Bonnets rouges et chapeaux ronds

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En 2013,  le lobby patronal breton de l’Institut de Locarn a décidé de se lancer dans une action-test pour mesurer son pouvoir : il s’agissait de s’opposer à l’écotaxe, pourtant démocratiquement votée par la gauche et la droite unies.

Nous avons été les seuls à présenter cette pseudo-révolte pour ce qu’elle était, à savoir une désastreuse opération montée de toutes pièces et organisée par le lobby patronal en jonction avec le lobby autonomiste : au total, cette action présentée comme glorieuse par les médias bretons aura coûté plus de onze milliards à l’État (en 2017, un rapport accablant a été rendu par la Cour des comptes à ce propos). 

Il est intéressant de lire les articles appelant à vigilance en observant comment ces appels à vigilance ont été rendus vains par l’allégeance des socialistes bretons au lobby patronal à l’origine de la bataille de l’écotaxe. 

En complément de la mise au point de Françoise Morvan sur Médiapart faisant l’historique du mouvement des Bonnets rouges qui a mobilisé les médias en 2013  (« Bonnets rouges, une double manipulation »), on trouvera dans ce dossier  :

Un texte introductif, « L’écotaxe contre la République » 

— La tribune publiée par Françoise Morvan dans le journal Le Monde du 15 novembre 2013,

— Un article de Philippe Euzen sur le même sujet dans le même journal,

— Une interprétation ironique de cette prétendue révolte identitaire,

— Une mise au point de trois historiens sur la « manipulation de l’histoire » par le lobby à l’origine de la manifestation des Bonnets rouges. 

— Un billet de Gérard Hamon 

— Un texte en gallo sur l’écotaxe, d’autant plus intéressant que le gallo est totalement oublié dans le « Pacte de solidarité pour la Bretagne » qui semble remplacer l’ajournement de  l’écotaxe par la promotion des langues de Bretagne…

— Le texte du « Pacte pour la Bretagne » rédigé par le gouvernement avec (et pour) le lobby régionaliste breton. 

— Les commentaires d’un citoyen. 

— « Le pacte pour la Bretagne : les enjeux véritables ». 

– « Ils se dévoilent : écologistes et autonomistes appellent à l’éclatement de l’État »

– Bonnets rouges et extrême droite : le triomphe de l’ethnisme.

On pourra surtout écouter les émissions de Charlotte Perry réalisées dans le cadre de la série « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet.

Première émission : « Vive la Bretagne libre ! (1) » diffusée mercredi 22 janvier 2014.

Deuxième émission : « Vive la Bretagne libre ! (2) » diffusée jeudi 23 janvier 2014.

Troisième émission : « De quelle couleur le bonnet rouge ? » et diffusé le lundi 3 février 2014.

I.

L’ÉCOTAXE CONTRE LA RÉPUBLIQUE

« Le gouvernement recule face aux Bretons ! »  La suppression de l’écotaxe est présentée comme une victoire des Bretons —  et personne ne dit qu’il ne s’agit nullement des Bretons mais d’un puissant lobby fédérant les patrons bretons avec à leur tête Alain Glon (Glon Sanders, la vache folle…) Le but de ce lobby ultralibéral (Institut de Locarn, Produit en Bretagne…) est d’en finir avec la France républicaine et ses lois sociales contraignantes : pour une Bretagne autonome dans une Europe des régions livrée à une dérégulation totale.

Ce sont les patrons de Produit en Bretagne qui appellent les travailleurs à la révolte (en sonnant le tocsin dans leurs entreprises !). Et tous les clichés nationalistes (les Bonnets rouges, les chouans…) sont mis en œuvre pour attiser la haine contre la France, l’égalité de tous devant la loi ! Pauvres cultivateurs victimes de l’agroalimentaire qui a saccagé leurs vies et ravagé les paysages… les voici jetés sur les routes coiffés de bonnets rouges comme les fantoches d’une révolte qui ne profitera qu’aux profiteurs ! Ces élus bretons de gauche qui devraient résister au lobby ultralibéral sont les premiers à lui faire allégeance. Et qui informe sur la situation réelle et ses enjeux véritables ?

II.

II*

Bonnets rouges : des dérives autonomistes derrière les revendications sociales

LE MONDE |  • Mis à jour le  |Françoise Morvan

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Les "bonnets rouges" veulent maintenir la pression sur le gouvernement et ont déjà prévu une nouvelle manifestation pour le 30 novembre.

