Comme des rats

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« Le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais… il peut rester des années endormi dans les meubles… mais un jour viendrait où pour le malheur et malgré l’enseignement des hommes la peste réveillerait les rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. » Albert Camus

Le Toiser en 1947 ©DR

Oui, les voilà qui sortent comme des rats de leurs trous, ces vieux collabos, peintres ringards, apôtres de la bretonnitude que leurs parcours aux côtés des nazis avaient heureusement fait sombrer dans l’oubli… Les voilà qui resurgissent au nom précisément de la bretonnitude, et, qui plus est, parés de l’auréole du martyre : après l’horrible Creston et les Seiz Breur, voici le sinistre Marcel Le Toiser, devenu artiste au lendemain de la Libération pour avoir été radié de l’Éducation nationale. 

C’est lui-même qui le proclame :  « Révoqué de l’enseignement, je vais demander à la peinture et à la sculpture de subvenir aux besoins de mon foyer. » Voilà ce qu’indique une pièce conservée aux archives départementales. Tout un plan de carrière… Après la collaboration qui eût pu continuer de rapporter, l’art lucratif… le triomphe de la laideur au nom de la Bretagne et pour venir grossir le kit identitaire supposé définir l’identité bretonne – c’est ce qui est promu actuellement à Trégastel… 

Avec son père Alfred, directeur de l’école de Perros-Guirec de 1900 à 1925, et son cousin Marius, l’avocat, condamné à cinq ans de travaux forcés à la Libération, Marcel Le Toiser a été, sous l’Occupation, le fer de lance de la collaboration dans le Trégor. L’une des premières actions des résistants a été, une fois Trégastel libérée, de couvrir de croix gammées la maison du père Le Toiser.

Il se trouve que deux conseillères municipales de Trégastel, Patricia Chaperon et Annie Macé, ont eu le courage de protester : miracle, dirait-on, en ces temps d’occultation de l’histoire du nationalisme breton et de la collaboration. Les voici à leur tour mises en accusation face à la réécriture de l’histoire officialisée. L’infortuné Le Toiser serait objet de propos « diffamatoires », c’est ce qu’assure un ex-professeur d’histoire au lycée de Lannion, car la condamnation de Le Toiser à l’indignité nationale  en 1945 n’est que broutille à ses yeux. Et puis, le malheureux peintre Xavier de Langlais n’a-t-il pas aussi été en 1999 objet de « protestations »  iniques ? 

Les protestations contre l’hommage rendu à Xavier de Langlais par le Musée de Bretagne l’ont été par la Ligue des Droits de l’Homme à partir de la traduction que j’avais donnée des textes antisémites publiés par Langlais sous l’Occupation dans La Bretagne, le quotidien pronazi de FouéréLes ayants doits de Langlais avaient à l’époque intenté un procès au Monde qui rappelait ces faits : ils ont perdu leur procès. Le dossier de la LDH intitulé Réécriture de l’histoire est toujours en ligne sur le site du Groupe Information Bretagne. Nous avons étudié le cas de Xavier de Langlais, de Youenn Drezen, de Roparz Hemon, d’Alan Heusaff, membre du Bezen Perrot. Ces informations n’ont jamais été démenties. Elles n’entament en rien la propagande nationaliste. Et le prix Xavier de Langlais est toujours attribué.

Au moins sur un point, je donnerai raison à l’ex-professeur d’histoire au lycée de Lannion : les responsabilités de l’avocat Marius Le Toiser, délateur avéré et responsable de l’engagement de jeunes nationalistes aux côtés des nazis, (ainsi André Geffroy qui allait devenir l’un des pires tortionnaires du Bezen Perrot) ont certainement montré aux magistrats de quelle mouvance venait Marcel Le Toiser. L’ex-professeur d’histoire au lycée de Lannion explique que Marius Le Toiser a fini bâtonnier au tribunal de Guingamp : quel merveilleux exemple du recyclage des nationalistes bretons inféodés au nazisme ! Si l’un a su faire illusion jusqu’au bout pourquoi ne pas rendre hommage à l’autre ? C’est le principe du monde comme si… 

Et puis, ce pauvre Le Toiser aurait été « réhabilité » en 1949. L’argument a aussi été utilisé pour blanchir Monjarret : mobiliser la bourgeoisie locale et apitoyer les magistrats collabos, la stratégie a été la même pour tous ceux qui comme Monjarret et tant d’autres (j’en étudie plusieurs cas dans Miliciens contre maquisards) avaient des relations utiles. C’était le cas de la famille Le Toiser, comme on a pu le voir. Ces membres du PNB nazi qui représentaient un danger pour la Résistance ont pu s’en sortir sans difficulté : « justice de classe », aurait dit Marcel Le Toiser qui, toujours opportuniste, avait adhéré au PC en 1936 avant de tourner casaque. 

La réhabilitation de vieux militants nationalistes engagés dans la collaboration est un fait, la réhabilitation d’un art vulgaire, porteur de clichés sur la Bretagne formant un ensemble associant lourdeur et laideur en est un autre. Il se trouve que les deux sont inséparables. 

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Denise Delouche, qui avait commencé par une thèse intéressante, n’aura pas peu contribué à la banalisation et l’officialisation d’une vision de la Bretagne portée par des peintres académiques, mauvais peintres sans doute, mais portés par l’amour d’une nation millénaire. Elle aura bien mérité le Collier de l’Hermine décerné par les nationalistes de l’Institut culturel de Bretagne aux Bretons qui pensent comme il faut. Des Seiz Breur à Le Toiser, que de collabos promus et louangés, que d’horreurs picturales portées au pinacle…

Et pour clore le tout, laissons la parole au maire de Trégastel qui, dans Ouest-France, s’étonne de cette polémique car Le Toiser a été exposé partout sans susciter la moindre protestation et qui s’exclame : « Faudrait-il condamner les pamphlets de Céline et vouer aux gémonies les peintures de Gauguin ? » 

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Gauguin pour soutenir Le Toiser : voilà pour le chapitre de l’art. 

Les pamphlets de Céline à l’appui : voilà pour le chapitre de la politique. 

Allez voir l’exposition Le Toiser et lisez Bagatelles pour un massacreL’École des cadavres et Les Beaux Draps, pamphlets antisémites que Le Toiser n’aurait pas manqué d’apprécier : les condamner, même s’ils tombent sous le coup de la loi, serait « ouvrir la porte à la censure » d’après le maire de Trégastel. 

Le bacille de la peste ne meurt jamais. 

©Françoise Morvan

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