Le colloque de Brest

Les 15, 16, 17 novembre 2001 s’est tenu à Brest un colloque international visant à en finir avec les « attaques de la presse parisienne » contre « la Bretagne ». Il s’agissait en fait de réhabiliter le mouvement autonomiste breton actuel en le présentant comme issu d’une frange fédéraliste supposée être de gauche du mouvement nationaliste et de dissimuler ce fait indéniable qui est que le mouvement breton dans sa totalité, fédéralistes compris, a collaboré avec les nazis, pour des raisons évidentes. Éviter d’analyser ces raisons et interdire tout rapprochement entre le passé et le présent: telle fut la raison d’être de ce colloque.

 

 

La couverture du volume reproduit une carte du militant nationaliste nazi Olier Mordrel définissant les «  identités régionales  ». Ce choix, à lui seul montre assez les ambiguïtés de ce colloque, le lecteur n’étant nullement informé de l’idéologie de Mordrel ni de la spécificité de la revue Peuples et frontières dans laquelle, en 1939, paraissait cette carte conforme à la vision ethniste de la France vue depuis le Reich — vision qui est toujours celle des autonomistes partisans d’une Europe des ethnies.

 


NATIONALISME BRETON ET COLLABORATION AVEC LES NAZIS :

LE COLLOQUE DE BREST

 

On l’annonçait depuis longtemps ; ça y est, il a eu lieu : le grand colloque destiné à faire la lumière sur la collaboration en Bretagne s’est tenu à Brest les 15, 16 et 17 novembre, à l’initiative du Centre de recherches bretonne et celtique (CRBC). Tout s’est très bien passé. Il y avait 420 personnes, c’était un succès. Mais pourquoi cette brusque passion pour le devoir de mémoire quand — on nous l’a rappelé avec insistance — tout était déjà su ?  Rien de caché, pas de problème, mais, hélas, face à l’acharnement soudain de la presse « parisienne », l’obligation de se défendre.

Aussi curieux que cela puisse paraître, ce colloque est né, nous annonce-t-on, d’un article de L’Humanité, le 12 novembre 1999, dans lequel Serge Garde, après m’avoir rencontrée, soulignait la manière dont les institutions en Bretagne pouvaient servir une réécriture de l’histoire à visée politique (mettre en place une Europe des régions sur base ethnique) et analysait le rôle de ce fer de lance du libéralisme qu’est l’Institut de Locarn, qui regroupe un grand nombre de chefs d’entreprise bretons. Sans attaquer le CRBC, Serge Garde indiquait que le druide néo-nazi Georges Pinault dit Goulven Pennaod avait réussi à être chargé de cours à l’Université de Lyon III et à figurer sur la liste des « chercheurs associés » du CRBC avec un simple diplôme de capitaine en retraite. Cet article prolongeant les réflexions de divers journaux sur de nombreux problèmes (notamment l’affaire Roparz Hemon, l’histoire de Bretagne en bande dessinée de Secher-Le Honzec, les liens de TV Breizh avec Berlusconi et les problèmes de l’Institut culturel de Bretagne), il y avait là, aurait-on pu croire, pour des militants bretons de gauche d’engager un travail de réflexion sur une dérive inquiétante.

Mais non, c’était la presse parisienne qui s’en prenait au mouvement breton — et le directeur du CRBC de monter au créneau avec l’appui de Jean-Yves Cozan, proche de Madelin et actuel vice-président du Conseil régional en charge de « l’identité bretonne » : en vertu du sempiternel principe ni rouge ni blanc, breton seulement  voilà donc gauche et droite unies pour (comme l’a annoncé le président dès l’ouverture)  désamorcer les polémiques en utilisant nos armes, à savoir la science.

Utiliser la science comme arme dit bien l’ambivalence du projet qui visait plutôt à désamorcer le débat engagé qu’à lui permettre de se faire jour.

DÉSAMORÇAGE

Et d’abord, le terrain s’étant vertigineusement élargi (règle n°1 de la technique de base du désarmorçage) le colloque ne portait pas du tout sur les raisons de l’adhésion des nationalistes bretons au nazisme et la réhabilitation sur fonds publics de ces nationalistes mais sur « la Bretagne et les identités régionales pendant la seconde guerre mondiale ». Qu’est-ce que c’est, les « identités » ? Et les « identités régionales » ? Définies sur quelle base ? Ethnique ? Linguistique ? Territoriale ? Comme si le fait d’être breton, corse ou berrichon avait forcément à voir avec les positions politiques adoptées sous l’Occupation. La conclusion du colloque était que non — mais, en attendant, sur les vingt-trois historiens (ou prétendus tels) invités, seule une dizaine avait à traiter de la Bretagne ; les autres devaient parler de la Corse, de la France-Comté, de l’Alsace, de la Wallonie, de la Flandre, du pays basque, de la Provence, de l’Italie, de la Lorraine et de l’Irlande.

