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Le problème que pose la Charte des langues régionales ou minoritaires n’est pas le problème de la Charte mais le problème de la forfaiture des élus et des médias, les uns et les autres trahissant l’intérêt général par calcul, par ignorance ou par indifférence.
I. LA CHARTE
La Charte n’aurait pas dû mobiliser plus d’une heure de notre temps : le rôle d’un gouvernement soucieux du bien public aurait été d’exposer ce qu’est ce texte, quels enjeux il implique et pourquoi un pays républicain ne peut pas le signer. Je dis une heure mais il ne faut pas dix minutes pour développer ces trois points :
1. Ce qu’est la Charte :
— La Charte est l’œuvre d’un lobby ethniste, l’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes (UFCE), dont le but proclamé est d’« aider les minorités ethniques à préserver leur existence biologique et culturelle ».
— Elle n’est elle-même qu’une partie d’un dispositif visant à faire reconnaître les droits des « minorités ethniques ». L’UFCE a fait adopter par le Conseil de l’Europe, d’une part, la Charte des langues régionales ou minoritaires et, d’autre part, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, toutes deux entrées en vigueur en 1998. Ce dispositif est sans ambiguïté : il s’agit d’instaurer une Europe des régions sur base ethnique, ce que montre d’ailleurs la carte disponible sur le site du Conseil de l’Europe, et de faire éclater les États-nations, comme le réclament les fédéralistes.
2. Ses enjeux :
— Sur cette base, la Charte indique logiquement que les locuteurs des « groupes minoritaires » ont le « droit imprescriptible » d’exiger l’usage de leur langue dans « la vie publique et privée ». Elle implique donc de reconnaître à des groupes minoritaires des droits particuliers et d’accorder à tout locuteur d’un groupe minoritaire le droit de se faire traduire tous les textes de loi et de bénéficier en tous lieux des services publics dans sa langue.
— Contrairement à ce que laisse accroire son intitulé, la Charte ne vise nullement à défendre des langues régionales ou minoritaires mais les langues de minorités ethniques rattachables au sol du pays signataire : l’article 1 le précise bien, la Charte « n’inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l’État ni les langues des migrants ».
3. Sa teneur
— Un tel texte est contraire à la Constitution garantissant à tous les citoyens l’égalité devant la loi.
— Il est contraire à la Constitution qui stipule que la langue de la République est le français : or, le but visé par la Charte est de donner statut de langues officielles aux langues minoritaires.
— Il est inégalitaire et induit une ostracisation de langues tout aussi minoritaires que les langues des autochtones supposés ethniquement distincts (ainsi le gallo, parlé en haute Bretagne, devrait-il exclu, mais le breton défendu, d’après la Charte).
Contraire à la Constitution et contraire à l’intérêt général, ce texte n’avait pas lieu d’être signé. Il aurait fallu que la France s’oppose haut et clair à la promotion par le Conseil de l’Europe de chartes concoctées par des groupes de pression à l’idéologie nauséabonde. S’il y avait un problème à résoudre, c’était (et c’est) celui-là.
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II. LA SIGNATURE
Au lieu de s’en tenir à ces explications accessibles à tous, les socialistes, à la suite de Lionel Jospin, se sont fourvoyés de manœuvres en manipulations pour rendre la Charte ratifiable.
— Première manipulation : la Charte n’est pas compatible avec la Constitution ? Un juriste est mandaté pour rédiger une « déclaration interprétative ». Problème : l’article 21 précise que la Charte « interdit toute réserve » (hormis sur des articles mineurs).
— Deuxième manipulation : la Charte exclut les dialectes et les langues des migrants ? Un linguiste est mandaté pour définir les langues minoritaires à défendre. Il en trouve 75 !
— Troisième manipulation : la Charte est contraire aux valeurs de la République ? Un politicien est mandaté pour remettre un rapport irénique et orchestrer la désinformation.
Conclusion : alors que l’Allemagne (qui subventionne l’UFCE) a mis des années à définir le (très faible) nombre de langues retenues et en définissant méticuleusement quels articles de la Charte s’appliquent pour chacune, la France a signé en bloc pour 75 langues minoritaires allant du bourguignon-morvandiau à l’arabe dialectal en passant par le pwapwâ, le pwaamei et autres langues des Nouvelle-Calédonie.
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III. LA RATIFICATION
Le Conseil constitutionnel s’étant opposé à la ratification, le débat semblait clos. Après l’avoir rouvert en inscrivant la ratification dans son programme électoral, François Hollande l’avait refermé en mars 2013, annonçant qu’elle n’était plus à l’ordre du jour.
C’était sans compter avec le lobby breton fédérant autonomistes et patronat ultralibéral…
Les Bonnets rouges se déchaînent (avec la bénédiction des élus et notamment du ministre de la Défense et ancien président du Conseil régional de Bretagne). Le gouvernement cède et, prime à la casse, signe un « pacte d’avenir » parfaitement inéquitable, pacte aux termes duquel sont accordés la ratification de la Charte et la « dévolution » de la Culture et de l’enseignement des « langues de Bretagne » (1).
