Comme des rats (suite)

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© Miliciens contre maquisards

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Au moment où le président de la Chambres des communes du Canada démissionnait après avoir fait ovationner Yaroslav Hunka, un Waffen SS ukrainien, Uki Goñi, un journaliste du Gardian, auteur d’un essai sur la « rat line » (le réseau qui a permis à des nazis de s’enfuir en Irlande, en Argentine, en Espagne, etc) lançait une campagne très largement relayée pour dénoncer l’aveuglement du conseil d’administration de la riche école privée Saint Conleth, au sud de Dublin, qui avait recyclé un Waffen SS du Bezen Perrot, la formation créée par des nationalistes bretons pour combattre la France aux côtés des nazis, en lui offrant un poste de professeur – un professeur qu’il avait dû lui-même subir. 

Né en 1922, Feutren, nationaliste breton de la première heure, totalement inféodé au fondateur du Bezen, Célestin Lainé, était étudiant en droit lorsqu’il avait revêtu l’uniforme SS. Condamné à mort par contumace le 25 juin 1946, il avait, comme tant d’autres, gagné le pays de Galles, puis l’Irlande par la filière des « vrais-faux passeports » montée par Yann Fouéré, lui-même condamné par contumace et recyclé par l’Irlande nationaliste. 

Tortionnaire un jour, tortionnaire toujours : Feutren frappait violemment ses élèves (alors que les châtiments corporels étaient interdits), les terrorisait, les humiliait, allant jusqu’à les obliger à ses déshabiller devant la classe, leur faire faire la queue avec une craie dans la bouche ou leur prendre la mâchoire à pleine main pour les contraindre à articuler le français selon ses vœux. 

Le plus grotesque et le plus sinistre de cette méthode pratiquée en toute impunité de 1957 à 1985 est qu’elle était appliquée par un homme qui haïssait le français : n’expliquait-il pas qu’il n’était pas du tout un nazi mais un séparatiste breton qui s’était engagé pour combattre la France ? 

Or, ce qui a conduit Uki Goñi et ses camarades à protester n’est pas seulement le fait que Feutren était un nazi, reconnu comme tel, mais que le fait était banalisé, admis et finalement admis comme ses violences contre ses élèves. 

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Feutren est mort en 2009. En 2011, nous avions relayé ici les commentaires de l’indépendantiste Yves Mervin lorsque la Bibliothèque nationale du pays de Galles avait accepté la donation de Feutren malgré les protestations du ministre du Patrimoine. 

Malheureusement, les protestations s’appuyaient sur les recherches tendancieuses du professeur australien Daniel Leach (lequel a été influencé par les autonomistes bretons). Relayant les propos de Feutren et ses comparses, Daniel Leach a laissé accroire que (je traduis) « les membres du Bezen Perrot rejetaient l’idée qu’ils étaient des collaborateurs, préférant se considérer comme une force séparatiste poursuivant la résistance militaire bretonne contre la France » (quelle résistance militaire bretonne contre la France pouvaient-ils « poursuivre »? Le mystère reste entier).  

C’est particulièrement faux dans le cas de Feutren. il suffit à ce propos de s’appuyer sur les interrogatoires des autres membres du Bezen. Ainsi Malrieu : « Feutren était d’idées nettement germanophiles,  sentiment qu’il gagné au contact de Lainé dont il était le grand admirateur. » Ou encore Guyonvarc’h : « J’ai connu un peu Feutren à l’unité Perrot : c’était un individu vaniteux et assez sot, de tendance nettement germanophile et autonomiste, mal vu de ses camarades. » Sa vanité se lit dans le nom de combat qu’il s’était choisi : « Le Maître » (ou « Maître »).

Uki Goñi, qui s’appuie aussi sur Leach, écrit que Feutren était un officier subalterne du Bezen. En fait, d’une part, le grade de SS-Oberscharführer dont se vantait Feutren était un grade d’adjudant qui le plaçait presque au même rang que Lainé (c’était le grade du très redoutable Hans Grimm qui dirigeait un département du SD à Rennes) ; d’autre part, ce grade lui avait été décerné lors d’une elle aussi grotesque et sinistre cérémonie en Allemagne où le Bezen en fuite avait été invité à prendre du service dans le renseignement. C’est l’un des membres du Bezen qui en témoigne : 

« Le 23 ou 24 décembre, Célestin LAINE a été nommé Untersturführer, Ange PERESSE Sturmscharfführer, [Pierre] HEUSAFF Hauptscharfführer, Goulven JACQ et Louis FEUTREN Oberscharf, Joseph MORVAN, Jean LE BOURHIS, Jean GUIOMARD, Emile LUEC, CHEVILLOTTE et LE NOAC’H Unterscharf, BIBE, JEGADEN, JARNOUEN, CATTELLIOT, CHEVALIER, HERVE, LE BOEDEC, LEGENDRE, LE MOINE, LOUBOUTIN et MAGRE Rottescharf. » 

Je retrouve là les assassins dont j’ai étudié l’itinéraire dans Miliciens contre maquisards  : ils ne sont que piétaille quand Lainé, Péresse, Heusaff, Jacq et Feutren sont considérés comme les chefs. 

