Vincent Bolloré avait annoncé qu’il prendrait sa retraite au moment de célébrer le bicentenaire de l’entreprise familiale naguère achetée pour le prix d’un paquet de tabac à rouler (sous papier OCB) et qui lui rapporte à présent, dit-on, 24 milliards d’euros de revenus annuels. Le 17 février, c’est déguisé en Breton, avec ses deux héritiers dans le même appareil, qu’il s’est présenté derrière une croix, au son du biniou et de la bombarde, pour assister à une messe célébrée dans la pure tradition de Feiz ha Breiz. Pourquoi cette mise en scène ? Pour afficher ses opinions : le kit folklorique, tout dérisoire qu’il puisse paraître, est une composante essentielle de l’idéologie Bolloré – celle qui lui avait fait organiser les dîners celtiques, fonder le prix Bretagne (devenu prix Breizh) et remplacer Hervé Gategno à la tête de Paris Match par le redoutable Patrick Mahé, un ancien d’Occident et de Jeune Europe unissant extrême droite, militantisme breton sous label folklorique (il préside, entre autres, le festival Fêtes d’Arvor) et ethnisme panceltique. Il faut rappeler ici les analyses de Frédéric Charpier (Génération Occident, Seuil, 2005) :
« Jeune Europe va aussi se singulariser sur la question nationale. Le mouvement, qui brasse les héritages du Belge Jean Thiriart, d’Europe Action et d’Occident, a fait de “l’ethnisme” son credo. Poussé jusqu’au paradoxe, il se confond avec le soutien au régionalisme, à l’autonomisme et au séparatisme pur et simple. La question bretonne à laquelle Patrick Mahé accorde un intérêt particulier, conduit Jeune Europe à l’envoyer en Irlande pour l’IRA. »
Ce choix de Patrick Mahé n’est pas un hasard : il rejoint le rédacteur en chef de Paris Match, l’indépendantiste breton Gilles Martin-Chauffier, lequel explique dans son essai, Du bonheur d’être breton qu’il appelle de ses vœux la disparition de la France vouée à éclater en nations historiques dans le cadre d’une Europe des ethnies. Le vieux projet de Fouéré.
Le costume que les journalistes, se reprenant les uns les autres, baptisent « glasik » ne relève pas de la touchante fidélité au petit peuple glazik qui œuvrait pour la prospérité de la famille Bolloré mais bien de l’appel au retour aux origines voulues par Dieu. L’habit fait l’homme.
Et c’est cet homme qui s’apprête à faire main basse sur l’édition française au mépris de la diversité qu’il prône au nom de la Bretagne – ou plutôt d’une Bretagne fantasmée pour être mise au service d’un projet politique qui, lui, est loin d’être folklorique.