Racisme, antisémitisme, négationnisme et nationalisme breton

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Nous donnons ici le texte d’un article publié en 1996 à titre de mise en garde, suite aux différents hommages rendus à des militants nationalistes collaborateurs des nazis et fiers de leurs hauts faits pour la défense de la nation bretonne — notamment Alan Heusaff, milicien enrôlé sous uniforme SS et auteur d’un texte à la gloire du négationniste Faurisson.

Traduit par Françoise Morvan, qui a rédigé cette mise en garde, il a provoqué quelques protestations, notamment celle du poète Paol Keineg qui s’est désabonné de la revue Al Liamm, et a été relayé par le site Amnistia, mais n’a en rien retenu l’attention des élus bretons qui n’ont, au contraire, eu de cesse que d’encourager la dérive nationaliste. 

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À PROPOS DE LA DÉRIVE NATIONALISTE

INDUITE PAR L’INSTITUT DE CULTUREL DE BRETAGNE

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Le scandale que constitue la remise du Collier de l’Hermine, récompense promise par l’Institut culturel de Bretagne aux Bretons les plus méritants, aurait pu atteindre en 1996 un sommet puisque, le 1er juin, le « Conseil scientifique » de l’ICB, plaçait Alan Heusaff en cinquième position.

Scandaleux, le résultat final l’est sans doute puisque sont « herminisés » des militants dont le parcours a surtout pour caractéristique de servir la doxa nationaliste : André Lavanant, président de Diwan, Joseph Lec’hvien, prêtre connu pour ses sympathies pour le FLB autant que pour ses traduction de la Bible en breton, Rita William, pas vraiment bretonne mais quand même méritante, plus un joker : le président de l’Institut culturel, P. Le Treut, herminisé par défection puisque Yves Le Gallo a refusé le Collier qui lui était attribué. Du moins a-t-on évité de récompenser, comme en 1993, un nationaliste ouvertement engagé dans la collaboration avec les  nazis (c’était le cas d’Herry Caouissin), comme en 1994, un partisan de l’ethnisme tel que Pierre Lemoine, qu’Olier Mordrel, autre nazi non repenti, remerciait naguère encore en  termes chaleureux[1], comme, en 1995, Ivona Martin, collaboratrice de Roparz Hemon, et tant d’autres…

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I. Hommage de l’ICB à Alan Heusaff, lauréat du prix Xavier de Langlais

 

Si le pire a été évité, il faut néanmoins rappeler que le journal Bretagne des livres, publié par l’ICB, rendait hommage voilà peu à Alan Heusaff à qui venait d’être décerné le prix Xavier de Langlais.

Ce prix, couplé au prix Roparz Hemon, est présidé par Per Denez, vice-président de l’ICB. Les autres membres du jury sont Bernard Le Nail, directeur de l’ICB, Annaig Renault, secrétaire générale de l’ICB, Morwena Denez, fille de Per Denez, et Gérard Cornillet, traducteur en allemand de la méthode de Per Denez.

Il s’agit d’un prix, comme on peut le voir, aussi lié au mouvement nationaliste breton qu’à l’ICB : en 1988, le prix avait été décerné à Joseph Lec’hvien, encore lui, en 1989 à Franseza Kervendal, la femme de Per Denez, en 1990 à Yves Ollivier, dit Youen Olier, l’un des militants bretons les plus engagés dans la collaboration, comme son beau-frère Alain Louarn dit Alan al Louarn. Le peintre Xavier de Langlais ayant lui-même, comme Roparz Hemon, et comme Per Denez, collaboré à la presse nationaliste sous l’Occupation, de tels choix n’ont rien d’étonnant. Cependant, avec  Heusaff, un nouveau degré est franchi : la notice qui présente le lauréat nous apprend que « né en 1921 à Saint-Yvi, Alan Heusaff fut d’abord instituteur, avant de devenir technicien dans les services météorologiques irlandais. Il est un des fondateurs de la Ligue celtique et rédacteur en chef de la revue « Carn », journal publié en anglais et dans les langues celtiques et dont la vocation est de faire le lien entre les six pays celtiques. » Voilà ce que l’ICB, dans une revue subventionnée sur fonds publics, nous dit : instituteur, Heusaff a fait carrière en Irlande et a poursuivi une méritoire activité de journaliste au service du panceltisme !

Comment cet instituteur s’est-il retrouvé en Irlande ? Mystère. Silence sur le parcours de ce milicien,  l’un des premiers militants bretons à s’être engagé dans la milice bretonne sous uniforme  de la Waffen SS dite Bezen Perrot et en être devenu un des chefs… Blessé en action contre un maquis, Heusaff fut évacué vers l’Allemagne. Il se réfugia ensuite en Irlande comme la plupart des miliciens et autres militants bretons et, comme eux, reprit le combat, sur des bases idéologiques inchangées.

