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C’est en tant que présidente de la section de Rennes de la Ligue des droits de l’homme qu’en 1998 j’ai été alertée par Françoise Morvan sur les problèmes que posaient la réécriture de l’histoire par le mouvement nationaliste breton, la réhabilitation systématique de militants bretons collaborateurs des nazis et la réédition de textes racistes et antisémites par des militants bretons occupant des fonctions officielles.
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RÉÉCRITURE DE L’HISTOIRE EN BRETAGNE
Nous avons engagé un travail de fond à ce propos, travail qui a donné lieu en 2000 à un dossier Réécriture de l’histoire en Bretagne, dossier largement diffusé, actuellement mis en ligne par le GRIB (Groupe Information Bretagne) que j’ai contribué à fonder. Nous avons invité l’historien Michel Denis, ancien président de l’université de Rennes II et ancien directeur du département d’Histoire de cette université, à venir nous faire part de ses commentaires sur ce dossier.
Il l’a jugé remarquable mais a déclaré qu’il était hostile à toute critique susceptible de nuire au « mouvement breton »… Nous avons alors compris comment l’université cautionnait cette réécriture de l’histoire appuyant la mise en place des autonomistes (que Michel Denis soutenait, nous l’avons découvert aussi à cette occasion).
En 2001, nous avons eu confirmation de cette allégeance des universitaires et des instances régionales aux autonomistes lorsque s’est tenu à Brest un colloque qui visait à noyer ces recherches dans une espèce de consensus confus. Plusieurs membres de notre section ont assisté à ce colloque dont Françoise Morvan a rendu compte.
Quelques mois plus tard, l’association Ras l’Front a organisé un débat à l’université de Rennes — débat auquel étaient invités Françoise Morvan et Michel Denis. J’ai dû, en tant que présidente, rédiger une lettre ouverte pour protester au nom de la LDH contre les propos de Michel Denis, lequel avait défendu son collègue Pierre Denis (dit Per Denez), ancien directeur du département de Celtique qui avait désigné comme « Bretons les plus méritants des trente dernières années » deux terroristes du FLB qui s’étaient fait sauter avec leur bombe, l’un des deux étant un militant néonazi…
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Cette lettre ouverte aurait dû alerter sur la dérive en cours et montrer la collusion entre autonomistes (soutenus par Michel Denis) et indépendantistes (soutenus par Pierre Denis) au sein même de l’université, comme des instances régionales.
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CHARTE DES LANGUES RÉGIONALES
C’est également en tant que présidente de la section de Rennes de la LDH que j’ai été amenée à travailler sur le problème de la Charte des langues régionales. La LDH avait publié un numéro d’Hommes et libertés à ce propos et nous avions été invités par le Comité régional à engager un débat sur la Charte lors d’une rencontre à Saint-Brieuc en 1999.
J’y ai participé avec d’autres membres de la section et avec Françoise Morvan qui a, par la suite, poursuivi ce travail et donné une communication lors d’un colloque au Sénat : ses conclusions ont permis à l’assistance de réfléchir hors de toute propagande sur un texte qui posait des problèmes redoutables, comme nous l’avons démontré par la suite. Il aurait suffi de reprendre ce travail pour éviter les longs débats qui ont divisé la France et, en 2015, mobilisé la classe politique autour d’un texte concocté par des militants ethnistes, texte incompatible avec la Constitution, comme on l’a vu.
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RACISME ET ANTISÉMITISME
A la suite d’une émission de France Culture à laquelle elle avait été invitée en juin 2008 à évoquer le problème des langues régionales, Françoise Morvan a été victime d’un véritable harcèlement de la part de militants bretons dénonçant « les Juifs de France-culture » et la « juiverie internationale » qui lui auraient prétendument permis de s’exprimer.
Plainte a été portée par le service juridique de la LDH alerté par notre section contre deux de ces militants qui ont été condamnés le 12 octobre 2009 pour incitation à la haine raciale par le TGI de Rennes.