 

Des Bretons affublés de bonnets rouges défilant sous une marée de drapeaux noir et blanc : l’image a fait le tour de la planète. Les ouvriers bretons licenciés défilent à l’appel des patrons bretons sous un même drapeau, le drapeau breton. Le drapeau breton montre que les Bretons sont tous unis pour mener le même combat séculaire : les bons Bretons sont en révolte contre la France. Ils veulent leur liberté, la « liberté armorique » revendiquée au XVIIe siècle lors de la révolte dite des « bonnets rouges » (qui, en fait, étaient aussi bien bleus).

Pour les patrons de l’agroalimentaire qui appellent à manifester, la liberté a un sens bien précis. Pour les élus à l’origine de cette énorme opération de propagande, il a un sens non moins précis. Ce qui les rassemble se résume en un mot : autonomie.

Les premiers sont fédérés en un lobby qui réclame le droit d’en finir avec la République et ses lois contraignantes : c’est ce qui s’appelle en attendant mieux « droit à l’expérimentation ». Les seconds appuient ce projet en vue de faire de la Bretagne une nation tenant sa place dans une Europe des peuples et ethnies solidaires.

A la tête des premiers, Alain Glon, ex-président de l’entreprise Glon-Sanders et président de l’Institut de Locarn. A la tête des seconds, Christian Troadec, maire de Carhaix, fondateur du parti autonomiste « Nous te ferons Bretagne », soutenu par le Parti breton, indépendantiste, relais de l’idéologie de Locarn.

UNE STRATÉGIE DE L’ENTRISME

Electoralement, ils ne représentent rien (aux élections régionales, la liste de Troadec n’a pas obtenu 5 % des voix). Politiquement, ils mènent le jeu face à un pouvoir incapable de leur tenir tête, faute d’avoir su faire pièce, dès l’origine, à une stratégie de l’entrisme menée depuis tous les points d’accès possible : gauche ou droite, écologie ou développement sans contrôle de l’agroalimentaire, appels aux droits de l’homme pour défendre l’homme breton exclusivement, apologie de la Résistance bretonne et assimilation de la Résistance au combat breton mené par les nationalistes alliés aux nazis, et, pour finir, appel des ouvriers à défiler au nom de la Bretagne derrière les patrons qui les licencient.

Les ouvriers défilent : la démonstration est faite, ils sont bretons. Leur identité les amène à se révolter : ils se mettent des bonnets rouges sur la tête. Ils se révoltent au nom de leur nation niée, le drapeau le prouve : ils brandissent des drapeaux noir et blanc.

Personne ne rappelle que le sinistre drapeau noir et blanc a été inventé par un druide raciste comme symbole antirépublicain, à partir d’hermines représentant les évêchés de la Bretagne féodale, la Bretagne d’avant la Révolution française tant honnie par les autonomistes dont il était l’un des chefs. Personne ne rappelle que la sanglante jacquerie dite des « bonnets rouges » était dirigée contre la noblesse et le clergé bretons autant et plus que contre les fermiers du roi.

Et surtout, personne ne se demande qui sont ces patrons qui sonnent le tocsin contre l’écotaxe et distribuent des bonnets au peuple pour l’enrôler dans une croisade identitaire. Produit en Bretagne (300 entreprises, un phare bleu sur fond jaune garantissant la qualité du « made in Breizh »), bon label, bons patrons – ils font plier Paris : c’est une victoire.

Seuls sont interrogés à ce sujet les autonomistes, Alain Glon, pour l’Institut de Locarn, Jakez Bernard, pour Produit en Bretagne, Romain Pasquier, Ronan Le Coadic, Christian Troadec… La « misère armorique » fait le beurre du séparatisme.

LA PREMIÈRE D’UNE LONGUE SÉRIE

Présentée comme née spontanément d’une révolte atavique des Bretons contre l’impôt, écotaxe ou gabelle, cette opération médiatique a été soigneusement orchestrée et d’ailleurs présentée dès l’origine comme la première d’une longue série. On ne peut la comprendre qu’en la prenant pour ce qu’elle est, à savoir une phase particulièrement voyante de la réalisation du projet politique poursuivi par le lobby patronal breton.

Voilà quelques années, tenter d’expliquer le rôle du Club des Trente ou de l’Institut de Locarn dans la dérive identitaire à laquelle on assiste en Bretagne vous exposait à vous faire accuser de conspirationnisme. L’un des premiers soutiens de l’Institut, Patrick Le Lay, jurait ne pas le connaître. De même, des responsables de Produit en Bretagne assuraient n’avoir aucun lien avec Locarn.

Les statuts de ces associations ont pourtant été déposés à la sous-préfecture de Guingamp : l’association Institut de Locarn, culture et stratégies internationales a été déclarée le 5 avril 1991 ; Produit en Bretagne le 9 février 1995, bizarrement, à première vue, précédée, le 2 juin 1993, par une Association Coudenhove-Kalergi-Aristide-Briand ayant, elle aussi, son siège à l’Institut de Locarn.