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II. Du bezen Perrot au négationnisme

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 Pour s’en assurer, on peut lire sa contribution au numéro d’août 1995 de la revue Al Liamm (revue elle aussi largement subventionnée). Depuis An Spidéal (Irlande), Alan Heusaff écrit  à propos de la Shoah (je traduis ce texte du breton) :

«  Les persécutions contre les juifs ont commencé pour de bon en Allemagne avant la guerre […] J’inclinais à penser qu’on répandait ces mauvaises nouvelles pour préparer les esprits à la guerre à venir. L’un des arguments du PNB [2] était que les Bretons ne devaient pas aller se battre une fois de plus pour la France. J’éprouvais de la méfiance à l’égard de ces nouvelles. Je pensais bien que les gens que les maîtres du 3e Reich regardaient comme leurs ennemis étaient envoyés dans des camps de prisonniers. Je n’ai rien appris au sujet de ce qui leur arrivait (surtout avant 1942 ?) avant la fin de la guerre. Au peuple allemand aussi c’était dans l’ensemble resté caché.

Depuis on a publié des chiffres effrayants. Les gens qui cherchent à vérifier sont jugés et contraints de se taire comme s’ils étaient tous des néo-nazis. Je n’ai lu que deux livres de Faurisson, chacun d’eux étant l’aboutissement d’enquêtes faites par lui et que j’ai trouvé faites de manière précise et honnête. Ai-je été aveugle aux défauts qu’ils comportaient ?

Les études que j’ai faites avant guerre, mathématique et physique, m’ont appris à ne pas me satisfaire d’affirmations qui ne reposent pas sur des preuves. Je n’ai encore jamais vu le moindre livre ou le moindre rapport qui montre que ces précisions étaient fausses. »

Heusaff qui, sous uniforme SS, appartenait à une formation appelant à l’extermination des Juifs et des races inférieures, affirme donc qu’il ignorait le sort réservé aux Juifs. Il n’ira pas jusqu’à jurer que, ces Juifs, on ne les a pas exterminés mais les livres de Faurissson (qu’il a pris soin de lire avec toute l’attention qu’ils méritent) résultent d’enquêtes « précises et honnêtes », et lui, Heusaff, qui a fait « avant guerre  » des études scientifiques, il  s’est laissé convaincre.  « Avant guerre », oui, quand il était instituteur, pas pendant, sous uniforme SS, ou après à Marburg ! Le plus monstrueux de ce texte n’est pas ce recours patelin de l’homme instruit à la Science mais la conclusion  : « Chercher à soutenir un pouvoir contre un autre ne signifie pas qu’on approuve tout ce qu’il fait. Pour moi la question la plus urgente était de se débarrasser du pouvoir français en Bretagne avant que le breton ne soit devenu trop faible, car il n’y a qu’un Etat breton qui puisse l’aider à reprendre force. C’est à cette question que nous devions consacrer toute notre énergie. »

Le national-socialisme avait ses défauts, qui n’en a pas, l’extermination des Juifs, qu’elle ait eu lieu ou pas, était regrettable ; déplorons-la donc, et revenons à nos moutons : l’essentiel, en 1940 comme à présent, était de bouter les Français hors de Bretagne et d’imposer un Etat breton ethniquement pur, ayant pour but d’imposer le breton comme langue nationale.

Le mouvement breton n’est pas antisémite mais il rend hommage à des hommes qui n’ont jamais renié leur soutien à l’Europe nouvelle de Hitler et qui maintiennent aujourd’hui encore leur engagement en expliquant que l’essentiel n’était pas le nazisme, la Shoah, et autres problèmes collatéraux mais le devoir de haine à l’égard de la France.

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III. Rééditions de textes racistes et antisémites sur fonds publics

Plus grave encore, des institutions comme le Centre national du livre et le conseil régional de Bretagne se trouvent subventionner, de fait, via l’Institut culturel de Bretagne, ce type de propagande puisque la revue Bretagne des livres reçoit des aides du CNL, de la DRAC et du conseil régional.

Et, plus grave encore, l’Institut culturel de Bretagne subventionne à hauteur de 40% des rééditions de textes racistes et antisémites publiés dans la presse collaborationniste.

C’est le vice-président de l’Institut culturel de Bretagne, Per Denez, qui, aux éditions qu’il dirige, a publié en 1986 les textes que l’écrivain Youenn Drezen a donnés sous l’Occupation au journal de Roparz Hemon, Arvor. En 1989 et 1991, poussant plus loin encore le cynisme — le cynisme pour qui, soutien de l’UDB, prend bien soin de se donner une image de gauche —, il a republié les articles donnés par Drezen à L’Heure bretonne, l’organe du PNB nazi.