Toute tentative de comparaison avec le « mouvement breton » étant rendue impossible par l’organisation des exposés, l’ensemble était bien fastidieux, mais certaines interventions, comme celle de Severiano Rojo Hernandez sur les errements du Parti nationaliste basque pendant la guerre civile (soutenant tantôt les républicains, tantôt les franquistes, écrivant à Hitler pour se proclamer raciste et au gouvernement de Front populaire pour lui proposer son appui) finissaient tout de même par mettre en lumière le confusionnisme des mouvements autonomistes.  Hélas, pour comprendre comment le racisme de ces militants, et la défense fétichiste d’une identité supposée induisait en Corse, en Alsace, en Bretagne, une dérive fasciste comparable, il fallait avoir déjà quelque idée de l’histoire de ces partis. Or, comme, par une réduction drastique du terrain (règle n°2 de la technique de base du désarmorçage), tout ce qui concernait la Bretagne devait être limité à la période de l’Occupation, rien avant, rien après, nulle analyse des causes, nulle réflexion sur les conséquences n’était possible.

Sur de telles bases, le reste du désamorçage n’était plus que routine : d’abord, comme il fallait s’y attendre, le géographe autonomiste Jean-Jacques Monnier est venu expliquer que les Bagadou Stourm (Brigades de combat, dirigées par Yann Goulet, condamné à mort à la Libération, et rebaptisées Strolladou Stourm) n’étaient que d’inoffensives bandes de scouts sur le modèle irlandais comptant de grands résistants en leur sein. Manière habile de laisser accroire que bien des adhérents du PNB pro-nazi pouvaient être en même temps de grands ennemis du nazisme. Ce qui est rassurant est que cet exposé a suscité des réactions tenaces de la salle, alors même que la presse régionale se faisait, comme d’habitude, l’écho de cette version lénifiante.

Après le confusionnisme, l’habituelle atténuation des faits : d’abord, réduction du nombre — le Parti national breton (PNB) était bien nazi mais si peu important ; ensuite, diminution de la gravité des faits : même sous l’occupation, le PNB aurait connu avec Delaporte une période « modérée » (il y a de quoi rire quand on a lu la prose du dit Delaporte) ; enfin, subtile distinction : le mouvement breton aurait compté un bon Parti autonomiste breton (PAB) qui aurait été laminé par le méchant PNB. C’est faux, bien sûr, et il est regrettable de voir cette version des faits s’imposer comme vérité officielle mais, enfin, comme dans le cas de Roparz Hemon, les faits finiront bien par être établis.

C’est d’ailleurs à Roparz Hemon que nous devons deux des communications les plus intéressantes : celle de Ronan Calvez, évoquant la conception hémonienne du breton comme langue nationale, aurait pu amener à se demander comment Diwan a pu si longtemps porter le nom de Hemon avant que l’association ne soit contrainte à débaptiser son collège ; celle de Lionel Boissou, sur les liens des services secrets allemands avec les autonomistes bretons, a eu le mérite de conclure le dossier Roparz Hemon par une lecture d’un rapport détaillé du Sonderführer Weisgerber, rapport rédigé en 1945 sur les services rendus par Hemon aux nazis.

Cet exposé des faits étant accablant, on aurait pu penser que l’affaire Hemon était close. Eh non ! Le film retenu pour illustrer le colloque était le film de Soazig Danielou, épouse du président de Diwan, en hommage à Roparz Hemon…


LES IDENTITÉS RÉGIONALES CONTRE LA RÉSISTANCE ?

Si l’intitulé général du colloque était flou, nombre de communications portaient des titres qui laissaient accroire que son but était de rendre hommage à la Résistance. Comment s’étonner que des résistants  aient pu croire que le CRBC, s’intéressant à ce qui avait été le combat de leur vie, allait être heureux de leur donner la parole ? Bien sûr, ils étaient vieux, bien sûr, ils avaient beaucoup de choses à dire, et, bien sûr, ils n’avaient rien compris à l’objet de ce colloque, qui était de condamner une frange du mouvement nationaliste pour réhabiliter le reste. S’ils l’avaient compris, ils n’auraient pas été là, mais ils étaient là, ils étaient vieux, ils avaient beaucoup de choses à dire, et les voir rabrouer comme des enfants parce qu’ils usurpaient leur temps de parole était insupportable.

Ce colloque a donné de l’histoire du « mouvement breton » sous l’Occupation la vision qu’une certaine partie du « mouvement breton » actuel  voulait en donner, et il l’a donnée avec une efficacité sans égale — car l’essentiel était la prodigieuse tribune offerte aux organisateurs et à certains intervenants par la presse régionale, la télévision, les radios, diffusant ainsi à l’unisson (seul le journal Le Monde  a pris quelque distance critique) une version banalisant les idées des autonomistes.

C’était une arme, comme l’avait bien annoncé le président, qui a terminé son discours de clôture en remerciant tous les participants, « tant bretons que français ou étrangers ». Nous avons été quelques-uns à être soulagés d’apprendre que les Français n’étaient pas des étrangers.

© Françoise Morvan

Novembre 2001