Alain Guel

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Pourquoi évoquer Alain Guel (1913-1993), auteur à peu près inconnu ? Parce qu’il a donné son nom à une médiathèque à Tréveneuc, qu’il a fait partie avec Xavier Grall et Glenmor de la triade dite des « trois G » promus comme l’incarnation du lyrisme breton — un grand rebelle, fidèle à l’esprit de la Bretagne, la vraie Bretagne celte… et surtout parce qu’il montre mieux que tout autre comment les autonomistes dits « de gauche » ont contribué à réhabiliter des collaborateurs des nazis qui n’entendaient en rien renier leurs idées. 

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Alain Guel est l’un des pseudonymes d’un militant nationaliste breton  : de son vrai nom Alexandre Jouannard, il signait Yves Jouanne dans La Bretagne de Yann Fouéré (lequel était un agent de la Gestapo choisi par les services de propagande nazis pour diriger La Dépêche de Brest en plus de La Bretagne). Bien que La Bretagne ait longtemps été présentée comme un journal régionaliste et pétainiste, car Yann Fouéré jouait double jeu, c’est dans ce journal que se trouvent les textes antisémites les plus immondes jamais écrits en breton (chronique Ar Seiz Avel, dirigée par Xavier de Langlais, Youenn Drezen et alii). Jouannard y a signé des éditoriaux et autres articles tout à fait répugnants.

Tout en collaborant à La Bretagne, il publiait sous le pseudonyme d’Alain Le Banner dans la presse collaborationniste ouvertement nazie, Stur et L’Heure bretonne. On trouve, par exemple, le 12 février 1942, dans L’Heure bretonne un éditorial signé Alain Le Banner, placé juste au-dessus d’une caricature antisémite laissant à craindre (en 1942…) le retour des Juifs capitalistes. À côté se trouve l’un des pires textes de Youenn Drezen (sous le pseudonyme de Tin Gariou) accusant les Français d’avoir « avalé les bobards des youtres » au lieu de collaborer. Jouannard y expose que la Bretagne n’est pas une province comme les autres puisque c’est une nation appelée à prendre son indépendance dans le cadre du Reich.

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DU NAZISME À L’ETHNISME, MÊME COMBAT…

Jouannard s’est, dit-on, promptement reconverti (comme tant d’autres) au communisme à la Libération. Étrange communisme qui ne l’a pas empêché de rejoindre les réseaux nationalistes, notamment la revue Ar Vro et le MOB de Fouéré. On le retrouve à La Nation bretonne avec Glenmor, Grall, Alan al Louarn et d’autres militants de la même mouvance, prônant toujours la même idéologie ethniste, le tout mâtiné d’ésotérisme néodruidique.

C’est, du reste, avec les mêmes militants souvent proches des terroristes du FLB (quand ils n’en font pas partie comme Jean Bothorel), assumant l’héritage de la collaboration qu’il figure en 1979 aux élections européennes sur la liste « Régions-Europe » de Jean-Edern Hallier (la liste obtient 337 voix sur toute la France). Jean-Edern Hallier sera condamné en 1991 pour incitation à la haine raciale. Il a contribué à rallier les réseaux d’extrême droite à la cause régionale sur base ethnique.

Comme l’écrit Jean-Yves Camus au sujet de La Bretagne réelle, revue nationaliste bretonne d’extrême droite, « en donnant la parole aux vétérans du PNB comme Alain Guel et Morvan Marchal, elle a contribué à politiser nombre de jeunes militants passés dans les années 70 au Front de Libération de la Bretagne (FLB). Cependant, le fondement de son idéologie est un celtisme assez teinté de racialisme nordique, néopaganiste et proche de certains groupes de druides… » (Les Droites nationales et radicales en France, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 296).

C’est un militant qui ne se cache pas — loin de là : on le voit avec Fouéré, Guy Héraud, Paul Sérant et autres partisans d’une Europe des ethnies développer un discours antifrançais dans la droite ligne de Breiz Atao.

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Phliponneau, Guel, Fouéré, Héraud, Sérant, 1967 (débat organisé par L’Avenir de la Bretagne)

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Pourtant peu suspect de sévérité à l’égard de Guel, Fouéré et autres nationalistes, l’historien autonomiste Michel Nicolas rappelle qu’en 1984, dans le journal de Fouéré L’Avenir de la Bretagne, Guel et Fouéré rendirent hommage à Olier Mordrel, incarnation du national-socialisme breton et fondateur de la revue Stur. Fouéré avait d’ailleurs fait l’apologie de Célestin Lainé, fondateur du Bezen Perrot, en ces termes : « Moine-soldat, missionnaire doublé d’un visionnaire, la Formation Perrot qu’il recruta et mit sur pied… c’était toujours l’armée bretonne qu’il s’agissait de lever, de préparer, d’entraîner et de mener au combat » (Breizh, p. 144).