Le comte de Coudenhove-Kalergi est le fondateur de l’Union paneuropéenne, dont les principes fondamentaux peuvent être lus en ligne : « L’Union paneuropéenne reconnaît l’autodétermination des peuples et le droit des groupes ethniques au développement culturel, économique et politique. » « Le christianisme est l’âme de l’Europe. Notre engagement est marqué par la conception chrétienne des droits de l’homme et des principes d’un véritable ordre juridique. »

L’ÉTAT-NATION DOIT DISPARAÎTRE

Le projet de l’Institut de Locarn a été exposé par son fondateur, Joseph Le Bihan, en 1993, sous le titre « Genèse de l’Europe unifiée dans le nouveau monde du XXIe siècle » : la France n’a plus d’avenir ; l’Etat-nation doit disparaître ; il faut liquider l’éducation nationale, les services publics et surtout les services culturels, en finir avec l’héritage de la Révolution française, syndicalisme, laïcité, et autre boulets : « Nous allons réintégrer cette Europe de la civilisation et de la propreté qui existe déjà en Allemagne, en Suisse et dans certains pays nordiques. »

Le plus beau jour de l’histoire de l’Institut, d’après son fondateur, a été, en juin 2006, le jour où le président du conseil régional socialiste, Jean-Yves Le Drian, est venu y présenter son projet pour la région. Depuis, la messe est dite et la collusion sans mystère. Nul espoir que la gauche s’oppose au projet obscurantiste de Locarn – dont les Bretons ne voudraient pourtant pas s’ils étaient consultés.

Le discours ethniciste des élus socialistes qui ont fait entrer les autonomistes de l’UDB au conseil régional s’inscrit dans la droite ligne de celui des patrons bretons et la labellisation de la Bretagne sur base identitaire semble irrémédiable.

Alain Glon, lors de l’université d’été de Locarn, déclarait : « Notre problème, c’est la France » et donnait pour modèle l’action des Flamands susceptible de faire éclater la Belgique en ethnorégions.

C’est dans ce contexte qu’Alain Glon et Jakez Bernard, encore eux, ont lancé cette année à Pontivy « l’appel breton du 18 juin » pour une  « gouvernance économique régionale » et « le droit à l’expérimentation ». Fondant par la même occasion un nouveau lobby, le Comité de convergence des intérêts bretons (CCIB) avec pour mot d’ordre « Décider, travailler et vivre au pays » (le mot d’ordre de Troadec ralliant les bonnets rouges), ils ont clamé : « L’heure des méthodes douces est révolue. Pour obtenir des réponses concrètes et immédiates, il va falloir livrer bataille. » La première bataille à livrer était la lutte contre l’écotaxe.

L’écotaxe a bien servi. Sous bonnet d’acrylique fabriqué en Ecosse, les bons Bretons sont venus fournir les troupes. On les faisait danser en chapeaux ronds, ils défileront en bonnets rouges. Le lobby breton a gagné : la guerre ne fait que commencer.

 

On pourra aussi trouver cet article en PDF

Bonnets rouges Monde476. pdf

III.

Le journaliste Philippe Euzen consacre un article complémentaire au problème de l’instrumentalisation de la crise sociale par le lobby patronal breton.

Ces patrons à l’origine des « bonnets rouges »

LE MONDE | 16.11.2013 à 09h14 |

Par Philippe Euzen

A l’époque, l’affaire ne fait pas les gros titres. Le 18 juin, une trentaine d’entrepreneurs bretons lancent une campagne contre l’écotaxe. « L’heure des méthodes douces est révolue, affirment-ils alors. Pour obtenir des réponses concrètes et immédiates, il va falloir livrer bataille. » Rassemblés à Pontivy (Morbihan), ils annoncent la création d’un rassemblement : le Comité de convergence des intérêts bretons (CCIB).

Le message de ces trente patrons, précisé dans un « Appel de Pontivy » issu de leur rencontre, est clair. Ils dénoncent « l’hypercentralisme français et le labyrinthe des réglementations ». Ils demandent « la primauté aux territoires », « une véritable décentralisation, qui prenne en compte une gouvernance économique régionale », et réclament « le droit à l’expérimentation (…) doit nous permettre de respecter nos valeurs afin de ne pas avoir à affronter en permanence les excès des systèmes bureaucratiques ».

Deux figures influentes sont à l’origine de cet ordre de mobilisation. Le premier est Jakez Bernard, patron du label « Produit en Bretagne ». Le second est Alain Glon, président de l’Institut de Locarn, un think tank régionaliste, et ancien industriel de l’agroalimentaire.

