O lo lê, Tintin et les frères Caouissin

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Ayant constaté que le journal O lo lê et les frères Caouissin font l’objet de commentaires apologétiques sans que la moindre information objective soit disponible sur la teneur de ce journal et l’itinéraire de ces militants nationalistes bretons, nous donnons ici le texte rédigé par Françoise Morvan pour l’exposition consacrée à Hergé en 2013 par Henri Doranlo. 

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O LO LÊ

LA FOI ET LA BRETAGNE AU SERVICE DU NAZISME

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Le 15 novembre 1940, les Éditions du Léon situées à Landerneau, publient le premier numéro d’ O lo lê (en breton Ohé), un journal destiné à la jeunesse bretonne.

Les Éditions du Léon sont la propriété des frères Caouissin, Henri, dit Herry, né en 1913, et René, dit Ronan, né en 1914. Membre du mouvement autonomiste Breiz Atao et auteur, en 1938, d’une apologie du groupe terroriste Gwenn ha du, ce dernier (qui signe Ronan Caerléon) prend la direction d’une maison d’édition jointe au journal dont Herry est rédacteur en chef.

Secrétaire de l’abbé Perrot, lui-même engagé dans le combat nationaliste, il est secrétaire de rédaction de sa revue Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne). Le journal O lo lê, dont la devise est Doue ha Breiz (Dieu et Bretagne) se caractérise par un semblable prosélytisme nationaliste et chrétien.

 Le journal se donne pour pétainiste mais vise, plutôt qu’une renaissance des provinces, une autonomie de la Bretagne dans le cadre du Reich.

Pour cela, dès le premier numéro, il s’appuie sur une histoire de la Bretagne présentée comme en lutte depuis les origines contre la France.

 Il rassemble une équipe impressionnante et tire à trois mille exemplaires (vingt mille pour les numéros spéciaux), chiffre considérable, vu la pénurie de papier.

Au nombre des collaborateurs, Benjamin Rabier,  Félix Jobbé-Duval, Étienne Le Rallic, illustrateurs de renom. Les auteurs, sélectionnés en fonction de leur appartenance idéologique, sont beaucoup plus ternes : se distinguent, parmi une trentaine de collaborateurs plus ou moins épisodiques, Georges-G. Toudouze, Herry Caouissin lui-même et sa femme, Janig Corlay, Jeanne du Guerny, dit Danio, auteur d’une très nationaliste Histoire de notre Bretagne et de feuilletons dont l’antisémitisme a été souligné, ainsi les Loups de Coatmenez illustrés par Le Rallic.

 Amenées par Étienne Le Rallic, ancien collaborateur, comme Herry Caouissin, du journal catholique Cœurs vaillants (désormais interdit par l’occupant), les planches de Tintin chez les soviets commencent à paraître le 15 mars 1942 dans le n° 64. Anticommunisme, anglophobie, antisémitisme… et prosélytisme religieux : à peu près en même temps que Tintin, en cette deuxième phase du journal, apparaissent les luxueux numéros en couleurs…

 La dernière apparition de Tintin (la bande dessinée est interrompue avec le n° 104 du 13 juin 1943) correspond à une troisième phase du journal : O lo lê n’est plus une simple publication pour la jeunesse mais un outil de propagande politique symbolisé par l’Urz Goanag Breiz (l’Ordre de l’Espérance), association visant à enrégimenter filles et garçons (les premières faisant parties des Hermines, les seconds des Loups) dans une sorte de scoutisme breton, organisant des camps, des tournois en relation avec le Bleun Brug de l’abbé Perrot, des concours, fournissant du matériel de propagande sous forme d’écussons, de cartes, de papiers à lettre, de fanions, et prolongeant le journal par des éditions militantes.

 Avec l’exécution de l’abbé Perrot par la Résistance le 12 décembre 1943, la ligne politique se durcit encore.

Les quatre frères Caouissin, Herry, Ronan mais aussi Robert (né en 1915) et leur benjamin, Pierre (né en 1922), s’engagent dans le Kommando de Landerneau chargé de traquer les maquis et dénoncer les résistants.

Le dernier numéro paraît le 28 mai 1944. O lo lê  a connu 132 numéros et a joué un rôle considérable : les lecteurs d’O lo lê se retrouveront aux scouts Bleimor, dans les cercles celtiques, et poursuivront l’œuvre interrompue…

Les frères Caouissin, enfuis avec le Kommando de Landerneau, échapperont (à l’exception de Pierre) à toute condamnation et reprendront en banlieue parisienne leur tâche militante, publiant de 1970 à 1974 une suite du journal sous le titre de L’Appel d’O lo lê.

La bande dessinée Tintin chez les soviets est l’expression d’un anticommunisme qui devait prendre pour eux une forme exacerbée après la Libération, les presses des Éditions du Léon ayant été réquisitionnées par le Parti communiste pour y imprimer son journal L’Aurore.

@ Françoise Morvan

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Rappelons qu’en 1997, interrogé pour le film BZH par Marie Hélia et Olivier Bourbeillon, Herry Caouissin devait expliquer que les nationalistes bretons n’avaient eu que le tort de « ne pas en avoir fait assez » sous l’Occupation, c’est-à-dire de ne pas avoir poussé assez loin la collaboration avec les nazis. Il avait été décoré du Collier de l’Hermine par l’Institut culturel de Bretagne.