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En 1999, plusieurs organismes et notamment des sections bretonnes de la Ligue des Droits de l’Homme ont protesté contre le Dictionnaire des romanciers de Bretagne de Jacqueline et Bernard Le Nail, distribué gratuitement par les Conseils généraux dans les collèges et lycées d’Ille-et-Vilaine, du Morbihan et des Côtes d’Armor. Or, voici que les collèges d’Ille-et-Vilaine viennent de recevoir trois exemplaires d’un Dictionnaire des auteurs de jeunesse de Bretagne des mêmes auteurs, qui reprend les mêmes notices et parfois les aggrave.
On y trouve à nouveau un éloge systématique d’auteurs engagés dans la collaboration avec les nazis. Ainsi, Louis Nemo dit Roparz Hemon, qui a dirigé sous l’Occupation le journal Arvor où il écrivait le 26 juillet 1942, soit dix jours après la rafle du Vel’ d’Hiv’ qu’« obligatoirement, les petits Bretons doivent apprendre que les Celtes ont subi plusieurs siècles de honte et d’esclavage, depuis le temps où les légions romaines débarquaient dans l’île de Bretagne jusqu’au temps où feu Marianne livrait notre pays à ses juifs ». A propos de Hemon, qui, à la Libération, s’enfuit en Allemagne avec les membres de la milice bretonne sous uniforme de la Waffen SS dite Bezen Perrot et trouva secours auprès du Sonderfürher SS Weisgerber, les auteurs osent écrire que « Menacé de mort à l’approche des Alliés bien que son action soit restée pendant toute la guerre strictement culturelle, il dut quitter Rennes et trouva refuge près d’Hanovre grâce à l’aide d’amis universitaires allemands... »
Même indulgence pour François Elies, dit Abeozen, qui, payé par les services de propagande allemands pour diriger avec Roparz Hemon la radio en langue bretonne, a collaboré à la revue pro-nazie Galv et y a publié l’un des textes les plus explicites quant à ses engagements, « Dirak an dismantrou ». La présentation tendancieuse des faits a parfois été aggravée à passer d’un dictionnaire à l’autre. Ainsi, la notice sur Jeanne Coroller (du Guerny) indique que « de très bonne heure, elle fut une militante bretonne active au sein du parti autonomiste breton, puis du parti national breton. Bien qu’elle n’ait pas collaboré avec l’occupant, ni manifesté de sympathie pour l’idéologie nazie, c’est à son nationalisme breton que Madame du Guerny dut d’être enlevée ainsi que son fils âgé de 14 ans au château de la Saudraye en Penguily et sauvagement assassinée le 12 juillet 1944. » Il est pourtant établi que Jeanne Coroller, militante de la première heure de Breiz atao appartint au PNB en sa phase la plus radicalement pro-nazie. Ses liens avec la milice bretonne sont indéniables puisque son chef, Célestin Lainé, organisait le cantonnement de son Service Spécial dans son château et qu’elle se joignit à lui pour fonder — en mai 1944, à la veille de la Libération — le CNB, parti nationaliste breton lié à la milice bretonne (qui était, rappelons-le, chargée des basses besognes de la SS). Son Histoire de notre Bretagne est un pamphlet nationaliste antifrançais qui fut interdit.
On peut parler d’occultation de l’histoire pour de nombreuses notices. Citons, entre autres, la notice consacrée à Jean Merrien : « Toujours très engagé dans le mouvement breton, il succéda à Morvan Lebesque à la fin du mois d’octobre 1940 comme rédacteur en chef de L’Heure bretonne. Grâce à son labeur acharné et à la diversité de ses centres d’intérêt et de ses talents, il donna à ce journal un grand essor, son tirage atteignant 40 000 exemplaires à la fin de novembre 1940 » — un « talent » mis au service d’un journal pro-nazi, raciste et antisémite (et dont les ventes étaient heureusement loin d’atteindre 40 000 exemplaires).
Quant à l’instituteur Delalande dit Kerlann dont les auteurs prétendent que, s’il fut à la Libération « emprisonné, maltraité et radié de l’Education nationale », ce fut uniquement pour avoir ouvert une école en langue bretonne, ils ne peuvent ignorer que Delalande avait composé le « Chant de marche du bezen Perrot », que son école était payée par la solde de la milice Perrot et qu’il collaborait à L’Heure bretonne .
L’abbé Perrot lui-même, qui bénéficie d’un grand portrait en plus d’une longue notice, est présenté comme un pauvre prêtre qui, mis en punition à Scrignac en raison de son « nationalisme breton », accepta sous l’Occupation de faire partie du Comité consultatif de Bretagne. « Son action constante pour la langue bretonne et son ardent anticommunisme furent le prétexte de son assassinat le 12 décembre 1943 ».
L’abbé Perrot, « assassiné» par la Résistance, ne figure dans le Dictionnaire des auteurs de jeunesse de Bretagne que pour une pièce de patronage, Alanik al Louarn ; dans la mesure où l’instituteur Delalande n’y figure, lui, que pour avoir transcrit trente chansons, il est permis de s’interroger sur la visée réelle d’un tel ouvrage : propagande nationaliste ou édification de la jeunesse ?
L’idéologie de ces dictionnaires mériterait une analyse détaillée. Leur diffusion massive, sur fonds publics, ne va pas sans poser problème.