Disparition d’Albert Poulain

 

 

Qualifié de « figure de légende », le conteur et chanteur Albert Poulain est l’objet d’hommages unanimes : il a recueilli plus de 6 500 textes en pays gallo et confié une collection de 15 000 photos à Dastum.

Son itinéraire ne donne lieu qu’à des commentaires soulignant les mérites d’un folkloriste de la dernière heure, sauvant une tradition qui, sans lui, se serait perdue.

Nulle mention du réseau qui l’a soutenu parce qu’il lui faisait allégeance : après avoir quitté Pipriac à l’âge de vingt ans pour étudier au Conservatoire des Arts et Métiers, Albert Poulain entre en relation avec les militants bretons rassemblé à Ker Vreizh, cercle nationaliste rassemblant nombre d’anciens collaborateurs des nazis ; fidèle à son enrôlement, il devient l’un des fondateurs du MOB aux côtés de Yann Fouéré et autres autonomistes. Il inscrit ainsi le mouvement de défense de la culture gallèse dans la mouvance du nationalisme panceltique, ce qui l’amène pour finir à collaborer à la revue néodruidique d’extrême droite Ordos aux côtés d’autres militants ethnistes : ainsi Bernard Rio, qui, dans son essai néopaïen L’arbre philosophal publié aux éditions de L’Âge d’homme, se réfère aux publications d’Albert Poulain dans Ordos. Il s’agit d’une revue liée aux droites les plus extrêmes : en 2000, le colloque qu’elle organisait rassemblait Jean Haudry, Philippe Jouët, Alain Le Goff. On trouve un article d’Albert Poulain dans les actes de ce colloque. Voir aussi l’article de Renaud Marhic à ce sujet.

Bernard Rio a été le premier à rendre à Albert Poulain un hommage posthume : il venait de publier avec lui aux éditions nationalistes Yoran Embanner un livre intitulé Fontaines de Bretagne, livre évoquant les superstitions païennes liées au culte des eaux.

Albert Poulain a été décoré du collier de l’hermine décerné par l’Institut culturel de Bretagne dont il était l’un des collaborateurs.

L’arrière-fond idéologique de cette collecte folklorique en pays gallo n’est jamais pris en compte, bien qu’il en éclaire la teneur éminemment politique, et basée sur une interprétation conforme à l’idéologie du mouvement nationaliste breton du gallo comme langue seconde de la Bretagne, manière de faire de ce dialecte français un appendice folklorique, aimable et à conserver comme atout pittoresque, sous réserve de ne pas faire obstacle à (re)celtisation de la Bretagne.

 

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Avec Bernard Rio, nous avons l’un des meilleurs représentants du néopaganisme issu des réseaux ethnistes promus par le national-socialisme : il fut d’ailleurs, il s’en vante, étroitement lié au druide Raphaël, dit Raffig, Tullou, collaborateur de la luxueuse revue druidique antisémite Nemeton sous l’Occupation et resté jusqu’à la fin proche de son fondateur, Morvan Marchal, autre druide acquis dès l’origine à la cause ethniste et condamné à la Libération. Il rappelle lui-même à l’occasion ces liens avec Tullou, Koun Breizh (le Souvenir breton) association vouée à l’apologie de militants nationalistes issu de la mouvance collaborationniste, et la Kredenn geltiek, expression de la mouvance druidique d’extrême droite.

Il a contribué à fonder avec Claudine et Hervé Glot la revue néopaïenne Artus qui accueillit nombre de militants de la droite la plus extrême, dont Jean Mabire, Guillaume Faye et Christian Guyonvarc’h, ex-membre du Bezen Perrot, enrôlé sous uniforme SS pour combattre la France au nom de la Bretagne (cf. Jean-Yves Camus et René Monzat, Les droites nationales et radicales en France). La revue a donné lieu à une maison d’édition, le néodruidisme et l’imaginaire arthurien faisant bon ménage.

Bernard Rio a ensuite dirigé la revue Ordos, revue néopaïenne qui vise à défendre et illustrer le paganisme celtique comme constitutif de l’identité de la Bretagne. Dans un entretien donné à la revue Antaios (hiver 1999) il a évoqué son itinéraire en plein accord avec l’idéologie qui anime cette revue, « membre du Congrès mondial des religions ethniques» fondée par Ernst Jünger. Il a repris d’ailleurs ces confidences qui sont lisibles en ligne (sur le site de la revue Vouloir, émanation du GRECE).

 

 

Comme on peut le voir, il ne manque pas d’évoquer sa reconnaissance pour Christian Guyonvarc’h, Jean Haudry, Julius Evola, Philippe Jouët et leur inspirateur, Georges Dumézil, autrement dit les tenants des origines indo-européennes de l’Europe à retrouver et garder dans la pureté de la race à présent menacée par l’invasion d’ethnies venues d’ailleurs et par la pollution.

Le paganisme et le mysticisme panceltique unissant leurs effets, tout un imaginaire fantasmé sur base ethniste peut servir de décorum à une idéologie antirationaliste nourrissant de longue date les droites extrêmes tant de Terre et Peuple que d’Adsav (voir à ce sujet, entre autres, la thèse de Stéphane François sur Les paganismes de la Nouvelle Droite) : culte des racines et des émanations sacrées de la Nature, culte des mythes celtiques et des rites premiers, culte des saints et des arbres, culte des fontaines et des sanctuaires, culte du culte, tout est bon pour alimenter les fantasmes supposés ouvrir sur des révélations plongeant dans les mystère des origines.

Cette idéologie fumeuse prend sous la plume d’auteurs comme Albert Poulain, Thierry Jigourel (autre membre de la Kredenn geltiek et militant indépendantiste breton) ou Bernard Rio, assez habiles pour donner le change, un aimable aspect écologique, folklorique, voire ethnographique, qui fait que des éditeurs tels qu’Ouest-France peuvent leur donner audience et légitimité. Leurs productions n’en sont que plus dangereuses en ces temps de déréliction. Comment de jeunes lecteurs ne seraient-ils pas attirés par les charmes de la Nature et les mystères de la Celtitude quand les éditions Ouest-France confient à un apôtre du néopaganisme un livre sur les saints de Bretagne ? Comment ne seraient-ils pas trompés par les fumées apparemment gauchistes de l’extrême droite quand Le Figaro se se laisse prendre aux charmes du druidisme au point de conclure que « le druidisme n’est ni une religion ni une philosophie, mais une spiritualité qui promeut l’harmonie avec la nature, souvent au travers d’une forme de culte de la nature ouvert sur le monde qui nous entoure. » Avec pour grands maîtres Jean Haudry, membre du « conseil scientifique » du FN, son disciple Philippe Jouët,  Julius Evola, et les autres, les charmes du druidisme ouvrent surtout sur des horizons sulfureux.

 

 

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