En finir avec l’exception française ou l’ethnisme contre la République

 

 

 

 

 

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 En janvier 2012, Armand Jung et Jean-Jacques Urvoas publient sous l’égide de la Fondation Jean Jaurès une brochure intitulée Langues et cultures régionales, En finir avec l’exception française

Au nom de Jaurès, ce qui est prôné, c’est une allégeance au lobby ethniste européen appelant à rejeter l’égalité républicaine afin d’établir (sous couvert de les rétablir) les droits de groupes ethniques qui ne se perçoivent pas encore comme tels mais sont susceptibles d’y voir leur intérêt et de prendre leur indépendance, contribuant ainsi à démanteler les États garantissant une égalité de traitement pour tous. 

Nous donnons ici l’analyse de cette brochure par Yvonne Bollmann, auteur (entre autres) de La bataille des langues en Europe (Bartillat, 2001).

 

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Dans Langues et cultures régionales, En finir avec l’exception française, les députés PS Armand Jung et Jean-Jacques Urvoas crient au scandale parce que la France, qui a signé la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ne l’a pas ratifiée.

Ils ne disent pas que 7 autres des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe sont dans ce cas, dont l’Italie. Ils ne disent pas que 14 d’entre eux ne l’ont pas signée, dont la Belgique, pour qui l’entrée en vigueur de la charte serait l’arrêt de mort. Notre pays apparaît comme unique accusé.

Les deux auteurs attribuent à l’histoire de la France depuis son début la « singularité » de sa position en la matière. Ils méconnaissent le danger ethnique inhérent à la charte des langues. Par son engagement à la ratifier, François Hollande s’est fait l’otage d’un vaste projet d’ethnicisation à l’échelle européenne.

Un procès à l’histoire de la France

Armand Jung et Jean-Jacques Urvoas affirment, non sans raisons, qu’en France, « au commencement était l’État », et parlent d’un « processus de construction de l’entité nationale sans équivalent dans le reste de l’Europe ». À titre de contre-exemple,  ils évoquent l’Allemagne et l’Italie, qui seraient « la concrétisation d’un grand dessein populaire », non « le fruit d’une ambition territoriale initiée par quelques roitelets francs du VIème siècle et inlassablement poursuivie des siècles durant par leurs successeurs ».

C’est oublier un peu vite le « grand dessein » du  peuple de France nourri du principe de liberté, ce qu’il accomplit  à Valmy et dans les guerres du XXe siècle, pour la libération de son territoire. C’est n’attacher qu’une piètre importance à l’unité territoriale de notre pays, et l’offrir en curée à ceux qui veulent, tel un ancien coordinateur de la coopération franco-allemande au ministère fédéral des Affaires étrangères,  « défaire un peu la France » pour la défaire en entier.

En remontant jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 qui fit du français contre le latin la langue officielle de la France, les deux auteurs s’efforcent d’esquisser une généalogie du « traitement si particulier, et de fait sans équivalent dans le monde occidental, de la question des langues régionales » en France. Mais au lieu d’y voir le ciment de notre État-nation un et indivisible, ils tremblent à l’idée d’être les héritiers d’une histoire spécifique.

Le choix  de l’ethnique

À l’article 2 de la Constitution de 1958, qui reconnaît l’égalité des citoyens sans distinction de race ni d’origine, Armand Jung et Jean-Jacques Urvoas préfèrent la définition européenne et internationale du principe d’égalité, pour « un traitement égal des situations identiques » et « un traitement différencié des situations dissemblables ». Elle est la  porte ouverte à tous les abus, à toutes les scissions.

L’« interprétation stricte du principe d’égalité », quoique gage d’émancipation à caractère universel, n’est pour eux qu’un obstacle à l’existence de minorités culturelles ou linguistiques sur notre sol.

Ce déni, fort paradoxal sous la plume de socialistes, d’un principe fondateur de la République française, est susceptible d’être institutionnalisé en cas de victoire par François Hollande, qui s’est engagé à faire ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. L’enjeu de ce texte n’est pas seulement d’ordre linguistique. Il s’agit de faire adopter par le biais de la charte le principe ethnique sur lequel est fondée la convention cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe.

Le juriste alsacien Jean-Marie Woehrling, partisan des deux textes, et dont le travail a servi de base, en 2010, à un projet de proposition de loi du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur les langues régionales présidé par Armand Jung, avait décrit dès 1993 le mécanisme du recours à cette ruse : « On ne peut certes protéger des langues sans prendre aussi des mesures en faveur des locuteurs de ces langues, mais celles-ci sont instituées comme la conséquence de la protection des langues et non comme l’expression de droits particuliers des minorités ethniques. » La convention-cadre pour la protection des minorités nationales est entrée en vigueur le 1er février 1998, un mois avant la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, comme si cet ordre de priorité plaçait les langues régionales au service d’une politique centrée sur les minorités ethniques.

Lors d’un meeting consacré à l’Outre-Mer, François Hollande a annoncé qu’il demanderait au Parlement de supprimer la mention de race dans la Constitution française s’il était élu. Il va faire sortir la « race » par la porte. Mais en ratifiant la charte des langues, il la fera revenir par la fenêtre sous la forme politiquement correcte de l’« ethnie », et lui qui prétend  rassembler les Français va donc les diviser.

