Le populisme briseur de grève

Un lecteur me rappelle que voilà dix ans (plus précisément, le 18 juillet 2003, lors de la grève des intermittents du spectacle) j’ai publié une tribune qui a constitué, écrit-il, la première critique du système Troadec. L’ayant relue, j’ai vu, de fait, dans cet épisode comme une répétition de la manifestation des Bonnets rouges.

Cette tribune m’avait valu des invectives des militants bretons de tous bords, y compris ceux qui à présent dénoncent ce qu’ils ont adoré.

Populisme, confusionnisme, instrumentalisation des luttes de gauche pour les enrôler sous bannière nationaliste, tout y est…

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Le populisme briseur de grève

Le Festival d’Avignon ayant été annulé, tout le théâtre public se trouve payer très cher le prix de la solidarité avec les intermittents de spectacle. Mais le festival des Vieilles Charrues, lui, n’est pas solidaire car, à en croire les informations, priver le centre de la Bretagne d’Enrico Macias, ce serait l’endeuiller à jamais. Une chaîne de 3 000 personnes s’est formée pour défendre le festival qui ne demande pas d’argent à l’État français et qui rapporte gros.

Contre le théâtre – le théâtre dit public par opposition au théâtre privé – qui a été en France l’un des derniers lieux de résistance, de passion et de générosité, poser le populisme version marchand de bière comme expression de la résistance d’un peuple opprimé, c’est la dernière illustration du « monde comme si  » : le décor de théâtre qui s’effondre pour laisser découvrir comme horizon la blanche hermine et la Coreff.

Pendant que, par milliers, comédiens voués à ne jamais plus pouvoir jouer, metteurs en scène condamnés à renoncer à leurs projets, professeurs trahis après deux mois de grève, archéologues réduits à mendier auprès d’organismes privés le droit de procéder à des fouilles de première nécessité se rassemblent sans que les médias s’en émeuvent plus que ça, voilà soudain qu’un sujet les passionne : le centre de la Bretagne qui se mobilise pour défendre, comme Astérix son village gaulois, le festival des Vieilles Charrues qui se déclare prêt à résister de toutes ses forces – oh, pas au MEDEF ! – aux intermittents du spectacle.

Et c’est à Carhaix que s’ouvre le 14 juillet un forum social non pas local mais proclamé « de Bretagne », comme pour court-circuiter le forum social régional. Un forum social ayant pour invité, chargé de se prononcer sur le thème « Culture et éducation », Patrick Malrieu, militant nationaliste, qui, à en croire la feuille non moins nationaliste Bretagne hebdo, autre émanation carhaisienne, lors de la dernière manifestation en faveur du breton, n’hésitait pas à parler d’ « ethnocide constitutionnel » infligé à la Bretagne par la France – Patrick Malrieu, longtemps président de la section littérature orale de l’Institut culturel de Bretagne et complice de ses pires dérives (réhabilitation de militants bretons collaborateurs des nazis, attribution de subventions à l’édition de textes racistes en breton, attribution du collier de l’hermine à des militants nationalistes au passé douteux).

Le festival des Vieilles Charrues au service de qui ? En vue de quel projet politique ? Le forum social au service de quoi ? La défense de l’ethnie bretonne ? Le confusionnisme au profit de quel projet de société qui n’oserait pas se montrer à visage découvert ?

Françoise Morvan