 J’ai raconté sous le titre « un crime de guerre impuni » les exactions du Bezen à Troyes. Voici Feutren en action lors de la fuite du Bezen vers l’Allemagne. Le témoignage, chose rare, ne passe pas sous silence le mépris des soldats allemands pour la conduite des membres du Bezen :

« Avec l’avance alliée, le S.D. a dû évacuer Rennes pour Angers où il existait déjà un S.D., je ne puis préciser où il était caserné, mais je me rappelle que c’était dans un grand château avec un très grand parc, nous y sommes restés deux jours, de là nous avons gagné TOURS où nous avons été logés au S.D. de cette ville, dans le centre de la ville ; une journée après, nous quittions les lieux pour un château à 30 kms à l’ouest de Tours, j’ai su que les habitants de ce château avaient été arrêtés quelques mois auparavant par les Allemands pour trafic d’armes. Notre séjour dans ce château n’a duré qu’une journée ou deux ; je dois vous préciser que lors de ces déplacements une cinquantaine d’Allemands nous accompagnaient, mais ce n’étaient que des officiers ou sous-officiers, d’ailleurs nous ne faisions rien qui ne soient commandé par eux. Nous avons ensuite pris la direction d’Orléans et Montargis où nous avons cantonné deux jours durant, nous avons pris notre repos dans un théâtre, Fontainebleau fut notre étape suivante, nous avons campé dans la forêt, là, le chef de notre unité nomme PERES dit COCAL nous a fait savoir que nous devions quitter le S.D. de Rennes, à la suite de cette décision une cérémonie d’adieux fut organisée avec les Allemands, et j’ai eu l’impression que ces derniers n’avaient pas de regrets de nous quitter.

     […]

     Un car allemand est venu nous prendre à notre arrivée à Paris et nous a conduits dans une petite caserne où se trouvaient déjà des Russes blancs vêtus d’uniformes allemands ; […] à 21 heures, on nous a fait montrer dans des camions, lesquels nous ont transportés à Chalons sur Marne, je dois vous dire que le camion dans lequel nous nous trouvions est resté en panne à St-Jean-Les-Deux-Jumeaux, nous avons dû y stationner une journée ; dans le courant de celle-ci quelques camarades se sont amusés à tirer des coups de pistolet sur des poissons ; de même un officier de notre groupe FEUTREN dit LEMAITRE s’étant présenté dans une auberge pour y réclamer à manger s’est vu opposer un refus, sur son exigence il nous fut servi quelques victuailles avant que nous ayons commencé notre repas quelques feld-gendarmes se sont présentés à l’auberge et nous ont désarmés, nous ayant pris pour des « terroristes », je suis certain que c’est la tenancière de cet établissement qui nous a dénoncés aux Allemands, et s’il s’était agi de résistants, ils auraient été inévitablement arrêtés ; nous avons eu nous-mêmes du mal à nous en tirer quoi que nous leur ayons dit que nous appartenions au S.D., un caporal chef lequel commandait la patrouille m’a reproché notre conduite envers l’aubergiste qui, disait-il, n’était pas digne de soldats allemands.

Deux camions sont venus de Chalons pour nous transporter dans cette ville où nous avons retrouvé nos camarades logés Cours d’Ormesson dans une villa, j’ai remarqué qu’aucun Allemand ne se trouvait dans cet immeuble ; le lendemain dans le courant de la journée, j’ai entendu dire par « COCAL » que la nuit précédente il était allé avec des Allemands arrêter des FFI, je n’ai pas connu d’agents du S.D. de Chalons.

     Le 14 août, nous sommes partis pour Troyes… »

Sur ce qui s’est passé à Troyes, voir « Un crime de guerre impuni ». 

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Le 31 octobre 1945, lors de la débandade du Bezen en Allemagne, Lainé a rencontré Ernst Jünger qui rapporte ainsi cette rencontre dans ses Journaux de guerre :

« Lainé offre le spectacle réconfortant d’un homme entièrement persuadé de sa cause : il contraint ses camarades à des travaux rigoureux, leur interdit le marché noir (sic). Ils se préparent à émigrer en Irlande. Entre Celtes, il subsiste encore une solidarité.»

Feutren nous offre un excellent exemple de la solidarité interceltique. 

Par les temps qui courent, il est bon de méditer sur cet exemple et de replacer dans ce contexte les actions de son ami Polig Monjarret, le fondateur du Festival interceltique et des jumelages Bretagne-Irlande. 

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©Françoise Morvan 

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