Lire aussi l’enquête Le lobby breton drague la République

Pour lancer leur offensive, tous deux vont activer leurs réseaux communs. Domicilié à l’Institut de Locarn, le label Produit en Bretagne fédère 300 entreprises de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Plusieurs de leurs dirigeants se mettent à l’ouvrage. Olivier Bordais, patron du centre Leclerc de Landerneau, et Jean-Jacques Hénaff, leader français du pâté en conserve, diffusent des tribunes. Ils répondent présents lorsqu’Alain Glon s’adresse aux patrons bretons, dans une lettre publiée sur le site de l’Institut de Locarn, pour les appeler à se mobiliser le 16 octobre : « En relation avec de multiples associations et toutes les organisations qui souhaiteront rejoindre cette initiative, nous appelons les acteurs économiques de Bretagne à sonner le tocsin, tous ensemble. »

 

Le 16 octobre, plusieurs responsables de grandes surfaces (Intermarché, Système U, Leclerc…) ferment leurs portes à 15 heures. Hervé Le Goff, directeur d’un Super U à Brest, est de ceux-là : « Il y a eu une réunion de Produit en Bretagne le samedi. Les gens présents, dont Olivier Bordais, m’ont appelé pour me dire qu’il fallait fermer les supermarchés une heure le mercredi. » Ce 16 octobre à 15 heures, d’autres, comme le patron de Hénaff, font retentir dans leur entreprise l’alarme incendie et font sortir leurs salariés. C’est encore un autre membre de Produit en Bretagne, Jean-Guy Le Floc’h, patron d’Armor Lux, qui offrira les bonnets rouges à la manifestation du 2 novembre à Quimper.

Cette manifestation des fameux « bonnets rouges », c’est un autre groupe, le collectif « Vivre, décider et travailler en Bretagne », qui l’a organisée. A sa tête, Thierry Merret, président de la FNSEA du Finistère, ainsi que le maire divers gauche de Carhaix, Christian Troadec. Ce dernier explique que ce groupe réunit « un réseau informel de gens qui se connaissent très bien, qui se côtoient très régulièrement, dans les locaux de l’Institut de Locarn ou ailleurs »« Nous avons des sensibilités différentes, mais nous nous rejoignons autour des intérêts de la Bretagne », précise-t-il.

Le CCIB d’Alain Glon et Jakez Bernard en fait partie. « On pilote deux choses : les “bonnets rouges” et un projet pour la Bretagne », confie Alain Glon, pour qui « avant l’écotaxe, il n’y avait pas de quoi provoquer l’embrasement ». Et juge que « l’on peut tolérer un peu de violence contre le système, aussi mesurée que possible ». Pour lui, « l’Etat n’a pas de vision. Il faut tout déconstruire. Et reconstruire dans une dimension territoriale ». Partisan d’une Europe des régions, il juge que l’Etat doit laisser les patrons gérer l’économie au plan local.

Evoquant ces acteurs, la députée européenne et maire UMP de Morlaix, Agnès Le Brun, estime que « s’ils gardent le cap de la synergie économique, du sens de l’innovation collective, c’est très bien. Mais attention à ne pas se greffer sur un repli identitaire. A Quimper, j’ai vu des drapeaux nationalistes bretons. En se mettant sur une bannière bretonne, on attire ces gens-là. »

Richard Ferrand, député PS du Finistère et ancien adversaire de Christian Troadec aux législatives, est plus sévère : « Alain Glon considère que l’obstacle au développement de la région, c’est l’Etat. Avec l’Institut de Locarn, ils veulent être une élite éclairée qui sait faire et que les autres doivent suivre. Christian Troadec n’a a priori pas les mêmes convictions mais ils se rejoignent sur le régionalisme. » Pour lui, « pendant qu’on construit le Pacte d’avenir pour la Bretagne, ils s’unissent dans un discours contre l’Etat »

Lire aussi le point de vue de l’écrivain Françoise Morvan : Bonnets rouges : des dérives autonomistes derrière les revendications sociales

Il est important de préciser que le mot « régionalisme » est employé pour faire passer en douceur le projet réel des patrons de L’Institut de Locarn et du maire de Carhaix qui est bien l’autonomie de la Bretagne (en attendant l’indépendance, peut-être, comme en Écosse, modèle de référence). 

De même ne peut-on parler de « dérives autonomistes » dès lors qu’il s’agit d’un projet énoncé de longue date et défendu avec ténacité.

IV.

