Produit en Bretagne, le cabinet Setti et la culture bretonne


©Publicité du cabinet Setti

 

Fondé par Pascal Michel, ancien poissonnier à Bégard, militant de la CDCA (Confédération de défense des commerçants et artisans), syndicat poujadiste très présent en Bretagne, qui « incitait les petits patrons à se désaffilier de la Sécurité sociale », le cabinet Setti est localisé à Saint-Agathon, près de Guingamp, et a eu « pendant 18 ans son siège sur l’île de Man, paradis fiscal bien connu pour absence d’imposition sur les entreprises », comme le rappelle Sylvain Tronchet, auteur de l’enquête qui a attiré l’attention sur cette « combine illégale mais qui dure depuis plus de vingt ans » (d’après le journal Ouest-France, l’entreprise aurait toujours son siège sur l’île de Man).

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Le « pro des délocalisations »

En décembre 2010, Pascal Michel était présenté par le journal Le Télégramme comme un courageux entrepreneur breton, « le pro des délocalisations », permettant à des chefs d’entreprise de bénéficier d’un authentique « pactole ». Il jubilait : en 1999 déjà, l’une de ses délocalisations avait eu les honneurs de la presse et de la télévision. Ce bienfaiteur des petites entreprises ne se contentait pas de faire affaire avec l’Angleterre : « Pascal Michel a aussi tissé des liens économiques avec la Pologne. Quand il manque des bras pour ramasser les cocos paimpolais ou des volailles, il fait appel à de la main-d’œuvre polonaise. Il a également mis des billes en Pologne dans un centre d’appels », pavoisait Le Télégramme.  En 2013, le même journal se livrait à une nouvelle apologie du cabinet Setti qui, avec l’arrivée de la gauche, connaissait une recrudescence d’activité car les gens avaient peur… peur de quoi ? de la gauche, c’est-à-dire de l’impôt ! Au nombre de ses clients, le réalisateur Jacques Stival, « le Rambo breton », qui se vantait d’avoir gagné 45% sur le budget de son film (dont la carrière ne semble pourtant pas avoir été à la hauteur de ses espérances).

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De l’alimentation animale à la culture bretonne

Autre client de Setti, Jacques Fitamant, président de la « commission Culture et Création » de Produit en Bretagne, est l’éditeur de neuf périodiques, dont la revue ArMen rachetée en 2003.

Rien ne destinait cet ancien ingénieur agricole, fils d’un paysan de Trégarvan, à devenir un patron de presse. Apprenant que La revue de l’alimentation animale est mise en vente, il décide de se faire éditeur et de s’installer en Bretagne. Comme il l’explique sans ambages au journal Le Télégramme (membre de Produit en Bretagne), qui lui consacre (comme à Setti et à tant de membres de Produit en Bretagne[1]) un article laudateur, « je me suis dit que c’était une “niche” rentable ».  De la part de ce commercial, connu pour être passé chez Royal Canin et avoir organisé la fermeture du site en Bourgogne, d’après un autre article du Télégramme, il y a là une certaine continuité malgré les apparences…

La niche s’élargit puisqu’il devient propriétaire de Typex, revue des éleveurs, puis d’Échobio, revue de la filière bio, car, de l’agroalimentaire au bio, l’édition mène à tout, y compris au carrelage (il achète aussi la revue Référence carrelage), à la publicité (il possède l’agence de publicité Dausset), à la création graphique (il possède l’agence XLC basée à Brest) et à la culture bretonne. La culture à la niche ? « J’aime bien les lettres mais je laisse faire ceux qui font ça mieux que moi », déclare-t-il au journaliste du Télégramme, expliquant non sans une certaine candeur dans le cynisme : « Mon idée était de garder tout ce qu’il y avait de bon dans le contenu, de réduire les charges sans toucher au fond ». À en croire certains, la revue, dont l’orientation régionaliste s’est de plus en plus marquée au fil des années, peine à trouver des lecteurs…

Le grand amour de Jacques Fitamant pour la Bretagne se double d’un amour non moins grand pour la Grande-Bretagne : comme le montre l’enquête de Franceinfo, en 2014, il crée deux sociétés à Torquay, Ad Augusta (pour ses commerciaux) et Menthe poivrée (pour ses journalistes). Interrogé à ce sujet, il nie, mais des salariés confirment qu’il a bien modifié leurs contrats de travail et « les comptes des éditions Fitamant font apparaître que la masse salariale de la société mère a été divisée par deux en 2015, une partie des salariés étant désormais employée sous couvert des structures anglaises. Ce transfert semble également lui avoir permis de réduire son taux d’imposition grâce à la revente de ses propres titres à ces nouvelles entités. » Voilà du moins ce qu’établit l’enquête de Franceinfo.