Avant de donner le nom de Guel à une bibliothèque, il aurait été utile de le lire.

La production politique de Guel vaut celle de Le Banner ou de Jouanne et, même s’il a pu lui donner couleur de gauche pour rallier un public plus large, elle est restée fondamentalement inchangée. Sa production littéraire, quant à elle, prêterait à rire si elle ne venait s’inscrire comme prolongement de cette idéologie. Elle a malheureusement été prise au sérieux et louée par des militants autonomistes dits de gauche comme Jean-Jacques Monnier, lequel l’a présenté sous un jour christique et est même allé jusqu’à excuser ses articles pronazis, feignant d’ignorer, non sans hypocrisie, la collaboration de Guel à la presse nationaliste d’extrême droite après-guerre.

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…UN COMBAT PRIS EN CHARGE PAR LES AUTONOMISTES DE GAUCHE

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En réalité, le problème que pose la promotion de cette œuvre, passant du ridicule à l’ignominie sans jamais laisser ignorer le prosélytisme nationaliste, est celui de sa prise en charge par la gauche du mouvement nationaliste.

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En 1997, dans Le Peuple breton, organe de l’UDB, Monnier se livre à une apologie de Guel qui montre à quel point peut atteindre le confusionnisme pratiqué par le mouvement breton. Pour excuser son double jeu ne va-t-il pas jusqu’à écrire : « Il publiait beaucoup d’articles dans Ar Vro et dans L’Avenir de la Bretagne, journal du MOB, où il s’entretenait avec lui-même de façon souvent subtile et élégante, dans ses nombreux dialogues entre Alain Guel et Alain Le Banner. » Étrange apologie de la presse nationaliste la plus fidèle à l’héritage de la collaboration de la part de l’historien officiel de l’UDB, qui fut créée par des militants dits « de gauche » pour fuir le MOB de Fouéré… Il y a mieux : ce double jeu de Le Banner permet à Monnier d’excuser sa collaboration à Stur, revue national-socialiste bretonne : « Sous ce dernier nom, il avait jadis publié nombre d’articles dans la revue Stur, revue “théorique” du PNB mordrellien, articles marqués par les errements de l’époque. Fidèle en amitié, Alain Guel ne rompit jamais avec les plus extrémistes et conservateurs des militants bretons, alors que ses écrits ultérieurs n’ont rien à voir avec ce passé interlope. » Ainsi, la collaboration de Guel à Ar Vro et à La Bretagne réelle est-elle présenté par un militant breton « de gauche » comme une manière de rompre avec un passé qui n’était pas nazi mais juste un peu « interlope » — et les nazillons du PNB sont présentés comme « conservateurs ».

Faisant l’apologie d’un essai d’hommage à Guel publié en 1997 par sa sœur et ses amis, Jean-Jacques Monnier feint de s’étonner d’y trouver un article de Jean Mabire… Jean Mabire, pas du tout présenté comme le chantre des SS (ce qu’il fut) mais comme un inoffensif militant du « mouvement normand ». Du mouvement normand au mouvement breton, le moins qu’on puisse dire est qu’on trouve une certaine continuité. L’historien de l’UDB passe sous silence l’article de Jorda Caouissin, épouse d’un militant nationaliste qui fut membre du Kommando de Landerneau, et celui de Thierry Jigourel, membre du POBL de Fouéré, louant ses propos dans La Bretagne réelle. Nous sommes là dans l’apologie de l’ethnisme, reposant en Bretagne depuis Breiz Atao sur la défense d’une « race celtique » fantasmée. Les autonomistes dits de gauche ont joué le rôle qui était attendu de leur part : normaliser, banaliser et promouvoir les productions nationalistes d’extrême droite. Yves Jouanne, auteur inexistant, et qui fut sous le nom d’Alain Le Banner ou d’Alain Guel un nazi jamais repenti en offre un exemple particulièrement intéressant.

Donner à une bibliothèque le nom de ce militant nationaliste était un acte politique dont il importe de souligner la gravité.

©Françoise Morvan