Pour ceux qui souhaiteraient s’amuser un peu  :

http://www.dailymotion.com/video/x16rpuc_didier-porte-ils-ont-des-bonnets-rouges-vivent-les-bretons_news

Notons toutefois que si Didier Porte s’amuse des revendications nationalistes, il fait erreur en supposant que les militants refusent que la Loire-Atlantique se joigne à eux. Le premier pas vers l’indépendance, c’est la « réunification » : avec Nantes et sa région, la « Bretagne historique » aura le poids d’une nation ; le second pas, c’est l’aéroport international et de « hub sur l’eau » permettant de tourner le dos à Paris. Projets en cours…

V.

MANIPULATION DE L’HISTOIRE

Extrait du journal Le Télégramme, 22 novembre 2013

« Depuis un mois, on assiste à une manipulation de l’histoire de la Bretagne, à un degré rarement atteint.

Nous avons des choix citoyens différents mais, historiens, nous pensons qu’on ne peut pas dire et écrire n’importe quoi, et en particulier en matière d’histoire : trop d’exemples tragiques nous l’ont rappelé, dans un passé parfois très récent, y compris en Europe. Dans le cas des Bonnets rouges, cet épisode de l’histoire bretonne, déformé, est utilisé à des fins bien précises et pour le moins douteuses. 

Qu’est-ce que « les Bonnets rouges » ? Nous sommes en 1675, sous le règne de Louis XIV. Dans les campagnes de Basse-Bretagne : une large part du Finistère actuel, une partie des Côtes-d’Armor et du Morbihan. À un moment où, par ailleurs, de nombreuses villes à l’est de la province, Rennes surtout, connaissent aussi une révolte dite « du Papier timbré ». 

Pourquoi cette révolte des Bonnets rouges ? Alors que la Bretagne connaît, pour la première fois depuis près d’un siècle, de sérieuses difficultés économiques, les charges qui pèsent sur les paysans s’alourdissent : versements aux seigneurs surtout, taxes royales aussi, dont la multiplication donne une impression d’accablement fiscal. 
Ces taxes, réelles (sur le tabac, par exemple) ou imaginaires (l’instauration de la gabelle sur le sel) sont même ce qui met le feu aux poudres. Les révoltés s’organisent de manière assez remarquable : rédaction de « codes », ancêtres des cahiers de doléances de 1789, élection de députés défrayés et dotés d’une chemise et d’un bonnet rouge. 
Le mouvement rencontre un écho européen pour plusieurs raisons : Louis XIV est de nouveau en guerre (contre la Hollande), et la mobilisation des troupes aux frontières permet à la révolte paysanne bretonne de durer quatre mois, chose inouïe dans la France du roi absolu et dans une province réputée pour sa tranquillité. 

Il est facile d’établir des parallèles avec notre époque, et aussi des différences : l’essentiel n’est pas là. 

La révolte, en effet, vise tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent être perçus comme des exploiteurs : seigneurs, agents du fisc, clergé même. Les codes paysans réclament la suppression des corvées (seigneuriales surtout), la diminution des prélèvements sur les récoltes (les seigneurs encore, le clergé aussi), et un juste tarif pour divers services du quotidien : les messes et le vin, les actes devant notaire et le tabac… Ils ne s’en prennent jamais, bien au contraire, à un roi supposé ignorer les abus que connaît son royaume. Cette révolte, qui oppose des paysans bretons à leurs exploiteurs bretons, est avant tout sociale : il est symbolique que le révolté le plus connu, Sébastien Le Balp, soit assassiné par un seigneur, le marquis de Montgaillard. 

Gommer cette fondamentale dimension sociale est un travestissement de l’histoire, et débouche vers son instrumentalisation. Délibérément, certains au moins des animateurs du collectif Bonnets rouges veulent détourner la très légitime colère des victimes (agriculteurs, éleveurs en particulier, salariés d’une partie de l’industrie agro-alimentaire) contre « Paris », responsable de tous les maux. Alors qu’une part essentielle de responsabilité incombe à certains chefs d’entreprise et à certains syndicalistes agricoles qui n’ont pas voulu voir venir l’effondrement d’un modèle économique devenu dépendant de subventions européennes, ou qui l’ont très bien vu venir sans réagir, sans chercher à faire évoluer manières de produire et types de production. Selon une recette hélas tant de fois éprouvée, ils tentent de détourner une profonde et légitime colère sociale vers « les autres », tous les autres mais pas eux. Avec la connivence de quelques élus.

Nous ne sommes pas les seuls à dénoncer cette escroquerie intellectuelle : syndicats de salariés, désormais unanimes, un syndicat agricole comme la Confédération paysanne, certains partis politiques, certains journalistes, certaines personnalités. Nous voulons leur apporter notre soutien.

Manipuler l’histoire, tomber dans le populisme, n’a jamais aidé à résoudre de vrais problèmes. La preuve en est dans les efforts de récupération du mouvement par l’extrême droite, ce qui devrait faire réfléchir.