François Hollande otage

Les alliés verts de François Hollande  sont à l’unisson de son initiative en faveur de la charte des langues régionales ou minoritaires. Dès octobre 2008, Eva Joly avait plaidé pour une politique ethniciste en signant avec Daniel Cohn-Bendit, José Bové, Jean-Paul Besset, Cécile Duflot, Antoine Waechter, Yannick Jadot, François Alfonsi et Pascal Durand le manifeste « Changer d’ère ». L’Union européenne y est définie comme « un espace de paix et de coopération entre les 27 Etats et les 83 peuples qui la composent ».  Le décalage entre ces deux chiffres vaut à lui seul  pour programme d’ethnicisation.

François Hollande sera l’otage de Régions & Peuples Solidaires, dont Eva Joly fut l’invitée en août 2011. C’est une fédération de partis régionalistes et autonomistes français qui réunit le Partit Occitan (Occitanie), l’Union Démocratique Bretonne (Bretagne), le Partitu di a Nazione Corsa (Corse), Convergence Démocratique de Catalogne et Esquerra Republicana de Catalunya (Catalogne), le Parti Nationaliste Basque et Eusko Alkartasuna (Pays Basque), le Mouvement Région Savoie (Savoie) et Unser Land (Alsace). Ainsi que le montre l’exemple de la Catalogne, l’autonomie  peut être vécue comme une « étape » vers un statut d’ « État ».

Dans sa charte de 2009, Régions & Peuples Solidaires propose, entre autres, d’officialiser les « langues de nos peuples et de nos communautés », de « promouvoir en France et en Europe le fédéralisme à base régionale ou communautaire » en vue de « permettre aux peuples divisés par les frontières interétatiques, héritage des guerres, de se réunir à la faveur du processus d’unification de l’Europe ».

Armand Jung et Jean-Jacques Urvoas énumèrent des  « avancées significatives dans l’Éducation nationale » en faveur des langues et cultures régionales après « la rupture de 1981 ». L’une d’elles, où l’on peut voir plutôt une régression historique, fut qu’en Alsace, à partir de 1985, l’allemand a été « considéré comme une langue de France ». La création, depuis, d’eurodistricts transfrontaliers, qui accolent la région au Pays de Bade au sein d’un « espace du Rhin supérieur », constitue l’expression territoriale de ce phénomène linguistique. La ratification de la charte des langues par François Hollande accélèrerait le processus, là, et aux autres frontières de la France.

Un dessein allemand

Armand Jung et Jean-Jacques Urvoas ignorent peut-être que deux Français ont participé à une conférence internationale sur  « les expériences et les défis » de « la protection des minorités en Europe », qui s’est tenue les 23 et 24 février 2012 au Landtag de Rhénanie du Nord-Westphalie. Les Bretons et les Alsaciens y ont été présentés comme des « minorités ethniques/Volksgruppen » sans statut officiel, maltraitées par la France, que l’Allemagne aurait donc pour mission de protéger.

Notre État-nation est un vrai cauchemar pour les tenants de l’ordre ethnique. La France, qui est une construction politique, n’est en effet pas édifiée sur cette base, et ne repose pas sur autre chose que le consentement des citoyens. Le juriste allemand Rainer Hofmann a affirmé que « conformément à sa tradition jacobine, la Constitution de la France nie l’existence de minorités nationales sur le territoire français », et qu’elle se place « clairement en contradiction avec les réalités concrètes ». Mais quelles réalités concrètes ?

En tant que président du Comité consultatif de la convention-cadre pour la protection des minorités nationales, RAiner Hofmann a déclaré en 2003, au Conseil de l’Europe, que « l’applicabilité de la Convention-cadre ne signifie pas forcément que l’expression “minorité nationale” figure dans la législation interne », car « il y a des cas en effet où l’Etat et les communautés concernées préfèrent employer un autre terme, tout en reconnaissant que la Convention s’applique en tout état de cause. » On veut la chose, fût-ce sans le mot. C’est une aussi piètre ruse que celle faisant passer la charte des langues pour un texte de protection du patrimoine linguistique.

Sauver l’exception française

Face à ces manœuvres, le discours, cité par les deux auteurs, que Nicolas Sarkozy a prononcé à Caen le 9 mars 2007, est de la plus urgente actualité : « Si je suis élu, je ne serai pas favorable à la Charte européenne des langues régionales, non parce que je conteste les langues régionales, qu’au contraire je veux soutenir et développer, mais parce que je ne veux pas que demain un juge européen ayant une expérience historique du problème des minorités différente de la nôtre puisse décider qu’une langue régionale doit être considérée comme langue de la République au même titre que le français. »

La France doit refuser d’apparaître « au banc des accusés » pour non-conformité à l’ordre ethnique, cesser de se comporter telle une « citadelle assiégée » sur la scène européenne et internationale. Dans le monde d’aujourd’hui, déchiré par les conflits ethno-linguistiques, sa position a-ethnique est tout simplement d’avant-garde.

 © Yvonne Bollmann