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Produit en Bretagne, la Culture et la délocalisation

Sur l’organigramme de Produit en Bretagne, on peut voir la Culture et la Création incarnées par Jacques Fitamant entre Intermarché et le Crédit agricole (suivie par la « commission B to B » spécialisée dans le lobbying et dirigé par Me Ermeneux, associé de Me Bouëssel du Bourg. Le relais de l’association avec le journal Les Échos est assuré par Stanislas du Guerny, auteur d’articles à la gloire de Jacques Fitamant, comme de Produit en Bretagne…

 

 

Sous la direction de Malo Bouëssel du Bourg, l’association Produit en Bretagne se présente comme une innocente entreprise visant à « promouvoir les savoir-faire des entreprises bretonnes » : on cherchera en vain dans les médias ou sur Wikipedia l’origine véritable de l’association, dont les statuts ont pourtant été déposés à la préfecture de Guingamp et dont le siège était l’Institut de Locarn. Le but éminemment politique de cette association, qui vise à inscrire la Bretagne dans une Europe des régions libérée des contraintes de la France républicaine qualifiée de « jacobine », a été mis en lumière par une enquête de la revue Golias (puis, à l’occasion de la pseudo-révolte des Bonnets rouges due au lobby patronal de Locarn, par l’analyse chronologique de ce mouvement).

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L’action du cabinet Setti, si longtemps présentée comme méritoire par la presse bretonne, a le mérite de mettre en lumière le fonctionnement d’un réseau où la promotion de la culture sous label breton (ou plus précisément celtique) occupe sa place de faire-valoir d’un poujadisme ethniste : le bonnet rouge d’acrylique made in China peut rejoindre la revue bretonne délocalisée au musée de l’identitaire armoricain.

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© Françoise Morvan

 

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[1] La page qui lui est consacrée sur Wikipedia montre à quel point Le Télégramme s’est livré à une apologie systématique de ce qu’un journaliste en 2003 appelle « l’édifice Fitamant », « Jacques Fitamant, l’homme des défis » étant connu pour « sublimer » les entreprises qu’il reprend.

Voici l’état des références telles qu’elles sont données en janvier 2018 : 

Liens externes

  • « Ar Men : une nouvelle pierre à l’édifice Fitamant», Le Télégramme,‎ 13 février 2003 (lire en ligne [archive])
  • « Les Éditions Fitamant rachètent l’agence Dausset à Quimper», Le Télégramme,‎ 2 juillet 2004 (lire en ligne [archive])
  • « La revue Ar Men» [archive], sur FR3 (Collection: Le mag du dimanche), 2004
  • « Jacques Fitamant. « Sublimer » les entreprises qu’il reprend», Le Télégramme,‎ 6 mars 2005 (lire en ligne [archive])
  • ArmelleGegade, « Jacques Fitamant. Chasseur de niches éditoriales », Le Télégramme,‎ 3 mars 2006 (lire en ligne [archive])
  • « Communication : Jacques Fitamant rachète XLC», Le Télégramme,‎ 23 juin 2007 (lire en ligne [archive])
  • Stanislasdu Guerny, « Jacques Fitamant, éditeur régional éclectique », Les Échos,‎ 22 octobre 2007 (lire en ligne [archive])
  • « Éditions Fitamant. Rachat de deux nouveaux titres», Le Télégramme,‎ 5 septembre 2008 (lire en ligne [archive])
  • Thierry Charpentier, « Jacques Fitamant, l’homme des défis », Le Télégramme,‎ 20 novembre 2011 (lire en ligne [archive])