Oui, il y a de quoi lakaat e voned ruz, « mettre son bonnet rouge », c’est-à-dire piquer une colère noire, selon l’expression imagée du breton. Encore faut-il tourner sa colère vers les vrais responsables. »

Alain Croix (Nantes), André Lespagnol (Rennes), Fañch Roudaut (Brest)

VI. 

AMEN AUX PATRONS

Depuis quelques jours un petit air de 1972 traîne dans ma tête « Au Joint Français Au Joint Français Les ouvriers bretons disent merde aux patrons ! » Que je suis retro, depuis ce temps un miracle s’est produit en Bretagne, les patrons partagent tout. Ce n’est pas une légende, salaires élevés et conditions de travail exceptionnelles y sont enviés par la Terre entière. Les échecs présents et à venir, ces patrons experts et compétents n’y sont pour rien. Il faut les imputer aux forces du mal réunissant de vilains jacobins, des Chinois sournois, Al Qaïda pourquoi pas, les Qataris aussi. Alors « koc’h ki gwenn ha koc’h ki du » ! Il faut soutenir ces chevaliers le la concurrence libre et non faussée assistée. Il faut manifester coiffé du bonnet rouge d’Armor Lux, voire casser tout. Tiens ! Je réalise que l’air est le même, mais que les paroles sont en train de changer « Dans le Finistère et à Quimper, des Bretons disent amen aux patrons ! »

Gérard HAMON

Élément anti-national-breton

 VII.

L’ÉCOTAXE EN GALLO

(MAIS PAS AU GALOP)

Et pourquoi ne pas donner la parole à ceux qui s’expriment en gallo ? Voilà au moins une occasion de sortir du discours identitaire fulminant sous bonnet et drapeau pour donner à lire ceux qu’on ne lit jamais… Nous avons surtout apprécié la conclusion :

« Qand il et mention d’ecolojie, c’ét pas jamés le moment e qand le moment et rendu, n’ét pus le moment. » 

 Phrase qui pourrait s’appliquer à d’autres sujets.

« Emmêle les articl su l’ecotaxe qe je fu dan le cas de lire, li qi gagnit la potée se trouvaet dan la darene paje d’un grand journa de l’ouest de France. Qhele afere d’articl q’etaet don ? I taet dit qe, fin de conte, si les Bertons huchent tenant contr l »ecotaxe, c’ét qaziment jenetiqe. Jenetiqe corne la maladie du fer céz les Celtes ? Nouna, le ghimentier n’ermontaet pas dic’és Celtes, mes il avaet ghibonë une ghibarée istoriqe o gros de bonets roujes, des chouans, des ouveriers de l’agroalimentére e une frimée de Duchesse Anne. Ça fut mouen cinq (siècl), la Duchessse etou étaet contr l’ecotaxe! Enfin, a Qhimper on veyit ben des bonets roujes… Vè, bonets roujes ou bonets Armorlux ? La taxe en qhession o chet mal a veni, tout corne ! C’ét selon. Ol empouézone la gaoche forcenement, a rebou o chet d’apic pour la drete avant les voteries municipales e pour les liberaos omis de l’impôt. N’y a sept ans qe Borloo fit passer la taxe-ilë mes le décret pour la mettr en pllace ne fut sine q’ ao deûzième tour de la perzidentiele darene. Un prezent ben gandilleu, seben. Qand il et mention d’ecolojie, c’ét pas jamés le moment e qand le moment et rendu, n’ét pus le moment. »

COMMENTAIRES LEXICAUX :

Gagner la potée : gagner le pompon.

Ghimentier : journaliste.

Ghiboner : préparer.

Frimée: pincée.

Omis : excédés.

VIII.

PACTE D’AVENIR POUR LA BRETAGNE :

L’ÉCOTAXE A DISPARU, RESURGIT LA CHARTE

Nous sommes heureux d’avoir donné voix aux dissidents s’exprimant en gallo puisque le « Pacte pour la Bretagne » négocié (par qui pour qui et pour quoi) avec le gouvernement suite à une pseudo-révolte bretonne organisée par le lobby patronal breton aboutit à faire avancer le projet d’autonomie sur la base définie par Locarn. Conclusion de ce projet qui aboutit à régionaliser, démanteler les services de l’État et notamment le ministère de la Culture, conformément aux souhaits des autonomistes (et, bien sûr, du patronat ultralibéral) : ratification de la Charte des langues régionales, avec, d’après le libellé du texte, mention exclusive du breton comme langue de Bretagne.