Pour se borner à quelques exemples : le 14 juillet 1941, Drezen, écœuré de voir les Bretons oser narguer les nazis, dénonce «  les femmes et les morveux » qui « ne savaient que faire pour montrer leur soumission aux Juifs de « radio-Londres ». Rubans tricolores dans les cheveux, fleurs tricolores sur le cœur, jupes bleues, vestes blanches, chemisiers rouges, une fête des couleurs françaises, je ne vous dis que ça !… » Il ne cesse de dénoncer la corruption de la France métisse et « les vauriens-suceurs de sang — grecs, russes, juifs ou français dégénérés (sans race) »… Le 17 janvier 1942, il jubile car « l’une des conséquences de la guerre a été de déciller un nombre étonnant de Bretons. Bon nombre de nos compatriotes ont compris peu à peu qu’ils étaient d’une race différente de la race (?) des Français ». Le point d’interrogation est de Drezen : les Bretons sont celtes, leur race est pure ; les Français n’ont pas de race, il ne cesse de le rappeler.  Ainsi, le 12 mars 1944 : « Une chose qu’on ne peut dire sans que tout le monde se mette à rire ou à hausser les épaules, c’est : la Race des Français… Il n’y a pas de peuple pur, avec le mélange des races humaines depuis le grand embrouillamini de la Tour de Babel. On trouve cependant, en certains pays, des familles nombreuses de gens à la forme et à l’apparence semblables et à l’origine évidente : c’est le cas, dans l’ensemble, des Bretons.

Rien de tel en France. Et, à dire vrai, les Français se fichent bien de l’origine de leurs ancêtres. Selon les circonstances, ils sont Celtes, à cause des Gaulois, Latins, à cause des soldats de César, ou Germains, à cause du vieux Clovis. Un temps fut, ces grandes races-là furent administrées et mêlées étroitement sur le sol français, et l’on pouvait, jusqu’aux guerres napoléoniennes au moins, dire que les Français peuplaient la France.

Mais il y a bien longtemps que cette race des Français s’est tarie. Ils n’engendrent plus guère d’enfants. Peu à peu des étrangers les plus divers viennent prendre leur place — non par la force des armes, comme le firent les anciens Conquérants mais tranquillement, sans bruit, légalement, avec des contrats de commerce. — Des Polonais par ci, des Italiens par là, des Espagnols, des Arméniens, des Bicots d’Algérie, et des Juifs, bien sûr, — non que ces gens-là soient plus nombreux de tous mais à cause de leur ruse. »

Une seule idée anime Drezen : il faut que la Bretagne celte se garde du contact impur de la France. «  Nous nous éloignons de la vraie valeur de notre race, Katell et Loïc sont devenus swing et au lieu de danser la gavotte ils dansent des succédanés de danses des nègres ou des rouges du Mexique » (9 mai 1942).  En plus, la France est en train de perdre toutes ses colonies, conquête des bons Bretons sur des races inférieures : « Indochine, Madagascar, Maroc, Sénégal, Nouvelle Calédonie, Kerguelen, Guadeloupe, Tahiti, etc., etc., colonies bretonnes plutôt que françaises, vous allez nous échapper pour de bon, ce coup-ci, laissées à l’abandon comme vous l’êtes par vos propriétaires. »

Quand on pense au discours anticolonialiste développé par l’UDB sur le thème « Bretagne : colonie » et à l’aura de gauche accordée à Drezen et tant d’autres auteurs du même genre, il semble urgent d’alerter les pouvoirs publics sur les conséquences de la prise de contrôle des institutions culturelles par le mouvement nationaliste breton.

                                                                                              Françoise Morvan

                                                                                             12 décembre 1996

@ Françoise Morvan

[1] « Peut-être me sera-t-il permis de citer, parmi ceux qui m’ont si aimablement aidé…  des membres du FLB 1968 comme Pierre Lemoine, Jean Bothorel et leur porte-parole, Yann Goulet, qui fut pendant la guerre le chef des sections paramilitaires du PNB » (Breiz Atao, p. 11). Mordrel précise (p. 472) que Pierre Lemoine était le chef de la région cornouaillaise.

[2] Le  Parti National Breton auquel A. Heusaff appartenait depuis 1938.

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L’itinéraire de Pierre-Alain dit Alan Heusaff a fait l’objet d’une étude de George Broderick de l’université de Mannheim. Ce dernier, qui établit son parcours en évoquant  son rôle au Bezen Perrot, passe sous silence cette mise en garde qui a induit les premières protestations contre la réhabilitation de militants nationalistes, de même que le dossier Réécriture de l’histoire en Bretagne et autres contributions dénuées de tout lien avec les autonomistes. On pourra le lire ci-après en PDF.

ALAN HEUSAFF AN…EZEN PERROT

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On pourra constater que le racisme et l’antisémitisme du mouvement breton sont plus actuels que jamais et devraient réclamer une vigilance accrue.

On trouvera sur ce site quelques exemples particulièrement inquiétants.