pas de mascarade, notre mandat, et bien au-delà du camp autonomiste, c’est la co-officialité pour la langue corse. Et pour ça, il faut une loi constitutionnelle. Mais le texte adopté jeudi est une première brèche. »
Molac, membre de longue date de l’association Régions et peuples solidaires qui fédère les autonomistes avec pour slogan « Dépasser l’Europe des États », en est le premier conscient.
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« Le parlement vient de voter la loi dite Paul Molac concernant l’enseignement des langues régionales. Pour le député du Morbihan qui lui a donné son nom, c’est « une première dans l’histoire de la Ve République». La chose mérite inventaire. La loi Deixonne (Loi n° 51-48 du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux) fut la première loi spécifique relative à l’enseignement des langues régionales. Elle constitua une reconnaissance officielle de leur existence. Le décret n° 70-650 du 10 juillet 1970 inclut les langues régionales dans les épreuves du baccalauréat.
La nouveauté de la loi Paul Molac vient de l’instauration de l’enseignement immersif, effectué pour une grande partie du temps scolaire dans une langue autre que la langue française et la création d’un forfait scolaire pour les écoles privées dispensant une scolarisation en langues régionales. S’agit-il de remettre en cause le français comme langue de la République ? A priori non puisque celle-ci reste inscrite en l’article 2 de la Constitution.
Le bilinguisme incluant les langues régionales a une histoire. Jean Jaurès parlait un occitan et faisait souvent allusion aux petites patries qui s’inscrivaient dans la grande, c’est-à-dire dans la nation française. Il déclarait « avec une force de conviction qui ne fait que s’accroître que ce mouvement du génie méridional pouvait être utilisé pour la culture du peuple du Midi. Pourquoi ne pas profiter de ce que la plupart des enfants de nos écoles connaissent et parlent encore ce que l’on appelle d’un nom grossier « le patois » ? ». Mais il ajoutait que « ce ne serait pas négliger le français : ce serait le mieux apprendre, au contraire, que de le comparer familièrement dans son vocabulaire, sa syntaxe, dans ses moyens d’expression, avec le languedocien et le provençal. Ce serait, pour le peuple de la France du Midi, le sujet de l’étude linguistique la plus vivante, la plus familière, la plus féconde pour l’esprit1 ».
En bref, pour Jaurès, la question n’est pas d’ignorer les langues régionales en tant que patrimoine national, mais au contraire de voir comment elles peuvent vivifier la langue nationale. Encore faut-il que celle-ci soit au cœur de notre vision de l’avenir. Encore faut-il que les langues régionales ne soient pas le cheval de Troie pour la domination de l’anglais. La France semble aujourd’hui indifférente à l’évolution linguistique de l’Union Européenne, où l’anglais, malgré le Brexit, s’impose tous les jours davantage comme la lingua franca du continent, ce que le français devrait lui contester. Des fonctionnaires européens de nationalité française imposent – snobisme de bas étage – de parler anglais dans des réunions qu’ils animent alors même que le Français est une langue officielle de l’UE. Certains responsables appréhendent que l’utilisation de la langue française soit perçue comme une hostilité par les entreprises plus ou moins mondialisées sous la bannière anglosaxonne.
Pour l’essentiel, les dirigeants français ont décidé de se soumettre à la mondialisation et, par voie de conséquence, à la langue qui l’incarne. Dès lors, la question qui se pose aussi bien aux défenseurs des langues régionales qu’à ceux qui combattent pour l’intérêt national est de savoir s’ils participent à cette vassalisation.
Cette soumission était demandée par les instances européennes au travers de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. En l’occurrence, il ne s’agissait pas seulement d’accepter la place des langues régionales, mais de se soumettre à une instance européenne qui aurait la possibilité de vérifier la conformité des pratiques en France avec un droit dit européen, au nom de principes considérés comme supérieurs. Ainsi, M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, avait appelé, dans un rapport rendu public le 15 février 2006, au « respect effectif des droits de l’homme en France ». Dit ainsi, la chose semblerait aller de soi. Encore faut-il savoir que, pour lui, cela signifiait l’obligation de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. L’idée même d’une langue commune aux ressortissants d’un pays serait donc interprétée comme oppressive et liberticide, en somme une violation des Droits de l’homme selon les critères du Conseil de l’Europe et donc sanctionnable par des instances européennes. Si donc l’immersion peut sembler une méthode pour mieux connaitre et maitriser une langue régionale, elle trouve vite ses limites lorsqu’elle concurrence la capacité qu’offre la langue nationale dans la construction d’une société démocratique.
Nous passerions alors insidieusement de la démocratie républicaine et de son corolaire, la loi comme expression de la volonté générale, à une « idée juridique de la démocratie2 », comme le dit Marcel Gauchet.
Nous y passerions d’autant plus que la loi Paul Molac transfère l’enseignement immersif à des établissements privés, ce qui constitue une atteinte de plus au service public de l’éducation nationale. Mais les députés savent-ils encore ce qu’est l’intérêt général ?
L’homme s’opposerait-il au citoyen ? »
André Bellon
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1 « L’éducation populaire et les patois », La dépêche, 15 août 1911.
2 Intervention de Marcel Gauchet, philosophe et historien, rédacteur en chef de la revue Débat, au colloque « Le droit contre la loi » du 22 octobre 2018.