Il peut être intéressant de lire le texte de ce « Pacte » conclu sans consultation nationale sur les enjeux qui concernent toutes les régions de France, sous la pression de lobbies instrumentalisant sans la moindre légitimité démocratique la misère dont ils sont les premiers responsables. 

 Le pacte d’avenir pour la Bretagne

ANALYSE D’UN CITOYEN 

Le « Pacte d’avenir pour la Bretagne », un tour de force !

Le président du Conseil régional s’apprête à signer avec le Préfet de Région le « Pacte d’avenir pour la Bretagne » en présence du Premier Ministre. C’est un document de 84 pages en incluant la longue annexe « Le Plan Agricole et Agroalimentaire pour l’Avenir de la Bretagne » de 50 pages. Ne renonçant pas exercer mon travail de citoyen actif, j’ai donc examiné ce projet. J’ai consacré du temps à étudier le contenu de ce texte à l’accès duquel j’ai cependant remarqué ne pas avoir été convié. Je n’ai pas le temps de le commenter dans le détail, aussi je ne produis ici que quelques réflexions.

L’impression générale est qu’il s’agit d’un vaste catalogue essayant de tout évoquer et surtout ne fâcher personne. Ce document évite soigneusement de citer l’écotaxe dont il est pourtant une conséquence. Cette ignorance de rappel de l’obligation à ne pas en abandonner le principe laisse entendre que les décisions votées par notre représentation nationale se font sans réflexion ou n’ont que peu de valeur. Ne pas affronter cette question, évite d’examiner ce qui a manqué à la mise en place sereine de cette décision. À savoir, la réalisation d’un projet sérieux de ferroutage sans lequel l’écotaxe n’a pas de sens. Pour ne pas être contradictoire, il va de soi que les fonds dégagés par cette taxe doivent être destinés à des projets alternatifs au développement des transports routiers et non au développement ou au seul entretien des infrastructures routières. Que trouve-t-on dans le Pacte à ce sujet ? Une brève et vague allusion au « lancement d’autres travaux, notamment dans le domaine des infrastructures ferroviaires, en fonction de l’avancement des projets. » Par contre le document est clair et précis pour confirmer « la priorité donnée à l’achèvement de la mise à 2×2 voies de la RN 164 » et entendre « permettre à l’horizon 2020 l’engagement de la quasi-totalité des travaux de mise en 2×2 voies sur les sections restantes. » De caractère général, le Pacte se proposant « d’apporter une réponse globale et volontariste », rentre quand même dans des détails très précis quand, il s’agit de favoriser les transports routiers « Par dérogation aux règles de circulation des transports de marchandises de plus de 7,5 tonnes, qui interdisent la circulation les week-end, les jours fériés et pendant les périodes de grands départs en vacances, les transporteurs d’aliments pour animaux d’élevage pourront demander des autorisations de circulation pendant ces périodes d’interdiction. »

Pour ce qui est de « Soutenir les entreprises en difficulté pour éviter les licenciements » les enseignements donnés par les comportements ayant conduit à la rédaction de ce Pacte ne sont pas cités. Liberté d’entreprise, soit ! Mais alors obligation d’assumer les conséquences de sa gestion. Toutes les aides publiques apportées sous quelque forme que ce soit doivent être accompagnées de contraintes et de contrôle de leur utilisation. Il est nécessaire de rompre le cycle « aide laxiste-utilisation sans rigueur-difficultés économiques-pressions pour renouveler les aides publiques. » Il est bien difficile de voir dans le document proposé une quelconque notion de contrainte, d’obligation de rendre compte de l’utilisation de l’argent public. Tout lecteur attentif n’est pas dupe du volontarisme qui le sous-tend. À longueur de pages ce sont des « Soutenir », « Accompagner », « Développer », etc. donnant l’impression d’un bulletin pour mauvais élève que l’on veut motiver et pas d’un document s’adressant à des personnes responsables devant assumer qui sa gestion, qui ses décisions, qui ses engagements. Il y a quand même de discrètes critiques pouvant être associées à « anticipation » et un « contrôle des pêches adapté et renforcé. »

Ayant examiné les chapitres les plus longs, je n’oublie pas le plus court, le titre IV, « Affirmer l’identité culturelle de la Bretagne ». L’utilisation du pluriel serait plus conforme à la réalité et à un projet démocratique. La Bretagne est un lieu d’identités culturelles multiples ayant en commun la République et ses valeurs fondamentales. Les langues de Bretagne sont notées, mais la seule langue bretonne est citée. A-t-il été délibéré d’écarter l’indication du gallo ? Aborder les questions de langue ne peut pas faire sans rappeler que la langue française est la langue commune à tous les citoyens de notre République, elle en est une des dimensions qui la font vivre. Le Conseil régional rappelle son attente de voir ratifier la charte des langues régionales. Il est à se demander si les porteurs de cette attente ont lu avec précision cette charte génératrice par nombre de ses alinéas d’exclusions contraires à l’égalité des citoyens. D’ailleurs le Conseil régional aurait-il déjà commencé à la mettre en œuvre en ne retenant que la seule langue bretonne pour une expression complémentaire du français et en évitant soigneusement de citer le gallo dans son document ?