Là encore, il y avait une occasion d’alerter sur le nationalisme et le racisme en Bretagne.
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BORIS LE LAY ET BREIZ ATAO
Pour lors, Françoise Morvan nous avait d’ores et déjà signalé les propos racistes d’un militant nationaliste breton anonyme responsable de plusieurs sites, notamment War Sav Breizh et Le projet juif.
C’est grâce à la plainte initiée contre lui qu’il a pu être identifié comme étant un certain Boris Le Lay, crépier à Rosporden. Du fait qu’il a, peu après, fait héberger ses sites aux USA, il n’aurait jamais pu être identifié sans cette plainte. Nous pensons donc avoir joué un rôle essentiel en cette affaire dont il aurait alors été facile de nier l’importance : s’agissait-il d’un malade mental, son site méritait-il notre attention, ne valait-il pas mieux l’ignorer et ne pas lui donner une importance imméritée, nous en avons longuement débattu.
Au terme de ces débats, notre section a chargé Françoise Morvan de rédiger un dossier qui a permis au service juridique de la LDH de lancer une assignation le 17 décembre 2009 pour « apologie de crime contre l’humanité, contestation de crime contre l’humanité, provocation à la haine raciale, diffamation à caractère racial ». On pourra lire ici ce dossier.
Boris Le Lay a été assigné à Paris pour « provocation à la haine raciale, apologie de crimes contre l’humanité et contestation de crimes contre l’humanité ».
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Il a été condamné à huit mois de prison avec sursis et 5 000 € d’amende, les plaignants recevant 1 500 € de dommages et intérêts et 800 € pour leurs frais de justice. Il s’agissait de sa première condamnation.
C’est alors que nous avons constaté que ce nationaliste breton se moquait de la Justice et qu’il bénéficiait de soutiens lui permettant de mettre en place une stratégie qui aurait dû nous amener à réfléchir sur cette nouvelle configuration du nationalisme breton en relation avec les réseaux identitaires mondiaux.
Nous avons aussi constaté que ce militant, dont les deux sites originaux, War Sav Breizh et Le projet juif, avaient été supprimés, avait fondé un nouveau site, Breiz Atao, qui s’inscrivait comme la suite du mouvement Breiz Atao que les autonomistes dits de gauche continuent à vouloir réhabiliter.
Je passe sur les nombreuses condamnations de Boris Le Lay qui ont été commentées sur le site du Groupe Information Bretagne.
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BANALISATION DU NATIONALISME BRETON
Nous avions commencé par réfléchir à la réécriture de l’histoire en Bretagne, et à ses dangers. Or, nous en avions là une illustration qui nous apparaissait d’autant plus redoutable que nous pouvions constater le refus des médias de prendre en compte cette réalité sur laquelle Françoise Morvan avait été la première à tenter d’alerter.
Le site Breiz Atao s’inscrit de manière cohérente dans l’idéologie nationaliste bretonne telle qu’elle s’est fondée et continue de se développer en plein accord avec les mouvements ethnistes européens. Le cas de Boris Le Lay doit être pensé en contexte et non pas considéré comme un phénomène marginal ou une anomalie regrettable. Au lieu de cela, Boris Le Lay est présenté comme « hypernationaliste » et des militants bretons se servent de lui pour se donner une image démocratique, antiraciste, en laissant croire qu’ils sont à l’origine des plaintes portées contre lui.
En 2011, lorsque les sonneurs noirs et d’autres ont porté plainte, nous avions déjà travaillé sur les productions de ce militant et, une fois de plus, à l’initiative de Françoise Morvan, nous avions engagé un travail de réflexion sur cette nouvelle phase de l’histoire du nationalisme breton.
La manière dont (notamment sur Wikipédia) les faits sont travestis doit nous inciter à plus de vigilance. Ce que nous dénoncions au détour du siècle a pris une ampleur que nous ne pouvions alors pas soupçonner. Il est d’autant plus important de rappeler les faits et de les mettre en perspective.
Marie-Madeleine Flambard
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