La face noire de l’enseignement du breton

On mesure mal quel courage il faut à des personnes qui ont choisi d’enseigner le breton pour oser dénoncer leurs conditions de travail : au nom de la défense de cette pauvre langue minorisée qu’il s’agit de sauver comme le missionnaire la vraie foi, il est entendu que tous les sacrifices sont louables ; qui se rebelle trahit la cause et, tel l’hérésiarque, porte atteinte à l’Église. Et néanmoins des salariés de STUMDI ont osé porter plainte…

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Ce n’est pas la presse régionale qui se fera l’écho de leur combat : STUMDI, un organisme de formation situé à Landerneau, est membre de Produit en Bretagne, l’association créée par l’Institut de Locarn pour fédérer les entreprises bretonnes autour d’un projet d’autonomie (en attendant l’indépendance) de la Bretagne ; les médias bretons en font tous partie, ce qui assure le pouvoir d’une propagande envahissante – et interdit tout discours hostile à cette union sacrée de l’ethnorégionalisme et de l’ultralibéralisme. À ce jour, seul le blog communiste L’hermine rouge a relayé la lettre ouverte de Ronan Mallejac, licencié en février 2023… et ce alors que la presse s’est répandue en articles lénifiants à la gloire d’une étudiante kényane de STUMDI insultée par le site Breiz Atao de Boris Le Lay – toujours actif en dépit de multiples condamnations, qui, au total, ont surtout eu pour effet de donner un label de vertu au mouvement nationaliste breton. 

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L’enseignement du breton est une composante essentielle du kit mis en place par l’Institut de Locarn avec l’appui du conseil régional, comme le montrait Le Monde comme si voilà déjà longtemps. En l’occurrence, STUMDI, organisme privé, bénéficie de fonds publics considérables. Ces fonds publics sont versés à une association ouvertement politique (même si, cela va de soi,  les salariés se trouvent embarqués dans un combat dont ils ne partagent – ou ne connaissent – pas forcément les enjeux) : la directrice, Hélène Bonniec, s’est présentée sur la liste de l’UDB, parti autonomiste, aux élections législatives en Ille-et-Vilaine (liste qui a obtenu 2 % des voix, score « encourageant » d’après ce parti) ; le président, Ronan Hirrien, cinéaste, est connu pour ses documentaires prosélytes, notamment un film louant les vertus de l’enseignement du breton en six mois. 

Dans ce contexte, et avec ces soutiens institutionnels, comment s’étonner que les protestations des salariés ne soient pas prises en compte ? La lettre ouverte de Ronan Mallejac évoque sept procédures en cours aux Prud’hommes et quatre plaintes au pénal… Des actions en justice héroïques de la part des salariés – et surtout face à un employeur qui n’hésite pas à rémunérer grassement un conseil juridique pour s’opposer à leurs réclamations. Le pot de terre contre le pot de fer – un pot de fer lourd d’argent public… 

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Et c’est dans ces circonstances que STUMDI a engagé une procédure de licenciement pour « motif disciplinaire » à l’encontre de Sabrina Guilloux, déléguée syndicale SNEPAT-FO et représentante du personnel. Saisie de l’affaire, l’Inspection du travail s’est opposée à ce licenciement. 

Ce n’est pas là un mince épisode d’un combat syndical : le fait mérite d’être signalé car il attire l’attention sur les pratiques du mouvement breton, sur l’instrumentalisation du breton mis au service d’une politique que les locuteurs et enseignants doivent subir, sur la soumission des pouvoirs publics et leur allégeance à un lobby patronal qui, telle une pieuvre, englobe peu à peu tous les secteurs d’activité en Bretagne, et sur la censure…

Les salariés de STUMDI sont des lanceurs d’alerte dont la vigilance et la résolution doivent être  saluées. 

F. M.

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