Pour terminer, au cas où ne serions pas convaincu ou ne l’aurions pas compris à la lecture, le titre VII, affirme vouloir « sceller un Pacte de confiance » suggérant par cela que ceci ne va pas de soi.

Gérard Hamon

07/12/2013

IX.

PACTE POUR LA BRETAGNE :

LES ENJEUX VÉRITABLES

Comme il fallait s’y attendre, le Pacte pour la Bretagne a été voté par les instances régionales, non après mise en relation des situations équitablement évaluées de l’ensemble d’un pays atteint par une crise économique d’une grande violence, mais, bien au contraire, sans le moindre souci d’égalité : le lobby breton a parlé, le pouvoir cède et fait de l’exception bretonne telle que fantasmée la règle. Nul respect du pacte républicain garantissant l’égalité de tous : après le Pacte pour la Bretagne, attendons le Pacte pour l’Alsace et, bien sûr, pour la Corse et le pays basque, appelés à prendre leur indépendance après avoir bénéficié du statut d’autonomie. 

Ultime tour de passe-passe : exit l’écotaxe, surgit la charte des langues régionales. 

Les caisses de l’État sont vides mais on va payer pour traduire les textes de loi en 75 langues… 

X.

ILS SE DÉVOILENT :

LES ÉCOLOGISTES ET LES AUTONOMISTES

APPELLENT À L’ÉCLATEMENT DE L’ÉTAT

La prétendue « révolte des Bonnets rouges » s’explique par la conjonction de « l’appel breton du 18 juin » lancé à Pontivy par le lobby ultralibéral breton à l’origine de la « bataille de l’écotaxe » et de « l’appel de Pontivy » rassemblant écologistes, autonomistes et indépendantistes de tous bords  : le but de ce lobby ethniste est d’en finir avec l’État français, ce en quoi il rejoint le lobby patronal de l’Institut de Locarn (« notre problème, c’est la France », clamait naguère Alain Glon, son président) ; tel est aussi le but d’Europe-Écologie-Les Verts — un but qui, loin de se dissimuler, s’affiche désormais, comme on peut le constater. C’est sur cette base que peuvent se lire les quatre revendications des autonomistes de l’Appel de Pontivy :

1. Ratifier la Charte des langues régionales (et l’on remarquera que cette exigence est placée en première position, car, amenant à reconnaître des groupes ethniques, elle est destinée à faire levier)

— Ajouter la Loire-Atlantique aux quatre départements bretons pour donner à la Bretagne le poids d’une nation autonome sur le modèle de l’Écosse et de la Catalogne (en vue de préparer son indépendance)

— Doter la Bretagne d’une télévision bilingue (breton-français, le gallo étant omis, et sachant que le breton serait compris par un pourcentage infime de la population)

— La doter d’un parlement, toujours sur le modèle de l’Écosse et de la Catalogne

Le but est donc bien d’en finir avec la France et de faire éclater l’État nation, comme le souhaite le lobby patronal breton qui a su de main de maître « libérer ces énergies » (le Parti breton qui figure au nombre des signataires de l’Appel de Carhaix est  connu pour être l’expression des idées de Locarn).

Les premiers signataires sont Ai’ta ! ; EELV (Europe Écologie les Verts) ; La gauche indépendantiste (Breizhistance – I.S.) ; Kevre Breizh ; MBP (Mouvement Bretagne et Progrès) ; Parti Breton ; UDB (Union Démocratique Bretonne) ; 44 = BZH ; Bretagne Réunie – Breizh Unvan – et En Avant Bretagne

Le groupe autonomiste En Avant Bretagne a été créé en janvier 2011 avec Christian Troadec.

XI.

BONNETS ROUGES ET EXTRÊME DROITE  :

LE TRIOMPHE DE L’ETHNISME

On ne s’étonnera pas de constater que le mouvement des Bonnets rouges trouve un soutien enthousiaste auprès de Terre et Peuple, groupe d’extrême droite qui rassemble les partisans d’une Europe des ethnies. Rien que de logique.

Sur la récupération du mouvement des Bonnets rouges par la droite la plus dure et l’extrême droite, un bon article du Monde. 

À lire aussi, l’article de Christian Delarue sur Médiapart.