Ainsi quelques milliers de manifestants, manipulés par des chefs d’entreprise appelant à une dérèglementation généralisée, se sont-ils trouvés imposer au pays tout entier, au nom de quelques millions de Bretons qui, eux, ne manifestaient pas, la modification de la Constitution et la régionalisation de la Culture.
Il faut le souligner, la ratification, sur la base de la Constitution modifiée, ne calmera en rien les partisans de la Charte. Bien au contraire, ils n’ont d’ores et déjà de cesse que de dénoncer la France qui a trouvé le moyen de « trahir la Charte » en ajoutant deux paragraphes à l’article 53-3 adopté le 28 janvier dernier :
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« Art. 53-3. – La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, signée le 7 mai 1999, complétée par la déclaration interprétative exposant que : « 1. L’emploi du terme de «groupes» de locuteurs dans la partie II de la charte ne conférant pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République interprète la charte dans un sens compatible avec la Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ; « 2. Le d du 1 de l’article 7 et les articles 9 et 10 de la charte posent un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution, en application duquel l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. ».
Ratifier la Charte sur cette base serait constitutionnaliser l’absence de reconnaissance de groupes bénéficiant de droits particuliers et l’usage du français dans la vie publique. On serait en droit de penser que cela n’apporterait rien puisque cela découle de la Constitution actuelle, mais cela reviendrait à graver dans le marbre les principes fondamentaux que la Charte met en cause.
Le texte de la Charte ne prévoyant pas de recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme, la juridiction européenne ne pourrait (théoriquement) prévaloir sur la législation française. Il va de soi que pour les autonomistes et autres partisans de la Charte, le combat prioritaire consiste désormais à faire supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 53-3 mentionnant les deux points de la déclaration interprétative. La liste des élus qui ont voté ce projet de loi absurde est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.
Si les Français étaient amenés à se prononcer par référendum sur cette proposition de loi, ils seraient (d’après un récent sondage) 54 % à voter non. Comme, par suite d’une nouvelle manœuvre, la proposition de loi a été changée en projet de loi, il suffirait que le congrès se prononce aux trois-cinquièmes des voix. Mais même si le projet de loi était rejeté, le but aura été atteint : fédérer toute une frange de droite et gauche autour de thèmes antirépublicains associant régionalisme et liberté, multiculturalisme, pureté des idiomes et haine de la France, en plein accord avec les militants de la l’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes à l’origine de la Charte.
Jamais la propagande n’aura été aussi massive dans les médias régionaux ; jamais la désinformation n’aura été aussi totale : c’est à qui dénoncera la France archaïque, mouton noir de l’Europe, seule à refuser de ratifier la Charte (alors que de nombreux pays ne l’ont ni signée ni ratifiée) ; c’est à qui vantera l’inocuité totale d’un « texte a minima », infime petit pas vers une normalisation du statut de nos pauvres langues « minorisées » (alors qu’il s’agit bel et bien de leur donner le statut de langues officielles, quand bien même elles ne sont plus parlées que par une poignée de militants). Jamais la censure n’aura été aussi redoutablement hermétique : seuls ont la parole les militants qui se sont engagés dans le combat pour la ratification, écologistes alliés aux autonomistes dans l’Europe entière ou indépendantistes de gauche ou de droite, d’extrême gauche ou d’extrême droite (2).
En conclusion, pour ce groupe de pression appuyé par les médias, la ratification ne changera rien puisque la France aura trahi la Charte. Et les élus auront perdu un temps considérable à diviser le pays, attiser les revendications régressives et faire flamber les communautarismes. Enfin, il ne faut pas l’oublier, la Charte joue depuis le début le rôle de catalyseur, servant à détourner l’attention des problèmes réels. En l’occurrence, les bruyants débats à son sujet permettent aussi de faire oublier le premier acquis des Bonnets rouges, le projet dans lequel s’inscrit la ratification, à savoir la « dévolution », c’est-à-dire l’éclatement programmé du ministère de la Culture — et ce sans que les Bretons eux-mêmes soient conscients de ce qui se joue en leur nom et sans que le reste du pays soit informé de l’entreprise de destruction en cours.
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(1) On pourra lire ici en PDF le « Pacte d’avenir » dont l’article IV prévoit la délégation de de compétences à la Bretagne pour la Culture et l’enseignement des langues, la ratification de la Charte venant s’inscrire dans ce dispositif de longue date demandé par les autonomistes.
(2) Pour mesurer l’ampleur de la propagande, un simple exemple devrait suffire : le site nationaliste d’extrême droite Breiz Atao, fondé par un militant breton maintes fois condamné pour incitation à la haine raciale, relaie en l’approuvant pleinement le compte rendu de FR3 suite au vote du 28 janvier. Aux informations télévisées, aucune explication, rien qu’une mise en accusation de la France : seuls les autonomistes ont la parole.
@ Françoise Morvan